Présentation de l’intervention
Cette fiche de capitalisation présente les activités du CAARUD en 2020, alors qu’une partie importante de l’équipe s’est renouvelée entre 2018 et 2020. La fiche de capitalisation visera ainsi à présenter ce qui a été expérimenté et mis en place en 2013, au moment de la mise en place de nouvelles pratiques de « RDR Alcool », mais également d’interroger la façon dont elles se sont inscrites dans la durée et comment la RDR Alcool fait culture dans les pratiques du CAARUD encore aujourd’hui.
Présentation de la structure
Le Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) AXESS est situé à Montpellier et est géré par le Groupe SOS[1]. Il vise à réduire les risques et des dommages sanitaires et sociaux liés aux usages de produits psychoactifs licites et/ou illicites. Il remplit des missions d’accueil, d’écoute, de soutien et d’accompagnement de personnes confrontées à des problèmes d’addiction.
Le CAARUD AXESS propose différents services dans le centre :
- Un accueil collectif ouvert du lundi au vendredi, sans interruption durant l’année, de 9h à 12h. Durant cet accueil sont proposés : un petit-déjeuner, un accès à des services d’hygiène (douches, laverie, etc.), des ateliers et activités (thématiques variées dont santé), des soins infirmiers de premier recours, etc. Un accueil individualisé est proposé les après-midi (de 15h à 17h, sauf le lundi), pour des prestations d’accompagnement.
- Un accompagnement socio-éducatif des usagers et d’accès aux droits sociaux (RSA, CMU, AME, …)
- Un accompagnement vers des dispositifs spécialisés de soin (addictologie)
- Un service de domiciliation postale
- Un programme d’échange de seringues
- Des opérations de dépistage (Fibroscan, dépistages rapides, dépistage VIH, hépatites, etc.)
- Une Antenne Méthadone ouvert tous les matins : il s’agit d’un service du Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) Entracte destiné aux usagers d’opiacés.
Le CAARUD AXESS pilote également en 2020 : une unité mobile d’intervention en milieu festif et le Pôle Ressource Festif’ Occitanie Est ; une unité CAARUD mobile en zone rurale (Pays Cœur d’Hérault) et en zone urbaine (Métropole Montpellier) ; un réseau de points d’échange de matériels d’injection en officines de pharmacies ; ainsi que le projet FRRAP (Former Réduire les Risques Accompagner Prévenir)
Public du CAARUD
Jusqu’en 2020, le CAARUD accueillait entre 40 à 80 usagers sur les temps de matinée, soit 14 000 passages par an et environ 1000 personnes différentes accueillies, dont la moitié bénéficient d’un accompagnement individuel au CAARUD. Le public accueilli est en majorité en situation de grande marginalité. La majorité des usagers vit à la rue ou en hébergement d’urgence. Plus de la moitié des usagers sont bénéficiaires du Revenu de Solidarité Active (RSA) ou de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH). Le public est mixte (hommes et femmes).
Historiquement, le CAARUD accueillait un public d’usagers « injecteurs ». Au tournant des années 2010, le constat était déjà qu’il s’agissait en fait d’usagers également alcoolodépendants et polyconsommateurs. En 2018, plus de 40% des usagers déclarent un usage chronique d’alcool [2].
L’équipe au CAARUD
Elle était composée en 2020 de : un directeur, un chef de service, 3 éducateurs-rices spécialisé.es, 1 conseillère en économie sociale et familiale, 3 animateurs-trices de prévention, 4 Médecins, 4 infirmier.es, 3 Accueillant.es, 1 secrétaire et 1 agent de service intérieur. Les éducateurs et les animateurs de prévention assurent des missions transversales, intervenant à la fois au niveau de l’accueil collectif, des entretiens individuels et des missions d’aller-vers hors les murs.
Contexte
Jusqu’en 2012, une interdiction formelle de consommer de l’alcool dans l’espace du CAARUD, au même titre que le tabac et les produits illicites, était en vigueur. La prise en charge des personnes consommatrices d’alcool, quand elle donnait lieu à une orientation vers une structure de soins pour un sevrage, se soldait presque systématiquement par un échec.
