Présentation de l’intervention
Présentation de la structure[1]
Située en Seine Saint-Denis, la ville du Blanc-Mesnil dispose de deux Centres Municipaux de Santé (CMS). Structures de soins regroupant des spécialités médicales et paramédicales, elles accueillent à l’année plus de 16.000 patients. La mise en place de ces structures vise à proposer à la population une complémentarité à l’offre de médecine de ville. Les CMS du Blanc-Mesnil disposent de différentes offres (médecine générale et spécialisée, chirurgie dentaire, soins paramédicaux, programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP)). L’un des CMS dispose d’un service d’imagerie médicale qui propose la mammographie et est agréé pour le dépistage du cancer du sein. L’ensemble de la population peut accéder aux CMS dans la mesure où leurs droits sont ouverts auprès des organismes de sécurité sociale. En complément, la mairie propose différents services à cette offre[2].
Contexte[3] : La population du Blanc-Mesnil & sa santé
Le Contrat Local de Santé (CLS)[4] de la ville souligne certaines caractéristiques concernant sa population : un territoire « jeune », une hausse sensible des tranches d’âges les plus âgées, des taux de pauvreté supérieurs et un revenu médian inférieur aux données départementales et régionales, un IDH[5] classant le territoire en CLS prioritaire. En matière de santé, le territoire est marqué par une surmortalité quels que soient les âges et un taux de prévalence important en matière d’Affection de Longue Durée (ALD), notamment chez les adultes. En matière de cancer, le taux de participation au dépistage organisé du cancer du sein (DOCS) est de 44,6% et du cancer colorectal de 26%. Même si ses résultats sont en deçà des performances nationales (49,3% pour le sein et 28,9% pour le colorectal), la ville se place au-dessus des résultats régionaux et départementaux[6].
Objectif de l’action
La municipalité a donc déterminé, en collaboration avec toutes les parties prenantes, dans le cadre de son CLS et notamment de la fiche action 11 dont l’axe stratégique est de renforcer les initiatives en faveur de l’amélioration de la santé de la population, une action visant à sensibiliser cette dernière à l’intérêt du dépistage des cancers, portée par la ville et notamment son Atelier Santé Ville.
L’action s’est déroulée sur l’année 2019 avec comme point d’orgue Octobre Rose. Selon les contributeurs, elle a eu pour ambition d’améliorer la prévention des cancers et promouvoir le recours au DOCS (Dépistage Organisé du Cancer du Sein). Pour se faire, elle a déployé une action sur la durée en mobilisant les CMS de la ville et notamment, pour la réalisation de l’ « objet » de promotion, le groupe d’habitants « les petites mains du cœur ».
Principaux acteurs et partenaires
En complément des dispositifs de la ville (CMS et ASV), la municipalité a collaboré avec Le Comité Régional de Coordination des Dépistages des Cancers (CRCDC) de la région, le Comité 93 de la Ligue contre le cancer (LCC), La Caisse Primaire d’Assurance Maladie, le Commissariat Général à l’Egalité des territoires. D’autres organisations, publiques ou privées (Centre commercial, Maisons pour tous), ont participé à son déploiement. Les habitants ont également été sollicités et mobilisés dans le cadre de ce challenge collaboratif.
Principaux éléments saillants
Point de départ – Émergence du projet
La municipalité du Blanc-Mesnil a pu collecter un certain nombre d’éléments autour des questions d’accès au DOCS de sa population sur les raisons pour lesquelles les personnes n’intégraient pas l’offre de dépistage (via l’ASV : manque de motivations, pas d’accès aux droits, méconnaissance du dispositif), mais aussi concernant les difficultés à faire venir les femmes (via les constats des CMS : incompréhension de la démarche, peur du diagnostic). Partant de ces constats, elle a, en 2018, mis en œuvre un projet d’actions autour d’ « Octobre Rose » qui associait activités au sein de Maisons de quartier, match national de hand féminin, conférence organisée dans un cinéma permettant d’aborder le sujet, action d’information sur la technique de dépistage permettant de la découvrir in situ (visite du centre d’imagerie du CMS et explication du processus). La conférence (animée par le Dr Bourguignat, membre de la LCC) avait fait l’objet d’une bonne participation, selon le témoignage des contributeurs. Cependant, l’axe permettant à la population de découvrir la démarche de dépistage n’avait pas rencontré son public.
