Journées « Cannettes ouvertes » (2016-2021)

En 2016, le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (CAARUD) La Case à Bordeaux a lancé les journées « Cannettes Ouvertes ». Ces journées ont permis à l’équipe d’expérimenter plusieurs façons d’aborder la réduction des risques autour du produit alcool au CAARUD. Elles ont abouti à la mise en place d’un accueil avec alcool quotidien à La Case à partir de décembre 2021.
Durant les journées « Cannettes ouvertes », qui étaient mensuelles, les usagers du CAARUD pouvaient amener et consommer de l’alcool au sein de la structure. Après un premier temps d’expérimentation sans autres règles supplémentaires que l’autorisation ponctuelle de consommer de l’alcool, durant lequel des effets non-souhaités se sont produits, un cadre plus fort a été mis en place pour les journées et plusieurs règles avaient été instaurées :
- L’interdiction de partager son produit avec d’autres usagers
- L’autorisation de boire deux types d’alcool (bière et vin)
- L’utilisation de verres en plastique
- L’autorisation de consommer au maximum l’équivalent de 3 bières de grandes tailles

28/11/2022

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Capdeboscq Olivier
Responsable de la structure – Cadre éducatif
olivier.capdeboscq@lacase.eu

Thibaud Robin
Éducateur spécialisé

Présentation de l’intervention

Présentation de la structure

La Case[1] est une association regroupant 4 services à Bordeaux :

  • un Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) ;
  • la gestion de 14 Appartements de Coordination Thérapeutique (ACT) ;
  • le dispositif Poppy (à destination des personnes en situation de prostitution) et
  • le Pôle de Renforcement des compétences.

Le projet des Journées « Cannettes ouvertes » a été mené au CAARUD, à l’espace d’accueil rue Saint-James[2]. Le CAARUD est ouvert tous les jours de 10h à 17h et propose de multiples services : douches, lavage du linge, accès aux soins, accès aux droits, accès à du matériel de prévention, actions de Réduction des Risques (RDR) … Sa file active est d’environ 2000 usagers par an. L’équipe du CAARUD est pluridisciplinaire, composée d’un responsable de la structure, deux infirmières, deux éducateurs spécialisés, un éducateur de santé, un médecin généraliste et un psychiatre. Il est à noter que « l’accès aux soins est une des particularités de [ce] CAARUD avec une proposition de service très médicalisée et une équipe sanitaire en conséquence[3] ». Cela permet de proposer en réponse directe au CAARUD des soins infirmiers, des consultations médicales (actes de médecine générale, en lien avec les consommations ou risques associés) et des consultations psychiatriques. L’équipe sanitaire veille également à accompagner vers le soin les usagers (dispositifs de droit commun et réseaux de soins en ville et à l’hôpital).

En 2019, environ 1200 usagers fréquentaient l’espace d’accueil (80 passages par jour). Plus des deux tiers des personnes reçues n’avaient pas de logement stable. Il s’agit pour partie d’un public « de grands précaires, sédentaires et urbains », plutôt âgés et fortement marginalisés, mais également pour partie de publics plus jeunes (20, 30 ans) dont des publics très jeunes, parfois mineurs (15-20 ans) particulièrement vulnérables et démunis. La majorité des personnes reçue est utilisatrice de drogues injectables (héroïne, crack, cocaïne). 38% déclarent consommer de l’alcool tous les jours[4], la quasi-totalité des usagers étant consommateurs d’alcool.

Contexte et objectifs

Jusqu’en 2014, la question de l’alcool était peu ou pas traitée au sein de la structure. Les professionnels du CAARUD focalisaient leur attention sur la consommation d’autres produits, notamment l’héroïne, la cocaïne et le crack, et les problématiques liées. La consommation d’alcool était un sujet de tensions, principalement perçue par les professionnels et les usagers du CAARUD comme la cause de violences, de troubles et de dégradations.

Afin d’ouvrir les discussions et de travailler à la réduction des risques liés à l’alcool (RDRA), le projet des Journées « Cannettes ouvertes » été initié en 2016 au CAARUD La Case. Ce nom a été proposé par les usagers du CAARUD : alors qu’ils étaient autorisés à se rendre au CAARUD avec des cannettes fermées, ils ont pu durant ces journées les ouvrir et les consommer sur place. Le projet a permis d’arriver à la mise en place d’un accueil avec alcool quotidien au CAARUD, à partir de décembre 2021.

