UNPLUGGED : programme de prévention des conduites addictives en milieu scolaire

Unplugged se définit comme un outil d’intervention précoce dans le cadre de la prévention des consommations de certaines substances addictives auprès des collégiens de 6éme et de 5éme. Ce programme a également pour but d’améliorer le climat scolaire en favorisant la mise en place de méthodes pour la gestion des groupes. Son déploiement en contexte français s’est initié à la suite de la mobilisation de plusieurs structures dans diverses régions, dont l’association APLEAT-ACEP. Son évaluation a pu être réalisée par Santé publique France sur sollicitation de l’association. Si l’implantation du programme est complexe, complexité alimentée par une rigueur organisationnelle mais aussi par des freins liés aux modifications de postures professionnelles qu’il entraine, sa mise en œuvre démontre une amélioration des aptitudes des collégiens à s’approprier des problématiques et faire part aux adultes de leurs difficultés. Il amène aussi au niveau des professionnels le mettant en œuvre l’exploration de nouvelles stratégies exploitables dans d’autres contextes.

24/08/2022

Sanchis-Bisbrouck Angéline
Principale de Collège
Angeline.sanchis@ac-orleans-tours.fr

Bouvet Cécile
Chargé de mission

Marcault Renald
Chargé de mission

Boisselier Pauline
Enseignante en français
pauline.boisselier@ac-orleans-tours.fr

Présentation de l’intervention

Contexte

Les programmes interventionnels dits probants ou prometteurs en prévention [1] sont de plus en plus mobilisés par les acteurs impliqués sur les questions de santé et de prévention souhaitant s’appuyer sur les données probantes pour enrichir leurs pratiques. Le Projet UNPLUGGED en fait partie. Il est notifié dans le cadre du répertoire des interventions efficaces et prometteuses en prévention et promotion de la santé de Santé publique France (SpF) [2]. Il se définit comme un outil d’intervention précoce dans le cadre de la prévention des consommations de certaines substances addictives, « un programme de prévention (…) en milieu scolaire, mettant particulièrement l’accent sur l’alcool, le tabac et le cannabis, avec une ouverture sur les écrans et les jeux vidéo (…) destiné aux collégiens (6ème, 5ème) (…), aussi utilisé comme un outil de gestion de groupe et d’amélioration du climat scolaire » [3].

L’APLEAT-ACEP

Fusion de deux associations entrainant la création d’une structure conjointe en 2019[1], l’APLEAT-ACEP gère des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Elle intervient auprès de publics précaires, en difficulté, dans des situations d’exclusion. Elle travaille autour de différents pôles : maladies chroniques, gens du voyage, addictions et jeunes. Elle est constituée d’un service jeunesse qui intervient auprès des jeunes de moins de 23 ans. Il met en place des programmes de prévention qui ont pour objet de développer les compétences psycho-sociales[2] (jeunes, adolescents, parents) en lien avec les recommandations de SpF[3]. Les programmes déployés sont des programmes validés, étendus de la maternelle au lycée en passant par les écoles primaires et les collèges. Le service est constitué d’une quinzaine de chargés de prévention pour en assurer le déploiement. L’association APLEAT-ACEP est située dans la région Centre-Val de Loire.

Unplugged : Le déploiement du projet au niveau de l’APLEAT-ACEP

A l’initiative de 7 pays européens dont la France ne faisait pas partie, c’est à partir de 2016 que le projet s’y déploie, via différentes structures adhérentes à la Fédération Addiction, dont L’Association pour l’écoute et l’accueil en addictologie et toxicomanies : Apléat à Orléans. Elle a pu le mettre en œuvre sur son territoire en prenant appui, pour la formation, sur le formateur du programme en Suisse : Daniel Pellaux[4].

C’est à la demande de l’association, en 2017, que le programme fait l’objet d’une évaluation par SpF. Le rapport (4) conclue une efficacité à court terme sur la consommation de produits psychoactifs, des tailles d’effets supérieures à l’évaluation européenne, de plus grands effets chez les collégiens présentant des facteurs de risque. Cette évaluation a permis de valider le modèle d’intervention.