Développer une stratégie de communication pré-évènement
Si pour le Dr Bourguignat, Octobre Rose a un « retentissement médiatique considérable », un temps d’éclaircissement auprès du public est primordial pour expliquer plus précisément l’intérêt de la démarche de dépistage. Pour M. Martin, s’il est important qu’il y ait un instant clé, se réduire à cet évènement reste restrictif. Il faut générer tout au long de l’année un bruit de fond pour susciter l’intérêt de la population. Le bilan de l’expérimentation de 2018 a pu établir un niveau de communication de proximité insuffisant auprès des acteurs relais pour mobiliser et accompagner la population vers ces actions. Face au manque d’impact de la mise en lien de la population avec le dispositif de dépistage, deux axes de réflexion ont mobilisé les organisateurs : être entendu et audible par les populations sur le sujet ; préparer la population à l’évènement pour favoriser son implication.
L’idée a donc été la mise en œuvre d’une action de communication jamais encore réalisée sur la ville, ludique, fédératrice et en amont des évènements d’octobre pour diffuser l’information, permettre son appropriation en dédramatisant le sujet. Cela a abouti à la mise en place d’un défi sur l’année. En prenant appui sur un groupe d’habitants déjà impliqués, notamment dans la réalisation chaque année des rubans roses, les échanges ont fait émerger l’idée de concevoir un ruban géant à base de laine. Le travail a débuté en janvier pour un lancement du défi en avril avec une communication sur l’ensemble du territoire : tout le monde, sans restriction, pouvant participer (en tricotant, en donnant de la laine, en faisant un don financier). L’écharpe réalisée (25 m sur 30 cm de large) a servi de support de communication sur les différents sites des actions d’Octobre Rose en 2019.
Parmi les différentes manifestations qui ont eu lieu sur la semaine du 21 octobre[7], des ateliers ont pu être développés dans le cadre des Maisons pour tous[8] selon le processus suivant :
Enfin, l’objet a été détricoté pour réaliser des couvertures qui ont été données au service de Médecine et Réanimation Néonatales de l’hôpital Necker pour les familles dans le besoin. Cette action a donné au projet une ambition de solidarité allant au-delà de la question du cancer du sein et a apporté une dimension écologique en intégrant la notion d’utilisation durable des ressources.
Principaux enseignements
Résultats observés
Dans le contexte COVID-19, toutes les actions des CMS ont été réorientées sur cette problématique. Aussi, les promoteurs n’ont pu évaluer l’impact de leur action. Le Dr Bourguignat précise tout de même lors de l’entretien qu’après un retard en matière de dépistage suite au contexte épidémique, les données actuelles montrent une reprise effective proche de la normale pour ce territoire.
De manière qualitative, les promoteurs de l’action soulignent plusieurs éléments :
Concernant la population | – Un lien renforcé avec la population (et possiblement entre les habitants), en ayant réussi à les mobiliser sur une longue période, en donnant du sens à l’action, avec un challenge inclusif bien perçu. – Avoir pu développer une stratégie pour permettre aux femmes de participer et constituer des groupes de personnes pouvant parler simplement d’une thématique santé à leurs pairs. – D’aborder une problématique sociale, comme celle de l’ouverture des droits, en amenant les personnes à participer à une action sur la santé. – Avoir une modalité (les convivialités) qui leur permet d’aborder les questions nutritionnelles, en lien avec les coutumes, les traditions, les habitudes et répondre à une autre problématique (le fort taux de diabète de la population et donc des facteurs aggravés de cancer). |
Concernant leur relation avec l’environnement | – Avoir mieux fait connaitre à la population les services de santé de la ville et les partenaires comme la LCC. – Avoir des interlocuteurs pour communiquer sur leur action auprès des habitants. |
Il y a eu du « bouche à oreille » autour du projet : les promoteurs avouent avoir été surpris du retour. Le don de pelote de laine a bien fonctionné, touchant une population plus large que le cercle des habitants participants. Des personnes qui ne pouvaient pas forcément donner d’argent ont simplement donné de leur temps (sur les stands par exemple).
Le Dr Bourguignat note que dans les ateliers, il a été « extrêmement surpris de la réceptivité des gens ». Ces espaces lui ont permis de s’informer des réalités des parcours des femmes en matière de dépistage mais cela a aussi été l’occasion pour lui de leur apporter des informations essentielles sur les conditions de leur prise en charge et des modalités des parcours.