Calendrier

Principaux éléments saillants

La mise en place des Journées « Canettes Ouvertes » s’inscrit dans un processus d’évolutions des pratiques au sein du CAARUD sur un temps long au CAARUD La Case, dont voici le récit des principales étapes.

Émergence et élaboration du projet

En 2014, lors de discussions informelles durant la préparation de la journée des 10 ans des CAARUD[5], le responsable du CAARUD AXESS[6] a partagé son expérience d’accueil avec alcool avec le responsable du CAARUD de La Case. Cet échange a amorcé des questionnements au sein de l’équipe de La Case sur le statut de l’alcool au CAARUD, sur le rapport de l’équipe à ce produit et des conséquences que cela pouvait avoir sur les usagers. L’organisation de réunions d’équipe ont permis de poser plusieurs constats :

  • La quasi-totalité des usagers du CAARUD consommaient de l’alcool. Parmi eux, une grande partie consommait rapidement des canettes de bière, ou du vin, avant de rentrer dans la structure. Leur état de suralcoolisation ne permettait pas de les accompagner correctement à ce moment-là.
  • Les usagers sortaient de la structure pour consommer de grandes canettes de bière, avant de re-rentrer, interrompant leurs activités ou entretiens, portant préjudice à leur accompagnement (pertes du fil de l’entretien, absences).
  • Un grand nombre d’usagers avaient des consommations d’alcool jugées comme problématiques (consommations massives, dépendance).
  • Un grand nombre de nuisances quotidiennes au CAARUD étaient dues à l’alcool (violences, injures, tensions).
  • Interdire la consommation d’alcool à l’intérieur du CAARUD avait conduit à limiter grandement les discussions au sein du CAARUD autour de ce produit et des problématiques qui peuvent y être liées. En effet, le responsable de La Case se rappelle que la structure « était dans la direction complètement opposée à celle du CAARUD AXESS : l’alcool faisait partie des produits complètement interdits dans le local et presque interdits aussi en termes de discussions »

Ces constats ont conduit l’équipe à questionner sa posture et mettre au jour le fait qu’elle ne permettait pas de bien prendre en compte les problématiques des usagers liées à l’alcool.

Formation à la RDRA

Pour accompagner ses réflexions et monter en compétence, l’ensemble de l’équipe du CAARUD a participé à une formation à la réduction des risques liés à l’alcool (RDRA) menée par l’association Santé ![7]. La formation a permis de convaincre les professionnels de l’apport d’une stratégie de RDRA, notamment pour améliorer la qualité des accompagnements des usagers. Elle a également permis questionner les représentations de l’équipe autour de la consommation et des consommateurs d’alcool, sur l’image du « bon buveur » (celui qui boit un peu, et du bon vin … bordelais !), et celle du « mauvais buveur » (l’alcoolique, qui serait celui qui boit beaucoup et de l’alcool de mauvaise qualité), etc. Ces éléments ont fait écho à des pratiques qui pouvaient renforcer la stigmatisation de consommateurs d’alcool du CAARUD et qui pouvaient être défavorables à des échanges autour de l’alcool.

Premières expérimentations

À la suite de la formation, l’équipe a décidé d’organiser sous forme d’expérimentations au printemps 2016 quelques journées où la consommation d’alcool a été autorisée. Les dates de ces journées étaient aléatoires et elles se tenaient sans règles particulières : les usagers qui se présentaient pouvaient simplement boire sur place. Durant ces quelques mois, ces journées n’ont tout d’abord pas été annoncées à l’avance aux usagers, afin de créer un effet de surprise pour inciter les usagers à se questionner et aborder le sujet de l’alcool, puis annoncées quelques jours à l’avance. Le rythme d’une journée par mois a été choisi, d’une part, pour avancer pas à pas et expérimenter l’accueil avec alcool sur un temps court, et d’autre part, en tenant compte des différentes réticences des usagers.