Si la formation au programme se réalisait originalement par l’intervenant suisse, il a été rapidement question de permettre aux acteurs formés d’être autonomes dans la formation des professionnels des équipes éducatives et des acteurs français souhaitant s’impliquer. En 2019, la formation créée par les acteurs de l’APLEAT et d’autres structures engagées a été validée par le co-fondateur du programme en Suisse puis déployée. Progressivement, le programme a donc pu se diffuser sur le territoire national et c’est la Fédération Addiction, en appui avec les structures engagées, qui a la charge de former les acteurs.

La coanimation : une spécificité française ?

Suite aux retours d’expérience, cette stratégie de coanimation s’est érigée en principe de mise en œuvre, notamment car dans la pratique, elle semble montrer un degré d’appropriation par les équipes éducatives plus élevé permettant son déploiement sur la durée. En effet, grâce à cette coanimation dite dégressive (voir point Unplugged en pratique), les membres de l’équipe éducative formés s’imprègnent petit à petit du projet, acquièrent les compétences nécessaires à sa mise en œuvre et peuvent par la suite le déployer dans sa presque totalité en autonomie.

Unplugged : pilotage & mise en œuvre

Le comité de pilotage national est constitué d’acteurs institutionnels (DGS, Direction générale de l’enseignement scolaire, MILDECA, INCa, Santé publique France) mais aussi des structures s’étant impliquées historiquement, du laboratoire mobilisé dans le suivi de l’évaluation et la Fédération Addiction. Il existe un échelon régional associant les ARS et les académies de l’éducation nationale (EN) impliquées pour une mise en œuvre opérationnelle. Une plateforme d’appui national favorise l’implémentation régionale. Elle est pilotée par la Fédération Addiction. Elle favorise la mutualisation des expertises entre acteurs. Elle assure la formation obligatoire des professionnels de la prévention et des équipes éducatives souhaitant mettre en œuvre le programme sur leur territoire, la mise en commun des outils et la supervision de la première année d’exercice. S’il existe évidemment des variabilités en fonction des régions dans les modalités de demande de formation, le processus général reste le même.

Le modèle de formation est identique pour l’ensemble du territoire national. Son intensité diffère selon qu’il s’agisse des équipes éducatives qui seront amenées à le coanimer puis à l’animer seul en partie, ou qu’il s’agisse des acteurs de prévention qui seront amenés à le coanimer mais aussi à le coordonner.

Pour les chargés de prévention : Une formation leur permettant de mettre en œuvre le programme (3j). Après un an d’expérimentation, pour celles/ceux qui le souhaite, une formation leur permettant de former les enseignants (3j). Ils doivent connaitre le programme et assurer l’autonomisation de l’enseignant.

Pour les enseignants (ou membres de l’équipe éducative) : Formation de 2j permettant d’appréhender le programme en en faisant l’expérience.

Elle permet aux stagiaires d’expérimenter la démarche, la coanimation, les outils, d’incarner le programme dans les valeurs d’écoute, d’attention et de la valorisation positive qu’il promeut. Y sont abordés les concepts de CPS. D’autres éléments sont également mis en avant : comment mettre à l’aise les élèves pour que progressivement ils évoluent dans leur comportement, comment permettre un mieux-être en classe, etc…A l’issue de ces formations et durant un an, les stagiaires bénéficient de 2h de supervision (par 3 ou 4 en visioconférence avec un formateur) pour partager l’expérience vécue, les difficultés rencontrées.

