Amélioration des parcours de personnes en situation de précarité face aux cancers

27/02/2023

Interview de Julien Carretier, à l’occasion de la sortie d’une analyse transversale de projets capitalisés de parcours de personnes en situation de précarité face aux cancers

Cette interview a été réalisée dans le cadre du Dossier du Mois de la Société Française de Santé Publique que vous pouvez retrouver ici.

Julien Carretier – Membre de la SFSE

Responsable projets santé publique, Centre national fin de vie soins palliatifs

Laboratoire Parcours Santé Systémique (P2S), UR4129, Université Claude Bernard Lyon 1

Que retenez-vous de votre participation au groupe de travail sur la capitalisation ?

Ma participation à ce groupe de travail m’a permis de faire la connaissance de collègues issues de structures avec lesquelles la communauté scientifique en cancérologie a moins l’habitude de collaborer de manière transversale, et en particulier sur les questions de précarité. Les structures rencontrées sont celles issues notamment du médico-social et d’associations très investies dans l’accompagnement des personnes en situation de grande fragilité, les plus éloignées du système de santé.

La découverte des activités de chacun et le partage des connaissances et expériences de terrain ont considérablement nourri la structuration des missions de ce groupe de travail, tant du point de vue méthodologique (critères de sélection, démarche d’évaluation des capitalisations, processus de décision…) que des résultats attendus des capitalisations d’expérience retenues.

Toutes les discussions et débats de ce groupe ont par ailleurs été menés avec une très grande qualité d’écoute mutuelle et une animation structurée et fluide de la SFSP, ce qui a rendu l’exercice particulièrement enrichissant d’un point de vue personnel et professionnel.

Quels intérêts percevez-vous à l’utilisation de la capitalisation comme méthode pour renforcer les modalités de participation des personnes en situation de précarité face au cancer ? 

Les intérêts sont multiples. La capitalisation est une méthode très pertinente pour faire émerger des approches participatives éprouvées en situation complexe où la prise en charge du problème de santé, ici un cancer – mais souvent il y a plusieurs pathologies associés – n’est pas toujours la problématique principale des personnes. Cette analyse des modalités de participation des personnes en situation de précarité face au cancer nous éclaire sur la diversité des parcours, met en exergue les besoins spécifiques, attentes et priorités, les limites des dispositifs proposés, et facilite l’identification d’expériences prometteuses tout en soulignant les difficultés. Ces travaux de capitalisation apportent ainsi des pistes très intéressantes pour amélioration les dispositifs d’accompagnement de ces publics.

Votre expérience professionnelle porte sur la facilitation de l’accès à l’information des usagers face au cancer, que retenez-vous sur ce sujet des initiatives capitalisées ? 

Il s’agit d’initiatives qui confirment le rôle central d’une information adaptée aux besoins spécifiques de ces populations ; cette information n’est pas forcément d’emblée d’ordre médical, elle doit être personnalisée, humaine, sanitaire, sociale, pratique et au service d’un accompagnement à des situations de vie et des environnements très hétérogènes. Je retiens aussi de ces initiatives que l’intention de vouloir faire participer les publics précaires ne suffit pas à garantir des résultats probants et que l’activation de méthodologies participatives solides menées en co-construction avec toutes les parties prenantes sont essentielles pour réussir à atteindre les objectifs ; d’ailleurs nos collègues des sciences humaines et sociales et du design de services qui connaissent bien ces approches sont des partenaires précieux dans la co-construction de ces projets. Aussi, ce type d’initiatives vient nourrir les travaux de recherche transdisciplinaire qui sont à renforcer sur tous les territoires.

Que pourriez-vous dire de l’état actuel des politiques et des actions des acteurs de la prévention et de la prise en charge des cancers, pour l’accès à l’information des personnes en situation de précarité ? 

Il s’agit d’un enjeu majeur au cœur des actions prévues dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030. Cette stratégie marque un engagement fort pour renforcer et améliorer l’offre de santé et le service rendu à nos concitoyens, sur l’ensemble du continuum de la prévention, prévention primaire, dépistage, prévention secondaire, tertiaire (parcours post-cancers notamment) et quaternaire. Elle mobilise l’ensemble des acteurs de la lutte contre le cancer, de la santé, des associations de malades, aidants et usagers, et de la recherche, et cette politique de santé publique se doit d’être en phase avec les mesures des autres plans nationaux, notamment le plan précarité autonomie, le plan national santé environnement, le plan santé travail, le plan national nutrition santé et également – je le souhaite fortement – en articulation avec les mesures du plan national développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie 2021-2025.