L’équipe avait également interrogé les usagers durant des conseils de la vie sociale (CVS) afin de recueillir leurs retours sur la mise en place de journées avec alcool. La plupart des usagers présents étaient contre, évoquant :

  • Le souhait de préserver l’équilibre du lieu. Pour les usagers, l’accueil avec alcool aurait mis en danger cet espace de repos, de protection, et de rupture avec la vie de rue qu’est le CAARUD. En effet, pour les usagers interrogés, il représentait un espace d’entre deux, qui n’est ni dans le droit commun, ni soumis aux risques liés au sans-abrisme et qui leur permet de trouver un lieu où ils se sentent acceptés. Ils craignaient donc que l’accueil avec alcool brise cet équilibre.
  • Le CAARUD comme sanctuaire sans alcool. Les usagers ont ainsi partagé le fait que le CAARUD est un lieu qui aide, du fait de l’interdit à consommer à l’intérieur de la structure, à ne pas consommer.
  • La crainte d’une gestion compliquée. Les usagers ont fortement questionné la capacité des professionnels à préserver le CAARUD de débordements (violences, vols, tensions) dus à l’alcool.

« On a fait un travail éducatif, en expliquant aux usagers pourquoi on avait besoin de parler des consommations d’alcool avec eux et dans quel but : pourquoi on ne pouvait pas juste les laisser à la porte et pourquoi il fallait qu’on en sache plus sur leur état de santé par rapport à ça, qu’on ne [pouvait] pas parler que d’injection ou de sniff. Il y a aussi d’autres produits qui créent des soucis et on ne peut pas les balayer d’un revers de la main parce qu’on ne veut pas en parler. Il fallait qu’on puisse parler de leur santé avec eux, et la santé, avec des consommations d’alcool élevées, c’est un élément important. » 

Olivier Capdeboscq, responsable de la structure – cadre éducatif

« L’idée, pour nous, c’était à la fois de continuer à faire en sorte que le CAARUD, ça soit un centre de soins [qui] puisse être un peu un cocon où ils viennent se reposer, être protégés… Et en même temps qu’on puisse parler de ces sujets-là et qu’ils ne restent pas bloqués à la porte pendant qu’eux sont à l’intérieur. »

Thibaud Robin, éducateur spécialisé

Après plusieurs mois d’expérimentation, l’équipe a constaté que se produisaient les effets non désirés suivants :

  • Il est apparu que pour les usagers, les journées avec alcool organisées de manière mensuelle se transformaient en évènements exceptionnels et festifs. Ces journées devenaient des moments de partage durant lesquels les usagers ont organisé des apéritifs et des concours autour d’alcools forts.
  • Certains usagers s’alcoolisaient massivement, et en groupe, lors de ces journées.
  • Certains usagers basculaient dans la consommation d’alcool fort lors de ces journées, pour participer aux apéros collectifs, alors qu’ils ne consommaient d’habitude des bières ou du vin.
  • Du fait de la quantité d’alcool consommée, la qualité de l’accueil a diminué et l’équipe avait du mal à se saisir de cette journée pour accompagner les usagers du CAARUD.

Pour l’équipe, il est rapidement apparu que la méthode suivie pour ces premières expérimentations, qui « ne tenait pas compte de l’expérience des autres CAARUD » reconnait O. Capdeboscq a posteriori, n’était pas la bonne. Rétrospectivement, l’idée de s’appuyer sur une journée exceptionnelle pour favoriser le travail autour de l’alcool apparait pour l’équipe comme contre-productive : l’exceptionnalité n’induit pas la réflexivité attendue. Une journée qui s’inscrit dans « un cadre régulier, dans quelque chose de classique et de normal pour les usagers » semble préférable pour aborder le sujet. En s’inspirant des expériences d’accueil avec alcool déjà mises en place et des salles de consommation à moindre de risque, l’équipe a travaillé à partir de 2017 à mettre en place un cadre pour ces journées mensuelles d’accueil avec alcool.

Les journées « Canettes Ouvertes » au CAARUD La Case

Au printemps 2018, de nouvelles règles durant les journées « Cannettes Ouvertes » sont mises en place. Chaque règle souhaitée par l’équipe a été soumise aux usagers, durant les CVS en 2017, afin de recueillir leurs avis. Plusieurs règles ont été mises en œuvre, en accord avec les usagers :