Unplugged : en pratique[5]  

  • 12 séances (avec une 13ième facultative) par an d’1 heure (pour une classe)[1] et chaque séance fait l’objet d’un sujet/thématique[2],
  • Elles sont interactives, utilisant différentes techniques (jeux de rôles, débats plénières, activités créatrices, travaux de groupe)
  • Objectifs généraux des séances : développer la confiance et l’expression de soi, le respect des autres, les habilités interpersonnelles (communication, affirmation, conciliation)
  • Séances établies sur le principe de la coanimation : un professionnel de la prévention et un de l’équipe de la structure accueillante (enseignant, conseiller principal d’éducation, infirmière…)

Le principe de coanimation est déterminé comme dégressif : au fur et à mesure des années, le professionnel de prévention se retire de la coanimation afin de laisser l’intervenant de l’équipe éducative prendre la main (Année 1 : 12 séances en coanimation ; Année 2 : 9 ; Année 3 : 6 ). Le professionnel de prévention reste présent pour les séances qui traitent des questions liées aux substances psychoactives. Une fois que le binôme d’intervention est créé et la planification est organisée, le rythme de mise en œuvre est le suivant : un temps de préparation en amont puis, une fois les séances lancées, des temps d’ajustement toutes les 3 à 4 séances. Un temps de bilan est mis en place en fin d’année. Unplugged fait toujours l’objet d’un suivi en matière d’évaluation par SpF[8]. A chaque fin de séance, l’enseignant ou le membre de l’équipe éducative engagé et le chargé de prévention doivent remplir un questionnaire qui doit faire état de certains éléments (niveau de réalisation de l’atelier, ce qui a fonctionné, pourcentage de répartition d’animation, évolution de l’enseignant, de l’ambiance de classe, réussites en termes de feedback, d’activité de groupe, etc…).

Principaux enseignements

Résultats observés

L’évaluation première réalisée par SpF s’est faite à la demande de l’APLEAT-ACEP. Il en a émergé les points suivants [5] : une modification des attitudes, normes sociales et compétences psychosociales, entrainant une protection face aux risques et à une expérimentation/consommation des produits cibles (tabac, cannabis, alcool) repoussée. Un effet plus important de protection si l’ensemble des séances est réalisé. Un effet plus important notamment auprès de collégiens vivant dans un environnement socioéconomique plus défavorisé.

En matière d’activité, sur la promotion 2021/2022, l’APLEAT-ACEP est intervenue auprès de 72 classes de son territoire : 25 en année 1, 30 en année 2, 15 en année 3. Cela leur permet de mettre en avant certains résultats mais représente une charge de travail non négligeable (par exemple, en matière de coanimation, Rénald Marcault, chargé de prévention, accompagne à l’heure actuelle 7 enseignants sur 2 collèges).

Les jeunes notent que leurs séances préférées sont celles où ils ont pu être acteurs, faire des activités, jouer celles traitant des émotions, que cela ne ressemble pas à leurs activités éducatives habituelles. Pour certains, Unplugged leur permet d’oser parler et de se sentir mieux dans leur classe. Les effets sont également ressentis par les enseignants. Selon ces derniers, pour les élèves déjà à l’aise, le programme va doper leur confiance en eux, ils vont encore plus librement prendre la parole.

De manière générale, les élèves deviennent plus actifs, arrivent mieux à travailler en groupe. Il y a toujours une différence de dynamique entre la 1ère et la dernière séance qui se constate. De plus, les collégiens reconnaissent l’enseignant comme un adulte pouvant les aider face à différentes problématiques. Les enfants reconnaissent ainsi les adultes comme des personnes pouvant les aider.

« Avec les bilans, ce qui peut ressortir c’est : « J’ai réussi à trouver ma place dans la classe », « J’ai réussi à prendre la parole ». Ce sont des enseignants qui nous disent : « Les élèves de troisième ont pris Unplugged en oral de brevet pour la présentation de projet ». C’est une amélioration des relations profs-élèves. J’ai des enseignants qui nous disent que les élèves viennent plus facilement les voir ou leur parler de leurs difficultés, parce qu’ils se sentent à l’aise et qui ne le feraient pas avec un autre enseignant ».