Par ailleurs, le contexte montpelliérain est particulièrement répressif pour les personnes à la rue, en raison de plusieurs arrêtés qui interdisent la détention et la consommation sur la voie publique. Pour le public du CAARUD, majoritairement sans domicile fixe ou hébergé dans des structures qui interdisent également la consommation d’alcool, cela signifie une absence d’espaces dans lesquels pouvoir simplement consommer.
Le CAARUD a proposé un projet pionnier en matière de réduction des risques alcool (RDR Alcool) depuis 2012, en mettant en place l’autorisation de consommer sur les temps d’accueil collectif et en développant une approche d’accompagnement individuel des usagers avec Matthieu Fieulaine et le collectif Modus Bibendi.
Objectifs
Les objectifs du projet étaient dès l’origine :
- de compléter l’offre d’accompagnement du CAARUD afin de pouvoir proposer des réponses adaptées aux besoins des personnes en difficultés avec leurs usages d’alcool,
- de sécuriser les consommations d’alcool à l’intérieur de l’établissement et de proposer des accompagnement RDR alcool auprès des usagers concernés (en particulier autour de la notion de « zone de confort »)
- réduire les méfaits induits par les surconsommations d’alcool,
Il incluait aussi de travailler :
- la formation continue des professionnels pour maintenir et faire progresser le niveau de compétences en matière de RDR Alcool
- les volets de plaidoyer et de soutien des partenaires de l’hébergement et du soin
Calendrier
2012 : Première formation « Réduction des risques et pratiques alcoologiques » avec Mathieu Fieulaine
2013 : démarche d’expérimentation
- 2e formation un an plus tard
- Expérimentation d’accompagnement des consommations d’alcool sur un lieu d’accueil collectif
- Enquête sur les représentations des usagers accueillis sur Axess
- Retour d’expérience après un an d’expérimentation « d’ouverture à l’alcool »
Par la suite : poursuite des activités au sein du CAARUD
2018 : 3e temps de formation
Principaux acteurs et partenaires
Le principal partenaire du CAARUD pour la mise en place de la RDR Alcool est le collectif Modus Bibendi. Dans le cadre de ses activités de valorisation et de plaidoyer, d’autres partenaires de l’hébergement et du soin sont rencontrés pour promouvoir des réponses adaptées aux usagers de CAARUD en difficulté avec l’alcool (voir partie suivante).
Principaux éléments saillants
Élaboration du projet
Constats de départ
Avant 2013, la consommation d’alcool était non seulement interdite au CAARUD, mais aussi peu ou mal prise en compte par l’équipe du CAARUD dans leur travail avec les usagers accueillis.
D’une part, l’équipe n’était pas formée à ces questions et considérait que le public alcoolodépendant ne faisait pas partie de ses missions. Elle ne repérait pas les consommations d’alcool, « l’alcool ne trouvant pas sa place dans les entretiens » (F. Hoerth), et proposait systématiquement aux usagers qui exprimait un besoin de les orienter vers une prise en charge à l’extérieur. La gestion des consommations d’alcool n’était ainsi pas abordée par les intervenants. F. Hoerth et M. Abdelmalek se souviennent également que les personnes alcoolodépendantes étaient « stigmatisées » à Axess, c’est-à-dire qu’autant les usagers accueillis (« qu’est-ce qu’il vient faire dans notre CAARUD, c’est un alcoolo ! ») que l’équipe pouvaient avoir des réactions de rejet et/ou questionner le bien-fondé de ces personnes à fréquenter le CAARUD. De plus, les sevrages vers lesquels ces usagers étaient orientés se soldaient le plus souvent par des échecs : reprise et accentuation des consommations, coût psychologique pour les personnes des échecs répétés, etc. D. Gautré en conclue que le CAARUD n’avait alors « aucune proposition crédible à adresser aux usagers » en ce qui concerne l’alcool.