  • La consommation d’alcool autorisée le premier jeudi de chaque mois : la régularité de ces journées a été bien acceptée par les usagers et s’est installée, sans bouleverser l’organisation du CAARUD. Par ailleurs, il n’était pas interdit d’avoir de l’alcool sur soi les autres jours du mois et les consommations pouvaient être déposées derrière le comptoir.
  • L’interdiction de partager son produit : sur le modèle des règlements des salles de consommation à moindre risque, les usagers ne sont plus autorisés à partager leur produit. Cela permet notamment d’éviter l’organisation d’apéritifs et le partage d’alcool fort dans le cadre de concours entre usagers.
  • Deux types d’alcool acceptés : la bière et le vin. Durant les CVS, les usagers ont été interrogés sur les alcools qu’ils buvaient quotidiennement. Une très forte majorité des usagers avait évoqué le vin et les bières. En accord avec eux, il a été décidé que seuls ces alcools seraient acceptés au sein du CAARUD.
  • L’autorisation de consommer au maximum l’équivalent de trois grandes cannettes de bières par demi-journée : c’est la quantité que les usagers ont indiqué boire quand ils ont été interrogés sur la quantité d’alcool bu régulièrement. C’est pourquoi cette règle avait été instaurée, avec pour fonction de servir de repère pour les usagers et les professionnels du CAARUD. Aucune sanction n’était prévue en cas de dépassement. Le seuil n’était pas non plus surveillé par l’équipe, qui ne souhaitait pas être dans un rôle « infantilisant » vis-à-vis des usagers. Lorsque les professionnels pouvaient remarquer un usager buvant plus que d’habitude, ils le lui indiquaient et chercheraient à amorcer une discussion, soit sur le moment ou sinon, plus tard lorsque l’usager était dans un état permettant d’échanger.
  • L’utilisation de verres en plastique : l’alcool doit être bu dans des verres en plastique. L’objectif était de marquer une rupture avec la consommation d’alcool dans la rue, qui se fait habituellement au goulot. Cet usage avait pour but, d’une part, d’inciter les usagers à questionner leurs consommations d’alcool, et d’autre part, de réaffirmer, par l’objet, qu’ils sont dans un centre d’accueil et de soin.

Ces règles sont souples. Leur non-respect par un usager était l’occasion d’un échange avec celui-ci sur le pourquoi de cette transgression. Il est arrivé aussi fréquemment que des usagers boivent de l’alcool durant d’autres journées, par oubli ou pour tester le cadre fixé que les professionnels rappelaient alors.

De nouveaux outils

Lors des jeudis « Cannettes ouvertes », l’équipe a proposé une animation spécifique dans le CAARUD avec des ateliers et des outils afin de promouvoir les échanges autour de l’alcool :

  • Proposition de consultations individuelles par un médecin hépatologue : l’intervention du médecin permettait de faciliter l’accès aux soins et de permettre d’évoquer les problématiques de santé liées aux consommations d’alcool. En 2021, un psychiatre est intervenu également.
  • Un stand et des posters étaient installés dans le hall du CAARUD. Ces posters montrent des foies en 3D ou encore des informations sur la RDRA (hydratation, nutrition, connaissance de soi et de ses limites). Sur le stand, des plaquettes d’informations étaient disponibles, portant sur la RDRA ou sur l’utilisation de Tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) relatifs à la consommation d’alcool. Un atelier sous forme jeu de cartes a été également proposé.
  • À la demande des usagers, qui ont souhaité bénéficier d’un espace d’expression pour échanger sur leurs expériences et difficultés liées à l’alcool, des groupes de parole autour de l’alcool ont été organisés.
  • L’accès à un Fibroscan : la proposition d’examen par Fibroscan permettait d’aborder les risques de santé liés à la consommation d’alcool et de proposer un entretien avec un médecin si besoin. Au sein du CAARUD La Case, tous les professionnels ont été formés à l’utilisation du Fibroscan de manière à pouvoir proposer aux usagers un examen dès lors qu’ils le souhaitaient.