Cécile Bouvet |Chargé de mission à l’APLEAT-ACEP

Difficultés rencontrées : niveau national

Si à l’origine les formateurs nationaux ont tous été formés en même temps, depuis, d’autres chargés de mission ont rejoint l’équipe. En amont de l’intervention, parfois, les duos constitués ne se connaissent pas. Cela présuppose une bonne organisation, d’être au clair sur le déploiement des modules, qui amène quoi (la formation requière un certain nombre de matériels). Selon Cécile Bouvet, cette expansion du programme démontre un intérêt majeur pour la méthode mais n’est pas sans risque. En effet, Unplugged requière des moyens humains, financiers et organisationnels non négligeables. Localement, les modalités de financement peuvent différer[9], l’implication des rectorats aussi, ce qui peut impacter la mise en œuvre. Dans ses accompagnements, elle a identifié une possible perte de qualité, les acteurs locaux composant avec leurs propres difficultés de mise en œuvre (par exemple : non-respect du cadre d’intervention en supprimant les temps de préparation en amont par manque de temps ; changement d’enseignant en cours d’année entrainant une modification du duo). Certaines choses ne peuvent pas être logiquement modifiées mais des territoires sont tellement en difficulté qu’ils réalisent l’activité comme ils peuvent.

« Dans les programmes probants, plus on adapte, moins on a de chance qu’ils soient efficaces et donc qu’il y ait un réel impact sur le public. Soit on le met en place comme il a été pensé, soit non. Mais j’entends que dans certains territoires, avec des tout petits bouts de financement, la nécessité de faire ses preuves, de mettre en place comme on peut, parce que sinon derrière on ne sait pas si on va pouvoir continuer. Le problème, c’est que ça laisse la porte ouverte à des adaptations. Et là on perd, parce que l’on n’est pas bien sûrs que ça ait le même impact sur les enfants, sur les jeunes et sur les enseignants ».

Cécile Bouvet | Chargé de mission à l’APLEAT-ACEP

Difficultés rencontrées : niveau local

Plusieurs types de difficultés sont identifiées par les contributeurs, qu’elles relèvent de l’organisation et l’investissement sur la durée (1), de l’appréhension des dynamiques collectives (2), du rythme imposé par le programme (3), de l’appréhension des résultats et de modifications des pratiques (4). Au regard de ces difficultés, certains éléments facilitent pour autant le déploiement du programme[10].

Selon les contributeurs de l’ENSelon les contributeurs de l’APLEAT-ACEP
1Rend complexe un déploiement de qualité :

– Classes de plus en plus nombreuses, emplois du temps des élèves surchargés, programme Unplugged relativement lourd demandant une grande mobilisation.
– Difficulté pour libérer les enseignants (formation et activités)
– Les enseignants engagés la 1ére année décline la 2nd (baisse de motivation, crainte de se retrouver seul, implication dans de nouveaux projets). Selon les contributeurs, la durée moyenne d’engagement des enseignants a été estimée à 3 ans.
Cela peut mettre l’APLEAT-ACEP en difficulté :

– Il faut régulièrement former de nouveaux enseignants du fait des désengagements progressifs.

Facteurs de désengagement : le traitement des enseignants au niveau du temps travaillé (allant d’une rémunération effective au bénévolat selon la politique de l’établissement).

– L’association a aussi un cadre budgétaire à respecter (ne peut faire plusieurs déplacements pour un établissement et doit centraliser ses interventions).
2L’approche par le collectif n’est pas inscrite dans leur pratique. Même s’il y a des équipes pédagogiques, les acteurs sont seuls face à leur classe. Ils sont habitués à une approche « descendante » jugée comme plus sécure.  

Mme Sanchis-Bisbrouck souligne que certains professionnels de l’EN peuvent avoir du mal à travailler en binôme sur un canevas imposé : prendre en considération qu’ils aiment être entièrement libres de la mise en œuvre d’une idée.
Cela est également valable pour les chargés de prévention témoignant qu’ils sont plus habitués à du colloque singulier.
3Selon les contributeurs de l’EN et les contributeurs de l’APLEAT-ACEP

– Les heures d’intervention comme demandant beaucoup d’énergie, les enfants nécessitent une grande disponibilité.
– Le programme est parfois jugé trop lourd, pas toujours adapté selon le profil de jeunes rencontrés et la dynamique de la classe. Une heure pour traiter un sujet est très limitatif. Cette contrainte temporelle a des impacts sur les temps de parole livrés aux enfants :

