Transcription textuelle de la vidéo : Journée de partage de la démarche CAPS – Récit de Christine Ferron et Anne Laurent

Anne Laurent : C’est vous qui allez introduire les interventions du matin ?

Christine Ferron : Oui c’est moi

A : On m’a dit que c’était une histoire pleine de rebondissements

C : Oui installez vous confortablement, je vais essayer de vous raconter de quoi il s’agit. Pour commencer, il est important de planter le décor pour être raccord avec le propos de la journée. Décrire le contexte. Il faut partir d’une petite musique qu’on entend depuis longtemps sur les actions les acteurs de promotion de la santé. Les acteurs ne s’appuient pas sur la science. Les acteurs ne lisent pas. On ne sait pas bien ce qu’ils font… Mais sur quelle expertise appuient-t-ils leurs interventions ? Et puis, il n’y a pas beaucoup de recherches en promotion de la santé… Petite musique qui pourrait en décourager plus d’un. Mais comme toujours face à ce type de constat, il y a deux solutions soit on jette les acteurs, la promotion de la santé et les actions de terrain avec l’eau du bain, soit on réfléchit à la manière de les soutenir et on s’interroge sur le pourquoi de cette petite musique. Et d’ailleurs, c’est ce qu’il s’est passé en 2013 à l’initiative de Linda Cambon. D’abord à l’ARS Picardie puis titulaire de la chaire de prévention du cancer à l’EHESP et à l’Inca. Elle a pensé Linda que les acteurs de promotion la santé méritaient un bon GIF

A : Euh tu m’as dit que tu préférais la deuxième solution à un bon GIF, un peu radicale comme solution, nan ?

C :Mais non, je vous parle du GIF : Groupe d’Initiative Français de développement des compétences en prévention et promotion de la santé. Ce groupe avait deux objectifs : développer un dispositif de transfert de connaissances et de partage compétences en promotion de la santé et accompagner les acteurs de terrain dans le recours aux données scientifiques pour la mise en œuvre de leurs actions et favoriser les liens entre le milieu de la recherche et celui d’e la pratique en santé publique.

A : Avec un GIF pareil, ça donne envie de tendre l’autre joue…

C : Eh oui une dizaine de structures se sont associées pour construire ce dispositif. Il y avait des Agences Régionales de Santé, l’EHESP, l’Ecole de santé publique de Nancy, la SFSP, la Fnes, l’Inpes, l’institut national du cancer, l’Iresp, l’ISPED, la plate forme nationale des ateliers santé ville qui est aujourd’hui la fabrique territoire santé et la regrettée Banque de données en santé publique, la BDSP.

A : Il y a des chercheurs des institutions des acteurs du terrain : il belle brochette, dis donc ! Ce n’est pas si fréquent que tout le monde autour de la table soit là pour un projet commun.

 C : La réflexion a mené à un projet autour de trois axes le premier axe c’était le rendre accessible, intelligible et adapté au contexte français les données probantes et prometteuses en santé publique. Le deuxième axe c’est est de développer les modalités d’accompagnement de transfert et de collaboration graduée d’utilisation des connaissances par les acteurs et décideurs du domaine. Et le troisième axe consistait à favoriser le rapprochement de la recherche et de la pratique en développant la recherche interventionnelle.

A : Tu veux dire que grâce à l’axe 1, on ne se serait plus retrouver dans un écran entrez vos codes ou cette publication vous coûtera 60 dollars après avoir atterri sur un obscur site scientifique chinois qui en plus a virusé ton ordi. Tu veux dire qu’on ne sera plus obligé des supers copines avec une documentaliste qui a LES codes pour accéder à quelques connaissances inaccessibles à l’acteur lambda et qu’enfin les publications sont accessibles à tous ? Et en plus adaptées au contexte français ? Tu veux dire que je pourrais m’inspirer d’autre chose que des actions de promotion de la santé dans l’Arkansas ou avec des inuits de Manitoba ? En plus, si je comprends bien, l’axe 2, il s’agissait de ne pas laisser les acteurs tout seul face aux publications mais bien de les accompagner ! Et pour finir tu me dis que la recherche interventionnelle aura été à l’honneur ou plutôt que répéter la promotion de la santé ne produit pas de recherche on se serait doté d’un espace pour y réfléchir. Wow, c’est vraiment chouette !