Selon les contributeurs, s’il y a des outils qui permettent d’analyser la consommation de soins d’une population ou les ressources en santé existantes sur un territoire, cela ne préfigure pas des besoins propres de la population et la connaissance que les acteurs impliqués sur la santé peuvent en avoir. Cela reste complexe à identifier (interprétation par les professionnels, non-expression par les populations, au croisement de problématiques sanitaire et sociale). Ce type d’action peut y répondre. Mais les interviewés soulignent l’importance d’avancer pas-à-pas, progressivement, au rythme de la population, en l’accompagnant dans ce processus d’identification.
Un contexte environnemental soutenant
De manière politique :
A sa prise de fonction (2017), M. Martin témoigne de la volonté de M. Meignen, Maire de la Ville, d’avoir une action forte en matière de prévention en santé, ceci en complément du soutien à l’offre de soins sur le territoire. L’impulsion des élus est primordiale et a un impact sur leur relation avec leurs administrés.
Des concepts au service d’une stratégie
S’ils font référence à la définition de la santé de l’Organisation Mondiale de la Santé comme appui à leurs réflexions, les contributeurs sont au fait d’autres concepts qu’ils implémentent dans la pratique :
Concept | Définition | Exemples de mise en application pour l’action |
La démocratie en santé | « La démocratie sanitaire est une démarche qui vise à associer les usagers du système de santé à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de santé ». https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Democratie-sanitaire | – Participation de 75 habitants à la construction du CLS ayant déterminé une action générale sur la question des dépistages des cancers – Présence d’élus dans le cadre des ateliers permettant un lien direct avec la population sur les problématiques rencontrées – Mobilisation de la population autour de l’action |
La littératie en santé | « La motivation et les compétences des individus à accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information en vue de prendre des décisions concernant leur santé ». Van den Broucke Stephan – La Santé en action, 2017, n°. 440, p. 11-13 | – Utilisation de tiers (référents famille, groupe d’habitants impliqués) pour communiquer simplement auprès de la population – Développement de moments de convivialité pour favoriser la transmission orale d’informations, renforcer les niveaux de connaissance des publics et le lien avec les professionnels. |
La démarche d’amélioration continue | « La méthode PDCA (Plan, Do, Check et Act) est une démarche de gestion de la qualité basée sur une logique d’amélioration continue ». https://www.envol-entreprise.fr/roue-deming-pdca/ | – Utilisation de méthode (comme celle promue par la Haute Autorité de Santé en ETP établissant des phases intégrant le public au projet) : détermination collective de la stratégie, communication autour du projet pour la mobilisation générale, mise en œuvre de l’action. |
L’économie circulaire | « L’économie circulaire consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation et le gaspillage des ressources et la production des déchets ». https://www.ecologie.gouv.fr/leconomie-circulaire | – Prise en compte de l’agenda 2030 qui promeut notamment la solidarité, le recyclage, la réduction des déchets… – Utilisation des carrés de tricot du ruban de 25 m pour fabriquer des couvertures destinées au service de Médecine et Réanimation Néonatales de l’hôpital Necker. |
L’utilisation de ressources existantes
Prendre appui sur les ressources, notamment humaines (acteurs relais dans les maisons de quartier, référentes familles, noyaux d’habitants préalablement impliqués dans la mise en œuvre du projet), a été l’une des stratégies développées par les promoteurs de l’action, dans l’idée de réduire les risques de non compréhension des messages, de les rendre plus adaptés, plus accessibles. De plus, ces acteurs ont pu accompagner les populations d’un quartier à un autre en fonction des actions proposées. L’ASV a quant à lui été le facilitateur d’une mobilisation au long court : coordination, maintien d’un bruit de fond, analyse avec les partenaires des stratégies, communications autour de l’action.
L’ajustement par l’expérience
Les contributeurs soulignent les ajustements progressifs mis en œuvre au fur et à mesure que leurs actions se sont déployées. Dans les temps d’ateliers autour du cancer du sein, les contributeurs rapportent des échanges établis autour du cancer, de la douleur de l’examen mais aussi des questions d’alimentation en lien avec les risques de développement d’un cancer. La question de la présence des enfants s’est également posée dans ces espaces devant permettre aux adultes d’aborder un sujet complexe (elle pouvait être un frein à la qualité des échanges). Des expériences antérieures ont été réinvesties dans l’adaptation du modèle.
Autres leviers
D’autres leviers sont mis en avant par les promoteurs de cette action et leurs partenaires :
- Favoriser l’expérimentation : En auto-subventionnant son action, en ne travaillant pas de prime abord sur des conventions qui, selon M. Martin, « enferment », mais plutôt travailler ensemble avant de formaliser pour conserver un esprit créatif.