D’autre part, l’équipe était confrontée à des situations d’alcoolisations massives de certains usagers à proximité immédiate du CAARUD (sur le parking), générant des nuisances pour les riverains et des difficultés pour l’équipe durant l’accueil (comportements inadaptés, violences « amenées » par l’alcool, etc.). Alors a émergé une prise de conscience « que l’interdit [de consommer] générait des tensions supplémentaires ». Dans le cadre de la réactualisation du projet d’établissement en cours depuis 2011, le CAARUD a amorcé une réflexion de fond sur la capacité du CAARUD à prendre en compte et en charge cette problématique.
Formation (juin 2012) et première expérimentation (2013)
En juin 2012, l’ensemble de l’équipe du CAARUD Axess a suivi une formation sur l’alcool, proposée par M. Fieulaine qui y a notamment présenté la notion de « zone de confort ». Cela a été le cadre dans lequel « a germé l’idée d’essayer d’accueillir les personnes avec leur alcool » (F. Hoerth), en s’appuyant sur les outils et notions proposées pour mettre en place de nouveaux échanges avec les usagers.
A la suite de la formation, il a été décidé de ne plus interdire la consommation d’alcool au CAARUD. La première étape a été la suppression de l’interdiction de consommer de l’alcool dans le règlement intérieur. Pendant l’année qui a suivi, le cadre a été « flou », c’est-à-dire que le sujet de l’accueil avec alcool a fait l’objet de discussions dans différentes sphères, mais que les règles n’étaient pas encore fixées ni dans la pratique, ni dans le règlement intérieur du CAARUD. Durant une année, l’équipe s’est alors longuement interrogé sur la façon de présenter ce changement aux usagers et ce qu’il engageait exactement : qu’est-ce que ça voulait dire accueillir avec l’alcool ?
Les premières réactions d’usagers étaient partagées. D’un côté, des réactions de résistance à ce changement au CAARUD ont été observées et exprimées : certains usagers, consommateurs d’alcool concernés au premier plan, ont pu « trouver scandaleux » le changement de règles, ne pas montrer à l’équipe qu’elles buvaient en ne buvant pas devant l’équipe était « une marque de respect ». La levée de l’interdiction bouleversait ainsi fortement l’équilibre relationnel (relations entre usagers, mais aussi usagers-professionnels) précédemment en place au CAARUD. D’un autre côté, des réactions positives ont été aussi rapidement exprimées : elles se fondaient sur un sentiment nouveau d’acceptation au CAARUD pour certains usagers, de levée de la honte de ses consommations. L’équipe en garde le souvenir que « ça avait donné [aux usagers consommateurs d’alcool] le sentiment d’être accueilli quelque part ».
La mise en place de cette action est vécue à ce moment-là par les professionnels comme une rupture importante , qui a « bouleversé » les pratiques (voir partie suivante : pratiques et postures professionnelles).
La RDR Alcool en place depuis 2013 au CAARUD
Accueil collectif
La cadre est désormais le suivant, comme présenté dans la charte d’accueil du CAARUD : « la consommation d’alcool sur Axess est acceptée à certaines conditions : Vous devez veiller à adapter vos consommations en prenant en considération que votre état doit demeurer compatible et adapté à l’accueil collectif. L’équipe se réserve le droit de réguler les excès, les comportements inadaptés repérés et de prendre les mesures en conséquence ». En pratique, seuls sont sanctionnés les comportements contraire au règlement intérieur, qui sont contraire au respect des autres usagers du CAARUD et les comportements violents. Il n’y a pas de protocole particulier sur cette question de l’alcool mis en place par l’équipe pour intervenir en régulation durant le temps d’accueil.
La consommation d’alcool est autorisée pour les usagers, y compris dans les temps d’entretien individuel (entretiens RDR, social, éducatif, etc.). Selon L. Ponce, infirmière qui pratique cette autorisation en entretien depuis son arrivée au CAARUD en 2018, la tolérance des consommations dans tous les rendez-vous, même ceux qui n’ont aucun lien avec la consommation d’alcool, contribue à « l’apaisement » des soins.
Durant les repas communautaires, le partage d’alcool possible et les professionnels de l’équipe du CAARUD peuvent être amener à consommer avec les usagers, dans une logique de partage, d’horizontalité entre usagers-professionnels et de convivialité.