De façon plus précise, en ce qui concerne les populations en situation de précarité, la feuille de route de la stratégie décennale de lutte contre les cancers fixe les objectifs prioritaires suivants :

  • lutter contre le tabac, en particulier auprès des personnes les plus vulnérables qui sont les plus concernées et pour lesquelles les actions menées jusqu’à présent ont accentué les inégalités et les fragilités
  • renforcer la mise à disposition de produits de qualité dans les épiceries solidaires et lors de la distribution de repas
  • développer une alimentation équilibrée accessible à tous
  • promouvoir pour tous et à tous les âges la pratique d’une activité physique adaptée et limiter les comportements sédentaires
  • améliorer les connaissances, la reconnaissance et la prise en charge des cancers professionnels et environnementaux et leur prévention.
  • améliorer l’accès aux dépistages des cancers

Les acteurs de la prévention se saisissent progressivement de ces priorités en privilégiant une approche populationnelle et territoriale (handicap, précarité, grande précarité, détenus, par exemple) qui s’avère être une approche probante pour apporter une réponse globale, pragmatique et adaptée aux besoins spécifiques de ces publics. Et comme cela est souligné dans la stratégie décennale, « les efforts déployés ne devront pas être cloisonnés : ils devront s’ancrer dans une logique de multidisciplinarité. »

Du point de vue de la recherche, l’Institut national du cancer a ouvert un appel à projet en 2020 sur l’« Amélioration du parcours de santé des personnes en situation de précarité face aux cancers » et soutenu 5 projets de recherche. Cet appel à projet visait à financer des projets améliorant le parcours de santé des personnes en situation de précarité face aux cancers par « des interventions probantes ou prometteuses dans une logique de transférabilité à d’autres territoires ou structures et de changement d’échelle d’intervention. Il pouvait s’agir d’interventions développées dans le champ du cancer ou sur d’autres champs et dont l’efficacité doit être réaffirmée dans le champ de la cancérologie. ». A suivre car les travaux sont en cours.

De par votre parcours professionnel, quelles recommandations spécifiques pourriez-vous faire ?

Je préconise de développer des supports d’information conformes aux critères de qualité de l’information santé, faciles à lire et à comprendre (FALC)[1], de co-créer des supports variés et accessibles (vidéo, brochure, site, jeux, outils d’aide à la prise de décision partagée en santé…) et des interventions de prévention de terrain en partenariat avec les acteurs relais territoriaux, dont les collectivités territoriales et les instances régionales d’éducation et promotion de la santé, en veillant à ne pas renforcer la fracture numérique avec le tout numérique.

Il est à noter que l’Institut national du cancer a récemment commencer à élargir son offre de documents d’information en les déclinant en FALC ; Santé Publique France en propose également depuis plusieurs années, ainsi les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers.

La lecture du guide « Communiquer pour tous », guide pratique à l’attention de ceux qui souhaitent concevoir une information accessible à tous (prix Prescrire 2021) est particulièrement intéressante à ce sujet.

Sans vouloir être exhaustif, je pense à 2 autres recommandations importantes :

  • renforcer et accélérer la formation des professionnels de la médiation en santé et de l’éducation et promotion de la santé. Ces métiers, qui ne sont plus vraiment nouveaux, manquent de reconnaissance et de valorisation en ville comme dans les structures hospitalières, médico-sociales ou associatives.
  • augmenter les financements de recherche, en particulier pour la recherche interventionnelle en prévention, celle-ci devrait être fortement encouragée au niveau national et européen en faisant de la lutte contre les inégalités sociales et environnementales de santé la priorité des priorités.

[1] La démarche FALC a pour but de faciliter l’accès à l’information aux personnes avec des difficultés de compréhension. Des règles européennes strictes sont à suivre pour permettre une simplification des documents et une meilleure compréhension.

En quoi la participation des personnes en situation de précarité vous semble être un moyen de faciliter le parcours de soins de usagers face au cancer ? Quelles sont vos principales recommandations pour faciliter cette participation ? 

Les données de la littérature mettent en évidence que l’un des freins majeurs à l’accès à la santé des personnes en situation de précarité est la difficulté d’ouverture des droits, dont ceux liés à la santé, et à la stabilisation des conditions et milieux de vie. Il y a également de nombreux freins organisationnels et psychosociaux (rapport au corps et à la maladie, perception des symptômes…), couplés à un niveau de littératie en santé insuffisant, ce sont autant de déterminants du parcours de santé des personnes. Il y a ainsi non pas un parcours de soins mais des parcours de santé.

Je recommande de favoriser l’implication des personnes avec des approches agiles, empathiques et adaptées dans un cadre sécurisé et bienveillant qui s’appuie sur une collaboration entre professionnels et patients/aidants ressources – la pair-aidance étant une clé de réussite pour faciliter le parcours de santé des usagers face à une maladie.

Cette participation des personnes en situation de précarité, bien qu’elle ne soit pas facile à engager pour toutes les raisons évoquées précédemment, va nous permettre de mieux identifier des solutions d’optimisation de ces parcours complexes et répondre efficacement aux attentes de nos concitoyens qui en ont le plus besoin.

Les acteurs de la prévention se saisissent progressivement de ces priorités en privilégiant une approche populationnelle et territoriale (handicap, précarité, grande précarité, détenus, par exemple) qui s’avère être une approche probante pour apporter une réponse globale, pragmatique et adaptée aux besoins spécifiques de ces publics.


POUR ALLER PLUS LOIN

Analyse transversale de capitalisation des savoirs expérientiels sur les actiosn d’amélioration des parcours de personnes en situation de précarité face aux cancers

Site internet du Centre national Fin de Vie Soins Palliatifs

Site internet du laboratoire P2S (Parcours Santé Systémique), UR 4129, Université Claude Bernard Lyon

Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 ; Feuille de route 2021-2025 ; Premier rapport au président de la République – février 2022

Plan national développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie 2021-2024