C : Oui, le groupe s’est réuni à plusieurs reprises entre 2013 et puis septembre 2015 et a vraiment tenté de donner corps à chacun des axes du projet. Le premier axe c’était la préfiguration d’un portail de données probantes et prometteuse avec des modalités de diffusion et de communication de ces données auprès des acteurs et des décideurs. L’organisation de séminaire, des newsletters, des relais de terrain. Dans l’axe 2, il y avait l’expérimentation du courtage en connaissance, de la médiation entre acteur et chercheur au niveau local, les interventions pilote de l’analyse de la transférabilité de l’accompagnement à l’implémentation politique sanitaire probante. Et dans l’axe 3, le développement de la recherche interventionnelle, la collaboration acteurs/chercheurs et soutenir vraiment le développement de l’ARI et de la
recherche sur le transfert de connaissances. Il faut que je te dise qu’au milieu nous avons changé de nom. C’est là qu’on est devenu Inspire-ID : Initiatives en santé publique pour l’interaction entre la recherche l’intervention et la décision. Mais ce n’est pas parce que le nom et plus doux
que nous nous sommes reposés sur nos lauriers dans le cadre d’Inspire-ID, le groupe s’est élargi un suivi et je ne crois pas exagérer si je te dis qu’une bonne trentaine de partenaires étaient impliqués. Un moment assez magique de collaboration entre les institutions des chercheurs des associations de terrain. Chacun s’est concentré sur un point particulier. Il s’agissait notamment dans un premier temps de faire un point sur les besoins des acteurs d’envisager la montée en compétences des uns et des autres de produire des documents pour illustrer ce dont nous parlions. On est entré dans une phase concrète et de production. Une préfiguration du Portail, une étude sur des besoins des acteurs, la mise en place de quatre groupes de travail, la réalisation dupremier répertoire d’actions inspirantes par la plateforme ASV, la réalisation de synthèse des revues de la littérature et recommandations pour l’action par l’ARS Picardie en lien avec l’union internationale de promotion et d’éducation pour la santé sur quatre thèmes : nutrition tabac alcool vie affective et sexuelle compétences psycho-social. Ca a été aussi le moment du lancement de TC-Reg : Projets de recherche d’évaluation de dispositif de transfert de connaissances en région toujours piloté par Linda Cambon. Mais… Inspire-ID s’est arrêté sous cette forme. Mais heureusement, la Direction Générale de la Santé a prit Inspire-ID sous son aile et en est devenu le pilote en février 2016 et nous a redonné le sourire.

Tout était à nouveau possible. Le dispositif d’aujourd’hui est toujours organisé en trois axes avec un portail des données probantes confié à Santé publique France une partie formation accompagnement confiée à l’EHESP et le développement de l’ARI confié à l’IREP. En fait la capitalisation elle était déjà complètement dans la réflexion : la définition des données probantes inclut les données de la recherche et et données issues de l’expérience. Il fallait bien réfléchir à la manière de produire ces données. La Société Française de Santé publique a été chargée de cet axe de travail avec la Fnes. Un nouveau groupe de travail particulier a donc été créé. Il rassemble des associations et l’EHESP, des représentants des ARS, santé publique france. Son objectif est de compléter les registres des données probantes de SpF par un portail dédié aux savoirs issus de l’expérience. Ce groupe existe maintenant depuis plus de trois ans mais il a fallu répondre à tonnes de questions : Comment peut-on rendre compte des expériences de terrain en promotion de la santé ? Quelles données sont pertinentes à partager. Mais au fait quel est l’intérêt de diffuser des connaissances expérientielles et à quoi ça sert ? Quelle est la légitimité de ces connaissances ? Un acteur de terrain ça peut provenir des données ?

A : J’imagine que petite la petite musique du début est revenue… Celle qui consiste à ne pas accorder la même valeur aux choses. Celle qui rend parfois illégitime la connaissance expérientielle parce qu’elle n’est pas scientifiquement construite. En plus en cherchant dans d’autres domaines on a vu que l’environnement l’aide humanitaire l’urbanisme l’industrie avaient développé des méthodes pour tirer des leçons de l’expérience s’en inspirer pour agir ou faire évoluer des modalités d’intervention. Alors ça s’appelle Retex, retour d’expériences, capitalisation… Mais quel que soit le nom qu’on lui donne le principe est le même : Transformer l’expérience en savoir explicite pour le partager. Même le Ministère des Armées s’y est mis, c’est vous dire…

C : Et en promotion de la santé ?