Différents outils sont en place afin de « réduire les dommages sanitaires induits par les consommations d’alcool »[3] et ainsi proposer une « sécurisation des consommations d’alcool à l’intérieur du CAARUD » c’est-à-dire durant le temps de l’accueil :
- Mise à disposition d’une fontaine à eau et de jus de fruits pour la réhydratation, proposition de jus forts en goût pour permettre aux personnes de s’hydrater plus facilement sous forme de boissons aromatisées que d’eau et prévenir les hypoglycémies réactives,
- Mise à disposition de fruits et fruits secs pour les apports vitaminiques et contre les hypoglycémies réactives
- Mise à disposition d’un frigidaire pour permettre aux usagers de conserver leurs boissons au frais, et d’avoir de l’eau fraîche en été.
- Incitations à l’usage du verre.
- Affichage autour de l’alcool dans le CAARUD
Pour les professionnels interrogés dans le cadre de cette capitalisation, le cadre mis en place et l’environnement relationnel créé au CAARUD permettent de distinguer l’expérience du CAARUD de celle de la rue.
Plusieurs pistes d’évolutions font l’objet de réflexions au sein de l’équipe en 2020 :
- demander le financement des boissons alcoolisées des repas communautaires « par l’institution », c’est-à-dire financé par le CAARUD au même titre que le coût des produits alimentaires.
- pouvoir délivrer de l’alcool aux personnes en manque durant l’accueil, pour pallier les départs abrupts ou absences aux rendez-vous liés à un manque d’alcool à consommer à l’instant t, et que ce soit porté par l’institution.
- mettre en place des ateliers, pour « ouvrir des espaces de réflexion sur les consommations » (D. Gautré) pour les usagers, par exemple des ateliers autour du goût.
L’accompagnement individuel des usagers
L’accueil avec alcool a été mis en place relativement rapidement, au bout d’un an. La mise en place d’entretiens individuels d’accompagnement des consommations d’alcool a été plus lente et est encore l’objet de réflexions en 2020. « L’équipe n’y a pas été aussi réceptive » rapporte D. Gautré, chef de service.
« Il a fallu, avant, qu’on construise notre expertise là-dessus » rapporte F. Hoerth, soulignant ainsi que, bien que ces entretiens se fondent sur une pratique éprouvée des entretiens de RDR avec les usagers du CAARUD (état des lieux des pratiques et des consommations de la personne, travail sur les demandes (et avec la non-demande) des usagers, travail sur les représentations liées aux produits et aux consommations, construction d’un lien avec la personne pour dégager avec elle des axes de travail, etc.), l’abord des consommations d’alcool n’allait pas de soi. Plusieurs freins ont été identifiés par les professionnels : degré d’expertise nécessaire sur ce produit nouveau, besoin de connaissances sur les propositions possibles concernant la gestion des consommations (« sans gérer l’entretien comme un médecin »), etc.
La mise en place de la RDR Alcool impacte la dynamique de l’ensemble des entretiens menés au CAARUD, puisque la consommation y est aussi autorisée. Cela a des effets positifs pour les professionnels interrogés.
Les accompagnements au CAARUD consistent, quels que soient le produit ou la conduite addictive de la personne, en une démarche très individualisée : définir avec la personne ce que sont les risques et les dommages induits par ses pratiques de consommation, sans se préoccuper du « pourquoi » ni du « combien », mais en travaillant directement à la diminution des méfaits induits par ces pratiques. Ils ne reposent pas sur un cadre méthodologique strict et identique entre professionnels. Plusieurs traits communs ressortent néanmoins :
- repérer et faire prendre conscience à la personne des fonctions de la consommation d’alcool pour elle (anxiolytique, fonction support face aux difficultés de la vie à la rue, face à un état dépressif, etc.).
- prendre en compte dans l’exploration des pratiques de consommation des « aspects positifs comme négatifs » de ces consommations, des « bénéfices autant que des dommages »
- « dédiaboliser » la consommation d’alcool et travailler sur les représentations des personnes à ce niveau.