« On a un outil (Chronomètre) qui défile au tableau. Les séances telles qu’elles sont, sont minutées et il n’y a pas une minute de plus. Si des élèves ont besoin de parler à ce moment-là, on est obligés de les couper. C’est vrai que, souvent, on est obligés de passer un petit peu plus vite sur certaines parties. Si on avait un quart d’heure de plus, ça ne serait pas de trop. Mais c’est parce que le contenu est riche. Des fois, il y a des choses qui se disent, qui sont intéressantes, et couper, ça serait dommage. Donc on se met aussi volontairement dans le jus en termes de temps ».  Pauline Boisselier | Enseignante en français
4L’amélioration du climat scolaire « n’est pas flagrante de suite ». C’est une difficulté pour convaincre et promouvoir l’action.

Evaluer l’évolution des comportements reste compliqué : Unplugged reste une « pierre à l’édifice, mais pas tout l’édifice ».

Facteurs facilitants

Au niveau des interviewées de l’ENÀ niveau de l’APLEAT-ACEP
– Inscription dans le projet d’établissement d’une politique éducative autour des CPS, de la citoyenneté, de la prévention santé
– Mobilisation et engagement de la direction de l’établissement
– Déploiement dans un établissement auprès de l’ensemble des 6éme, pas uniquement les classes identifiées comme difficiles
– Recrutement fait sur la base du volontariat, du bouche à oreille, dans le cadre d’un transfert d’un établissement à un autre.
– Enseignants rassurés de la présence des chargés de prévention sur les questions de tabac, d’alcool, d’addiction car ces derniers ont la compétence générale sur le sujet
– Mobilisation maintenue car ils savent que les chargés de prévention reviennent, même ponctuellement : ça leur permet de garder le rythme, d’être rigoureux, les empêche de s’arrêter
– Appropriation des champs liés aux CPS, non-spécifiques aux addictions (se comporter en groupe, savoir dire non), pouvant être utilisés dans d’autres domaines (harcèlement scolaire)
– Méthode (valorisation, reconnaissance, mise en sens) perçue comme un outil qui va questionner les jeunes, les remettre en question, les aider à avancer, leur faire faire des choix
– Plus il y a d’acteurs formés, plus la communauté dans un établissement est soudée
– Démarche de déploiement des programmes validés inscrite dans la politique de l’association
– Expertise développée et renforcée autour de la mise en œuvre de projets probants type « Unplugged »
– Mobilisation dans le déploiement du programme dans d’autres départements de la région Centre Val de Loire
– Reconnaissance antérieure par l’ensemble des collèges du Loiret pour intervenir sur des programmes courts
– Investir dans l’action : actuellement 15 chargés de prévention dans le service (plusieurs programmes probants)
– Conventionnement avec l’EN sur 5 ans les inscrits dans une démarche globale vis-à-vis des établissements du territoire
– Formations ludiques, ultra dynamique, donnant le sentiment aux contributeurs, d’avoir appris quelque chose
– Temps dédiés à la rencontre entre les acteurs de l’EN et les chargés de prévention
– Cohérence dans les approches : les techniques utilisées auprès des jeunes le sont à la formation des intervenants
– Le critère « binômes » maintenu malgré les contraintes
– Techniques mettant les jeunes en action ce qui les positionnent comme acteurs de leur apprentissage

Des adaptabilités en contexte 

  • Analyser le contexte de déploiement des enseignants

Un appui institutionnel au sein des établissements est indispensable au bon déploiement de ce type de programme. Pour Mme Sanchis-Bisbrouck, principale de Collège, il lui est nécessaire, à la fin de chaque programme, de réunir l’ensemble de son personnel ayant participé pour savoir ce qui a fonctionné ou pas, ce qui pourrait être amélioré. Il lui est nécessaire d’écouter leurs propositions pour faire évoluer les choses. Être attentive aux freins lui est nécessaire pour évaluer ce qui empêcherait ce type d’activité de se pérenniser. Cela peut avoir pour vertu de créer un esprit collectif, favorisant, dans l’établissement, l’encrage d’une modification des pratiques. Si les enfants sont mobilisés, la réussite du programme passe en grande partie par les adultes. Mais s’inscrire dans cette démarche globale sous-tend dès le début d’année une rigueur via une programmation anticipée.