« Lors d’un jeudi avec accueil avec alcool, on a pu proposer à un usager qui consommait quotidiennement de l’alcool de faire un Fibroscan et de rencontrer le médecin.  Durant la journée, il a commencé à parler de ses consommations, de se plaindre de douleurs assez importantes, etc. Il disait : « Je ne suis jamais allé faire d’examens médicaux. Je suis toujours alcoolisé et je n’ai pas envie d’y aller. Je sens que je vais être mal reçu si je dois faire un scanner et que je suis complètement saoul. Alors, je n’en ai jamais parlé. »

Grâce à cette journée, on a pu lui faire passer un Fibroscan. On s’est rendu compte malheureusement qu’il avait des gros problèmes de santé qui nécessitaient des interventions. Ça a été un levier motivationnel pour lui. Aujourd’hui, il est abstinent, mais surtout il a pu rentrer dans une démarche de soin. »

Thibaud Robin, éducateur spécialisé

Des éthylotests étaient également disponibles pour les usagers lors des premières journées « Cannettes ouvertes ». Cependant, ils étaient principalement utilisés pour faire des concours entre usagers, favorisant l’alcoolisation massive et les états de suralcoolisation. Suite à quoi, la distribution d’éthylotests a été abandonnée.  

L’équipe a également souhaité renforcer lors des journées les messages autour de l’hydratation, en mettant en place un système de fontaine à eau. De l’eau est toujours disponible au CAARUD, il s’agissait plutôt de susciter grâce à une fontaine la réflexion chez des usagers « qui s’hydratent quasiment exclusivement avec de la bière ». Aucune collation n’était cependant proposée, à la fois pour des raisons logistiques et par souci de rester sur la mission première du CAARUD : l’accueil un public d’usagers de drogues.

Développement de la RDRA grâce aux journées « Canettes ouvertes »

Les journées « Canettes Ouvertes » permettaient de mettre un focus particulier sur la problématique de l’alcool le temps d’une journée grâce aux activités spécifiques décrites ci-dessus. Mais l’instauration des journées a permis à l’équipe de basculer de paradigme et de mieux intégrer l’alcool comme produit à aborder dans un accompagnement global d’un usager, car sa consommation d’alcool comme celle de tabac causent des problèmes de santé à ne pas marginaliser (pour l’alcool, les hépatites par exemple).

Durant ces journées comme tout autre journée d’accueil au CAARUD, la façon d’aborder la RDRA avec les usagers individuellement est la même : se saisir lors de conversations informelles sur le temps collectif d’accueil d’un élément apporté par un usager, pour ensuite lui proposer d’aborder le sujet de façon plus approfondie dans un échange en face-à-face dans un des bureaux, etc. Cela permet par la suite à un intervenant de réfléchir à des solutions avec l’usager, pour mieux gérer sa consommation et limiter les conséquences négatives liées à l’alcool.

Différents leviers permettent de réduire les risques sanitaires encourus par les usagers en raison de leur consommation d’alcool, que l’équipe actionne également en dehors des journées Canettes Ouvertes :

  • en abordant les consommations d’alcool avec les usagers dans le cadre des accompagnements en veillant à comprendre les besoins de l’usager vis-à-vis de ce produit :
    • en accompagnant des usagers souhaitant réduire leurs consommations dans l’élaboration de stratégies pour. Ces stratégies sont individualisées. Pour un usager par exemple, cela a consisté à tenter de diminuer la quantité d’alcool consommée en diluant la bière bue dans ses canettes.
    • en accompagnant les usagers dans leurs polyconsommations et en abordant mieux l’alcool dans la discussion de ces usages (cocaïne et alcool par exemple).
    • en conseillant les usagers ayant un projet d’arrêt, sur les risques d’un sevrage brutal, sur les orientations possibles pour ce type de projet (CSAPA, médecin, etc.).
  • en accueillant des personnes alcoolisées quel que soit leur niveau d’alcoolisation et en n’excluant pas du dispositif des usagers alcoolisés : « un usager peut arriver en étant totalement alcoolisé, on ne lui interdira pas l’entrée du CAARUD ; et on ne lui refusera jamais non plus ni de lui donner des conseils, des informations sur l’alcool, sur les produits, [ni] l’accès aux soins. ».
  • en permettant aux usagers d’accéder à des soins au CAARUD, même si/quand ils sont alcoolisés : consultations médicales, examen, Fibroscan, etc. Cela permet de lever des freins d’accès ou d’auto-censure rencontrés par ces usagers.
    Durant les journées Canettes Ouvertes, il est même autorisé de consommer de l’alcool durant les entretiens individuels. L’équipe constate que cela permet aux usagers d’être rassurés et de se focaliser sur la résolution de leurs problématiques (accès à un logement, à des soins, l’obtention de droits).