Ces échanges peuvent avoir lieu à la fois lors de discussions informelles durant l’accueil collectif, d’entretiens individuels (à l’infirmerie, lors d’un rendez-vous de suivi) voire d’entretiens individuels dédiés RDR. Les rendez-vous infirmiers ou les entretiens RDR sont des cadres « fermés » plus propices à ces discussions où la consommation d’alcool est abordée plus spécifiquement.
FOCUS : Perceptions et expériences comparées des professionnels de l’équipe du CAARUD L’équipe du CAARUD a connu un important renouvellement à partir de 2016, ce qui fait qu’au moment de cette capitalisation une partie de l’équipe avait connu la période d’expérimentation et une autre y exerçait depuis quelques années, ayant toujours connu la RDR Alcool au CAARUD. Ces professionnels se rendent compte qu’ils « n’ont pas du tout le même cheminement sur cette problématique [de l’accueil avec alcool] ». « C’est intéressant dans le sens où ça paraît très naturel pour ceux qui sont arrivés avec l’accueil déjà en place. Nous, quand on est arrivés au CAARUD Axess, on était très loin de ça, en fait : c’était la chasse aux buveurs d’alcool et donc, du coup, ça fonctionnait vraiment différemment ». – Frédéric Hoertz, éducateur spécialisé, salarié au CAARUD en 2013. Confronter leurs perceptions permet de faire ressortir que : – Au niveau de l’accueil : pour les ‘anciens’, l’accueil proposé au CAARUD, ouvert aux usagers consommateurs d’alcool et autorisant la consommation d’alcool, est encore vécu comme quelque chose de révolutionnaire à défendre. Pour les nouveaux arrivés, l’accueil tel qu’il fonctionne aujourd’hui « allait de soi », ne fait pas l’objet de réflexions/demandes de modifications et ce fonctionnement apparaît comme simplement et pleinement « cohérent avec les missions d’un CAARUD » (C. Garcia et L. Ponce). – Au niveau des entretiens et des accompagnements individuels : tant les professionnels nouvellement recrutés que les vétérans du CAARUD se rejoignent en 2020 ressentent le besoin d’approfondir des pratiques sur ce volet. Cela s’exprime par une volonté de « continuer à aller plus loin » dans l’accompagnement, à réfléchir sur ce qui relève des missions du CAARUD par rapport à celles d’un CSAPA en termes d’accompagnement ou de prise en charge, etc. Le fait que l’accompagnement des consommateurs d’alcool ne fait l’objet d’une approche clairement distincte des autres accompagnements (outils ou démarches qui ne sont pas spécifiques) peut même alimenter une impression de « ne pas vraiment faire de RDR alcool », ce qui traduit que pour les ‘nouveaux’ , l’accueil seul ne constitue pas une offre d’accompagnement RDR complète pour les consommateurs d’alcool. |
Pratiques et postures professionnelles
Les pratiques des professionnels, renouvelées suite à la formation à la RDR Alcool et la mise en place de l’accueil avec consommation autorisée, s’inscrivent néanmoins dans une continuité des pratiques précédentes, puisque le CAARUD accueille de longue date des usagers de drogues polyconsommateurs, et de ce fait, interroger le rôle de l’alcool dans le cadre de poly-consommations se pratiquait déjà.
Sur d’autres aspects, de nouvelles compétences ou postures ont été développées. Dans le cadre des accompagnements individuels,l’évolutions des pratiques a consisté principalement à davantage tenir compte de ces consommations avec les usagers. La formation à la RDR Alcool a donné à ces professionnels des « billes supplémentaires », qui ont permis d’enrichir de façon transversale l’ensemble des accompagnements RDR au CAARUD. Ces billes consistent par exemple à interroger en entretien de nouvelles dimensions de la vie de la personne, comme les façons de s’alimenter et/ou de s’hydrater au quotidien, et à élargir le spectre des thématiques abordées dans le repérage des dommages et risques par les personnes à plus de risques « sociaux » (par opposition à des risques sanitaires) en incluant aussi les risques liés à la sexualité, l’hygiène de vie, etc.