  • Faire remonter les dysfonctionnements

Dans leur mise en pratique, les animateurs sont en mesures de faire remonter des dysfonctionnements issus de la mise en œuvre des actions pour en améliorer le processus voir ajuster au besoin.

« La séance 7, c’est « être en confiance, savoir dire “non” » … Une séance qui est problématique parce qu’il y a deux gros pôles qui sont « être en confiance » et « savoir dire “non” », et savoir dire “non” de façon efficace ça mériterait une séance complète. On a quasiment deux séances en une et c’est l’une des séances les plus importantes du programme : savoir dire “non” c’est un des principes actifs du programme. C’est une séance qui a du mal à être finie parce qu’elle est très longue et assez complexe. Le fait que les enfants arrivent à comprendre que leur façon de dire « non » cela peut fonctionner très vite et en même temps être très compliqué à faire comprendre. C’est une séance difficile. On a fait remonter sur le fait que c’est à modifier ». « On a des livrets intervenants et des livrets élèves. Ils les ont refaits de façon plus professionnelle. C’était vraiment bien imprimé, joli. Sauf que le livret élève ils l’ont complètement refait : trop de texte, trop de choses incompréhensibles pour les enfants. Du coup, ils ont beaucoup de mal à l’investir. C’est quelque chose qu’on a renvoyé aux financeurs, qui a été réentendue, qui sont retravaillées, et normalement le livret était censé être refait cette année, mais avec le Covid… On espère qu’il sera en place pour la rentrée prochaine, avec un quelque chose plus ludique, moins lourd, que les enfants puissent réinvestir de façon plus aisée ».

Rénald Marcault | Chargé de mission à l’APLEAT-ACEP  
  • L’utilisation d’autres expériences

Les acteurs de l’APLEAT-ACEP ont su intégrer d’autres expériences de projets probants au sein même de l’activité Unplugged. Ainsi, pour éviter un décrochage progressif des enseignants, ils ont pu proposer, en plus de la formation de base, des ateliers intitulés « Boosters », exploités dans le cadre du programme GBG[11], dont l’intérêt a été démontré dès la première année, avec une cinquantaine de participants. Remotivant, apportant de nouveaux outils aux enseignants, ils permettent de faire du lien entre acteurs dans un esprit « communauté de pratique », mixant anciennes et personnes nouvellement formées. Pour les enseignants cela évite le risque d’isolement dans leur établissement et maintient leur motivation sur le long court.  

Les effets sur les parties-prenantes

  • Du point de vue des promoteurs d’Unplugged

Pour les contributeurs de l’APLEAT/ACEP, la mise en œuvre d’Unplugged renforce leur capacité à développer des programmes probants et leurs connaissances des CPS. Cela les a rendus agiles quant à leur capacité à utiliser des outils d’un programme pour atteindre les objectifs d’un autre[12]. Un apprentissage dans l’accompagnement et la posture s’est avéré nécessaire pour pallier le manque de légitimité perçu de former des enseignants. Ils notent une grande satisfaction de réussite quand l’enseignant accompagné s’autonomise. Cependant, cela relève d’une grande exigence en matière de posture (capacités à contextualiser, gérer le temps, s’exprimer de manière synthétique et adapté, captiver un public). Cela leur permet de ne pas s’enfermer dans des acquis, une routine, d’être vigilant au regard porté sur le public. Les contributeurs de l’association notent que la complémentarité des expertises et les capacités développées par les enseignants les nourrissent dans leur manière d’accompagner d’autres enseignants.