- S’inscrire dans des logiques de décloisonnement (services de la ville, publics, santé)
- Rester « Agile[9] » est une composante importante. Cela permet de prendre en compte les évolutions en fonction de l’émergence des besoins, de la modification des pathologies et de leur prise en charge, du déploiement des connaissances des acteurs impliqués. Mais aussi d’aborder cela dans le sens d’une démarche globale à la fois médicale, sociale et écologique.
- Bien déterminer son rôle et sa place : L’administration doit se positionner en appui, en accompagnement des soignants, qui sont une pierre angulaire indispensable. Mais la prise en compte de l’expertise de la population est incontournable, notamment en matière de communication pour être le plus entendu et le plus audible possible dans la manière dont les messages de promotion auprès de cette dernière doivent être véhiculés.
Bilan et transférabilité
Eléments à partager
Selon les contributeurs, des éléments socles doivent être pris en considération dans le cadre de la mise en œuvre de ce type d’action :
- Mettre en exergue quatre visions : celle du soignant (vision 1), celle du pilote du projet (vision 2), celle du politique (vision 3), pour évaluer comment il est possible d’avoir un impact fort, en travaillant ensemble sur le long terme. Il est nécessaire d’avoir une approche conjointe, de définir, avec les partenaires, les meilleures stratégies à mettre en œuvre. L’ensemble de ce travail doit pour autant être mis en perspective avec ce que verbalise la population de ses difficultés et des besoins identifiés, pour être au plus près de ce qu’il est possible et pertinent de mettre en place, au rythme d’appropriation de cette dernière (vision 4).
- Il n’est pas possible de se satisfaire d’une action « one shot » qui ne permet pas aux acteurs de prendre le temps de co-construire et à la population de s’imprégner d’une problématique. Pour qu’une action comme celle sur le dépistage du cancer porte ses fruits, il est important d’intégrer les ingrédients suivants : une communication en amont de l’action, une mobilisation globale pour la mise en œuvre, une participation effective au moment de la manifestation. Des outils comme l’ASV peuvent servir de continuum à ce type de stratégie.
- Même s’il est nécessaire d’avoir des actions spécifiques par cancer, les problématiques soulevées (alimentation, comorbidités) demandent d’avoir une vision large de la problématique et de ne pas aborder cette question uniquement sous l’angle de l’un d’eux. Cela permet d’aborder de manière systémique les questions de santé, de laisser de la latitude à l’expérimentation, favorisant le partage
[1] https://www.blancmesnil.fr/vos-services/sante-et-solidarite/sante/centres-municipaux-de-sante
[2] Accès aux droits et aux soins pour les personnes ne bénéficiant pas de droits ouverts (Pass Ambulatoire) ; Permanence d’écoute pour les jeunes ; Offre de vaccination gratuite ; Centre de Planification et d’Education Familiale ; Permanences en santé.
[3] Le CLS du Blanc-Mesnil : https://ressources.seinesaintdenis.fr/IMG/pdf/2020_03_12_contral_local_sante_blancmesnil.pdf
[4] Les contrats locaux de santé (CLS) participent à la construction des dynamiques territoriales de santé. Ils permettent la rencontre du projet porté par l’ARS et les aspirations des collectivités territoriales pour mettre en œuvre des actions, au plus près des populations : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pacte_territoire_sante_-_plaquette_-_contrats_locaux_sante.pdf
[5] L’indice de développement humain (IDH) permet de mesurer les disparités sociales à travers 3 dimensions : la santé, l’éducation et le revenu.
[6] Données Santé Public France : Taux de participation aux programmes de dépistage.
[7] Stand d’information animé par le CRCDC et la CPAM au Centre commercial E. Leclerc de la ville ; Atelier : « Le dépistage du cancer du sein, quésaco ? » animé par les infirmières des CMS dans les CMS ; Une action « Le Blanc-Mesnil se bouge contre le cancer du sein » animée par le Centre Médico-Sportif dans le Parc urbain.
[8] Les «maisons pour tous » ou maisons de quartier sont des « lieux d’animation de la vie sociale, des équipements de proximité qui favorisent l’échange, la cohésion et la solidarité. Elles sont ouvertes à tous : enfants, jeunes, adultes et retraités » : https://www.blancmesnil.fr/vos-services/vie-associative/maisons-de-quartier
[9] https://www.cadremploi.fr/editorial/conseils/conseils-carriere/quest-ce-quune-entreprise-agile