Travailler autour des consommations d’alcool s’appuie comme tout entretien de réduction des risques d’abord sur l’écoute des récits de vie des usagers et usagères, pour comprendre le rôle de la consommation d’alcool dans le quotidien des personnes et pour dégager des pistes d’accompagnement par la suite. En portant davantage attention aux consommations d’alcool dans le cadre des accompagnements individuels, les professionnels ont également gagné une meilleure compréhension de la place de l’alcool au quotidien grâce à l’expertise partagée des usagers. Plusieurs professionnels relèvent notamment les problématiques suivantes, qui témoignent de l’imbrication des consommations dans la vie des personnes et le travail de rééquilibrage de longue haleine nécessaire pour pouvoir réaménager leur place :
- la problématique de l’ennui comme fait majeur dans la vie des personnes vis-à-vis duquel la consommation d’alcool a une fonction essentielle, et qui est identifié par les usagers comme motif de consommation.
- la socialisation avec les pairs, où la consommation d’alcool est très fortement présente
Stratégie de plaidoyer
L’expérience du CAARUD Axess d’autoriser la consommation d’alcool sur les temps d’accueil a été l’une des premières en France. Fort de cette expérience, l’équipe du CAARUD et notamment D. Gautré, ont mis en place une stratégie de plaidoyer pour promouvoir cette approche. Différents leviers ont structuré ce plaidoyer :
- l’implication dans le collectif militant MoDus Bibendi[4], qui promeut la RDR Alcool.
- une activité de plaidoyer écrit, à travers la rédaction et de diffusion de compte-rendu de cette expérience. Elle s’est accompagnée aussi d’une diffusion orale, à travers la participation à des journées ou des présentations en congrès.
- une activité de sensibilisation/formation auprès des acteurs de l’addictologie, qui a notamment consisté à rencontrer d’autres structures pour faire connaître la RDR Alcool en place au CAARUD AXESS[5].
- l’implication dans des projets institutionnels dans le groupe SOS, comme le projet FRRAP (Former, Réduire les Risques, Accompagner, Prévenir). Le projet s’adresse au secteur de l’hébergement et de l’Accueil-Hébergement-Insertion (AHI) et vise à y diffuser des postures et des pratiques de réduction des risques, et ainsi à améliorer l’accueil des consommateurs dans les centres, leurs accompagnement et l’accès aux soins.
- une activité de plaidoyer en direction de structures partenaires à Montpellier, qui interviennent auprès du public accueilli au CAARUD (CHRS ou centres d’hébergement). Cette activité va de pair avec un positionnement comme structure ressource sur les problématiques de conduites addictives ou de RDR pour ces structures (permanences hebdomadaires, initiation, sensibilisation et accompagnement des équipes aux pratiques de RDR, déplacements sur site en réponse à des sollicitations des structures , etc.
- une activité de plaidoyer « en action », lors de l’accompagnement physique d’usagers dans des rendez-vous extérieurs (au CSAPA, à l’hôpital) au cours duquel les professionnels expliquent les principes de la RDR Alcool mis en place au CAARUD et essayent de faire bouger les approches de ces autres structures. Cela peut consister par exemple, à demander pour un usager qui entre en hospitalisation qu’il ou elle soit autorisée à consommer de l’alcool plutôt que mis sous valium (protocole hospitalier par défaut).
Le travail en partenariat est essentiel à la réussite des parcours des personnes accompagnées au CAARUD, le plaidoyer fait partie intégrante des missions du CAARUD. Cette dynamique s’est approfondie depuis 2020, notamment au sein des structures d’hébergement qui se sont davantage investis sur la question de la réduction des risques suite aux différentes période de confinement qui ont eu lieu en raison de l’épidémie de Covid-19 (2020) et aux initiatives des pouvoirs publics à leur suite pour renforcer ces pratiques dans les établissements (Appel à manifestation d’intérêt de la DIHAL[6], etc.).
Principaux enseignements
Résultats observés
Les éléments présents dans le projet d’établissement du CAARUD font état d’une « baisse spectaculaire des évènements indésirables, des exclusions, des violences [et] des nuisances vis-à-vis des riverains » dans l’année qui a suivi la mise en place de l’autorisation de consommer et d’une auto-régulation immédiate, sans éléments chiffrés plus précis. Immédiatement après le déploiement de la RDRA au CAARUD, le nombre d’orientations vers un sevrage dans une structure extérieure a fortement diminué, « de plus de la moitié tout de suite » se rappelle M. Abdelmalek. Ainsi, des orientations inadaptées, proposées faute d’alternative ou trop précoces, ont cessé avec la mise en place de la RDR Alcool.