A : Pas grand-chose en France. Des membres du groupe du travail s’essayaient à ce type d’exercice mais on a peu trouvé de
publications françaises sur la production de données expérientielles en promotion de la santé.

C : Pourquoi ça ? A : Sans doute parce que cette question de la capitalisation vient percuter les débats récurrents en promotion de la santé : la question de l’efficacité, d’évaluation, de la preuve, le manque de publications des acteurs de terrain et la relative invisibilité de tout ce qu’ils produisent au sens de ce qu’ils font. Alors, nous avons posé 2 principes et on peut pas penser la capitalisation sans adhérer à ces principes. Le premier c’est que l’expérience de terrain en promotion de la santé a une valeur et le deuxième c’est que l’expérience de de terrain peut permettre de produire des connaissances utiles à l’action et à la décision.

C : Je te vois venir, l’éternel débat entre science et expériences…

A : Non, c’est surtout que la démarche de capitalisation ne vise pas à produire des connaissances scientifiques mais défendre une démarche de capitalisation ne veut pas dire qu’on pense que les données issues de la science sont inutiles, ni que les deux s’opposent.

C : Bon arrête de tourner autour du pot, j’ai toujours pas compris ce que c’était que la capitalisation.

A : La définition qu’on a utilisé dans le groupe vient de Pierre de Zutter. Il s’agit de passer d’une connaissance implicite à une connaissance explicite. De rendre visibles les manières de faire, de les partager pour en tirer des enseignements. Concrètement, le groupe de travail s’est attelé à l’élaboration d’une méthode. Ce n’est pas parce que l’objectif n’est pas de produire des données scientifiques qu’il faut faire n’importe quoi. On est parti de plusieurs constats et on se retrouvait face à plusieurs types de productions dans le paysage de ce qui existaient : des données scientifiques qui ont la preuve de l’efficacité mais qui donne que très rarement le mode d’emploi. Des plateformes qui rassemblaient des fiches actions comme Oscars, par exemple, qui décrivent des actions, permettent de repérer des stratégies, des approches intéressantes de dresser des cartographies, de voir ce qui se fait, mais qui donne aussi peu de détail sur le comment on fait. La capitalisation vise à combler l’interstice entre ces deux types de connaissances. S’appuyer sur les porteurs du projet pour produire les connaissances sur les contextes des outils déployés leurs éventuelles adaptations. Les stratégies de mobilisation des acteurs l’adaptation des politiques publiques ou de modalités d’intervention, à des réalités de territoire à des structures ou à des publics. Il ne suffit pas de poser de grands principes d’intervention il faut expliquer comment les mettre en œuvre. Sinon c’est comme si tu te retrouves devant une recette de cuisine alors que tu ne sais pas comment casser un œuf. Alors que pour les acteurs du terrain casser des œufs, c’est primordial. Le paysage en promotion de la santé il est constitué d’une myriade d’acteurs qui développent des actions de proximité en s’appuyant sur des compétences et une expertise en promotion de la santé. Il est illusoire de croire que toutes ces actions bénéficieront un jour d’évaluation scientifiques. Et même si c’était possible, est-ce que ce serait nécessaire et souhaitable ? Contrairement à la petite musique amplifiée pendant le Covid, les actions de terrain sont pour une grande partie d’entre elles construites ou accompagnées par les professionnels formés qui connaissent bien les réalités des territoires. Elle ne relève pas du bricolage, de l’improvisation. Elle s’appuie sur des méthodes et des modèles d’intervention. La question est donc : « Comment produire de la connaissance sur le « comment faire ? Comment tirer des enseignements de toutes ces actions qui s’inscrivent dans des contextes particuliers ?« 

C : La capitalisation !

A : Oui, et ce qui est chouette c’est que je pleins d’associations et d’institutions s’y intéressent aujourd’hui. La DGS, les ARS, l’administration pénitentiaire et la PJJ, la CNAM, l’INCA, la CNSA. Imagine, en plus de la valorisation de ces démarches, dans quelques années le corpus de connaissances sur les actions en promotion de la santé. Un vrai paradis pour les chercheurs les décideurs et les acteurs de terrain.

 

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