« Par exemple, notre médecin accueille des personnes qui sont alcoolisées quasiment à chaque consultation. Il n’y a pas de frein par rapport à ça. C’est-à-dire qu’il n’y a aucun prérequis, avant l’accès aux soins, d’être sobre ou de n’être pas beaucoup alcoolisé : la personne vient comme elle est. »

Thibaud Robin, éducateur spécialisé 
  • en soutenant les usagers les usagers qui le souhaitent dans des démarches de soin en CSAPA, à l’hôpital ou en ville (orientation vers des professionnels adaptés, lettres de recommandations, etc.)

Des journées « Canettes Ouvertes » à la mise en place d’un accueil avec alcool au CAARUD au quotidien en 2021

Après plusieurs années, une certaine routine s’était installée. Il arrivait ainsi en 2020 que des usagers ou des membres de l’équipe oublient qu’il s’agit d’une journée où la consommation d’alcool est autorisée.

Les réflexions autour de la RDRA ont été reprises en 2021, en CVS et au sein de groupes de travail avec l’équipe du CAARUD, afin de travailler à redynamiser et approfondir la façon dont la thématique « alcool » est abordée au CAARUD. Il n’était pas possible d’envisager d’étendre les journées « Canettes Ouvertes », dans leur format initial (avec animations et activités dédiées) au-delà d’une occasion ponctuelle, en raison de la charge de travail nécessaire à leur organisation. Toutefois, l’équipe était confortée après plusieurs années d’expérience des journées dans sa capacité à accueillir des usagers au CAARUD avec alcool.

Pour poursuivre la démarche, il a été décidé d’engager en 2 temps distincts la mise en place d’un accueil avec alcool, pour lequel un règlement a été instauré en 2021, puis la mise en place d’un accompagnement individuel RDRA des usagers du CAARUD (prévue en 2022). La décision de procéder en 2 temps permet de prendre le temps de répondre à une demande de formation des intervenants au CAARUD, qui expriment actuellement un besoin d’outils spécifiques et supplémentaires pour mettre en place des accompagnements individuels en RDRA.

L’accueil avec alcool mis en place au quotidien ne suit pas les mêmes modalités que pour les journées canettes ouvertes, dans la mesure où ne sont pas organisés d’ateliers spécifiques chaque jour, etc.

Pour O. Capdeboscq, l’objectif dès l’origine des journées « Canettes Ouvertes » était « d’arriver à un accueil quotidien avec alcool », mais en douceur et en prenant le temps de construire la démarche avec l’équipe.

Pratiques et postures professionnelles

Les intervenants du CAARUD sont formés pour être polyvalents : les intervenants sociaux sont formés sur beaucoup d’actions sanitaires et réciproquement, les intervenants sanitaires sont formés à l’ouverture et l’accès aux droits, par exemple, pour faciliter l’accompagnement d’un usager dans sa globalité et pour rapprocher le plus rapidement les bénéficiaires du soin.

L’approche RDRA développée par l’équipe de la Case s’inscrit dans les fondamentaux de la RDR : travailler avec des gens qui vont garder leurs pratiques sans les modifier, et accepter que l’on travaille sur les conséquences négatives des pratiques, « et tant pis s’ils ne les modifient pas ». En promouvant un accueil inconditionnel, ainsi qu’une écoute bienveillante et non-jugeante, l’équipe souhaite favoriser la relation de confiance et encourager les échanges autour des différentes problématiques rencontrées par les usagers. Elle constate que l’évolution de la posture de l’équipe autour de l’alcool a permis qu’une meilleure alliance thérapeutique s’instaure avec les usagers. Ils constatent que désormais, les usagers ne se sentant plus obligés de masquer leurs consommations d’alcool, de meilleurs accompagnements sont possibles, plus francs, sans faux-semblants.  

Bien que l’équipe souhaite être davantage outillée avant de se lancer formellement dans des accompagnements de RDRA au CAARUD, l’évolution du cadre institutionnel et de la posture de l’équipe depuis les premières expérimentations en 2016 fait que le CAARUD a déjà adopté une approche de RDRA. L’acceptation de la problématique alcool dans le local le montre.