Il est désormais très clairement identifié par les publics à Montpellier que le CAARUD Axess est un espace qui propose « la RDR Alcool » et qui est ouvert au public des consommateurs d’alcool.
Ce public aujourd’hui fréquente bien le CAARUD Axess. Selon l’équipe, il est difficile d’estimer, plus encore de mesurer, si le projet RDR Alcool a conduit à un évitement du CAARUD par d’autres publics (usagers de drogues notamment). L’hypothèse est néanmoins présente, sachant que de multiples facteurs peuvent expliquer que des usagers ne recourent pas au dispositif ou ne fréquentent pas l’accueil collectif du CAARUD : réputation du CAARUD, histoires interpersonnelles, incluant de possibles violences, survenues à l’extérieur du CAARUD, préférence pour l’autre structure CAARUD implantée à Montpellier, etc.
L’équipe repère les effets bénéfiques suivants associé à la mise en place de la RDR Alcool :
- tout d’abord, une diminution des situations de violence durant le temps de l’accueil collectif qui se maintient dans la durée. Toujours selon l’équipe, c’est le facteur principal qui a conduit les usagers à accepter le projet « sans résistance », car ils ont trouvé un bénéfice à ce qu’il y ait moins de violence sur le CAARUD.
- l’ouverture de l’autorisation de consommer de l’alcool dans le CAARUD n’a pas représenté de surcharge de travail pour l’animation et la surveillance des temps d’accueil, voire a permis de gagner du temps en diminuant la quantité d’évènements indésirables à gérer. Ce changement d’approche a ainsi permis aux professionnels « de dégager un temps précieux pour travailler avec ces personnes qui, avant, était utilisé à séparer des bastons globalement » (F. Hoerth).
- Même si la mise en place des accompagnements individuels a été plus lente, les personnes consommatrices d’alcool sont aujourd’hui accueillies et accompagnées de la même façon. Le projet RDR Alcool a conduit à détendre la façon dont est abordée en entretien individuel la question des consommations d’alcool et l’approche de ces consommations s’est débloquée et « déformatée ». Le volet social prend toujours beaucoup de place dans les accompagnements.
Impact pour les usagers (parcours individuels)
Peu d’éléments quantifiés sont disponibles pour mesurer et comparer l’évolution des trajectoires des usagers accompagnés au CAARUD avant et après la mise en place du projet.
Quant à l’appréciation par les usagers de cette nouvelle approche, ceux-ci expriment une satisfaction en majorité. Mais pour certains professionnels, le discours qu’ils tiennent est trop proche de celui qui leur est présenté en termes d’objectifs pour ne pas mériter une exploration plus approfondie. Le sujet de la sécurisation des consommations mériterait ainsi d’être approfondi par une enquête spécifique pour mieux comprendre comment eux le vivent.
Enjeux repérés
Le travail partenarial et de plaidoyer est une des conditions de réussite clé du projet. D’autres ingrédients clés ont été identifiés par l’équipe (voir schéma ci-dessous).
La RDR Alcool a vocation à se poursuivre et continuer d’évoluer au CAARUD AXESS.
[1] Pour en savoir plus : www.groupe-sos.org/structure/caarud-axess/
[2] Source : Projet d’établissement 2018-2023
[3] Extrait du rapport d’établissement
[4] Pour en savoir plus : https://www.facebook.com/CollectifMoDusBibendi/
[5] Plusieurs fiches de capitalisations, issues de SeRra, illustrent ce travail de plaidoyer en faisant le récit de l’appui apporté par AXESS à l’élaboration d’un projet de réduction des risques alcool, voir notamment les fiches :
2. https://www.capitalisationsante.fr/capitalisations/journees-cannettes-ouvertes-2016-2021/
[6] Pour en savoir plus : https://assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/flca_ami_dihal_vdef.pdf‘