«L’équipe peut avoir comme objectif qu’on aboutisse à une diminution des consommations ; mais on peut aussi avoir comme seul objectif de protéger les gens pendant qu’ils consomment, sans qu’il y ait un impact sur leur consommation. Le CAARUD, c’est l’endroit où ils vont pouvoir être sécurisés. Peut-être que ça n’aura aucun impact sur leurs consommations ou sur une diminution ; mais cet objectif de protection des usagers quelles que soient leurs consommations est le plus important. »

Thibaud Robin, éducateur spécialisé 

Principaux enseignements

Résultats observés au sujet des journées « Canettes Ouvertes »

L’ensemble des usagers du CAARUD sont devenus favorables à l’organisation de journées d’accueil avec alcool au fil du temps. Afin d’évaluer les jeudis « Cannettes ouvertes », une évaluation qualitative de l’action était réalisée chaque mois par les professionnels du CAARUD, en s’appuyant sur les retours en CVS et durant les réunions d’équipe. Ces éléments sont répertoriés dans les comptes-rendus des réunions. Il a notamment été noté que :

  • Après avoir instauré le nouveau cadre au printemps 2018, l’équipe a constaté très peu de nuisances relatives à la consommation d’alcool. Le nombre de relations conflictuelles et de tensions, entre usagers, ou avec l’équipe, a également fortement diminué.
  • L’accueil avec alcool a favorisé les échanges et retours des usagers autour de leurs problématiques liées à l’alcool : « ça a fait comprendre aux usagers qu’on était d’accord pour en discuter ». Particulièrement, lors des journées « Cannettes Ouvertes », l’organisation d’animations supplémentaires (stands, interventions de l’hépatologue) a permis d’augmenter le nombre de discussions conduisant à des accompagnements.
  • La part d’usagers ayant réduit ou arrêté leurs consommations d’alcool, voire ayant réussi un parcours d’insertion vers le logement ou l’emploi s’accompagnant d’une réduction des consommations d’alcool, est très minoritaire, mais concerne bien quelques usagers depuis 2016.
  • Les usagers ont partagé le fait qu’une des difficultés les plus importantes auxquelles ils font face est la dégradation de leur estime de soi. Les journées « Cannettes Ouvertes » ont permis de réduire la stigmatisation entourant la consommation d’alcool et de travailler sur ces problématiques.

Les contributeurs interrogés dans le cadre de cette capitalisation constatent que :

  • La mise en place des journées et la formation RDRA ont permis de faire évoluer les pratiques de l’équipe, faisant de l’alcool produit dont on parle aussi au CAARUD.
  • La problématique « alcool » est désormais intégrée à la culture d’équipe du CAARUD.
  • Les compétences de l’équipe ont augmenté autour du produit et des risques associés, ainsi que des risques liés aux comorbidités ou aux associations de produits.

L’équipe souhaite mieux évaluer si l’accueil avec alcool permet d’améliorer le nombre et la qualité des accompagnements.

Freins et leviers

  • La formation de l’ensemble des professionnels du CAARUD à la RDRA a permis de renforcer les compétences de l’équipe sur le produit et une posture commune. Elle a permis à l’équipe d’identifier des pratiques de RDR adaptées à l’alcool, autres que l’alternative sevrage ou laissez-faire. Elle a également permis à l’équipe d’être plus à mêmes d’identifier les problématiques des usagers liées à l’alcool, notamment celles relatives aux effets de dépendance.
  • L’acceptation par l’équipe d’accueillir des gens qui vont consommer (beaucoup) d’alcool et la présence de personnes très alcoolisées sur un temps d’accueil est une condition nécessaire.
  • L’exceptionnalité des journées « Canettes Ouvertes » permet de faire un focus spécifique durant des journées dédiées à la thématique. C’est un levier efficace pour mettre en valeur une thématique, quelle qu’elle soit, et de mobiliser équipe et usagers du CAARUD sur ce sujet.

[1] Plus d’informations : https://www.lacase.eu/association/presentation

[2] Un second espace d’accueil géré par LA CASE a ouvert depuis 2021, à L’Espace Bastide est situé 5 Quai des Queyries.

[3] La Case, Rapport d’activité 2019, p15.

[4] Données extraites de l’enquête Ena-CAARUD 2019 menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

[5] http://www.caarud-10ans.fr/

[6] Pour plus d’informations, voir https://www.groupe-sos.org/structure/caarud-axess/ et la fiche de capitalisation du projet

[7] Site de l’association Santé ! : https://www.sante-alcool.fr/