  • Du point de vue de l’équipe éducative

Faire découvrir les CPS et apporter d’autres stratégies pour le développement de la relation avec les élèves sont des idées qui visent à essaimer une autre vision de la relation éducative. L’apport d’Unplugged est qualifié de manière très positive par les deux membres des équipes éducatives interviewés. Leur participation au programme permet aux enseignants de réfléchir à leur pratique, via le fait d’avoir un retour d’une personne qui n’est justement pas issue de leur environnement professionnel habituel. La coanimation se révèle avoir autant un attrait positif pour les enseignants (double regard sur ce qui s’est passé, émulation dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’action) que pour les enfants (point suivant). C’est une modélisation qu’ils s’essayent à mettre en œuvre dans leur établissement en dehors du programme (Histoire et Français pour l’enseignante interviewée) dans la mesure ou leur direction crée un environnement favorable pour le faire (alignement des agendas). Les outils sont également réexploités dans le cadre de sessions d’enseignements classiques (pour réactiver ce qui a été appris précédemment). S’ils sont capables de mettre en œuvre seul le programme, la coanimation amène plus de complémentarité et une meilleure lisibilité de ce qu’il se joue dans le processus d’apprentissage. Enfin, dans la construction des séances, Pauline Boisselier souligne qu’aujourd’hui elle « prépare tous ses cours en cherchant vraiment à mettre l’élève au cœur de la séance, en lui donnant un rôle. C’est systématique ».

  • Concernant les enfants

La coanimation permet, selon les contributeurs, une dynamique et une modélisation d’actions mettant les enfants en situation d’acteurs de toutes les découvertes, de toutes les recherches. Les différentes explorations démontrent que les enfants sont demandeurs de ce type de dynamique. Il y a un échange, de la cohérence, une identification des jeunes vis-à-vis de 2 personnes. Les professeurs sont la plupart du temps seuls à gérer le groupe, prendre des notes, gérer les individualités. En coanimation cela amène plus de présence, plus d’attention. En matière d’apprentissage, les enfants se sentent mieux, sont plus efficaces. Mais au-delà de cette efficacité, c’est aussi le regard que les élèves portent sur les enseignants qui semble changer. Ils identifient qu’ils peuvent parler à un adulte d’une autre manière que ce qu’ils imaginaient. Les animateurs constatent des élèves prenant confiance, s’affirmant à l’oral, s’épanouissant. Dans différentes situations, la manière d’explorer les sujets ont amené certains à exprimer les difficultés qu’ils rencontraient (harcèlement, addiction aux écrans), ce qui a permis de résoudre la problématique vécue. Les exercices collaboratifs et collectifs ont également permis de créer une cohésion au niveau de la classe.

Bilan

Unplugged est un programme riche et de ce fait complexe à mettre en œuvre techniquement. Culturellement, il demande de préparer le terrain pour une implantation optimum. Il présente donc un certain nombre d’exigences auxquels les acteurs de l’EN ne peuvent déroger, du fait même de sa qualité de projet probant d’une part, d’autre part parce que les financements au sein des établissements scolaires sont liés à des mesures d’efficacités.

« C’est un projet qui a été validé nationalement, internationalement. Le fait qu’il soit validé engendre des subventions et permet qu’il soit évalué, qu’en termes de politique nationale on puisse savoir qu’on investit pour quelque chose qui fonctionne. Avec la LOLF [loi organique relative aux lois de finances], on ne pourrait pas faire autrement. C’est pour cela que l’on nous demande autant de faire des enquêtes sur ce qu’on fait et de rendre compte que les actions que l’on met en place fonctionnent. Donc je comprends qu’au départ il faut un cadre. Maintenant, sur le terrain, au quotidien, ça permet de rassurer des enseignants, d’avoir un outil un peu clé en main. Ça ne leur demande pas énormément d’investissement, de préparation en amont. C’est douze heures et si en plus de ça je demandais une préparation importante ils me diraient « non ». Là, ils sont à deux, c’est des outils clé en main… Par contre, effectivement il y a des fois où on aimerait un peu plus de souplesse ».  

Angéline Sanchis-Bisbrouck | Principale de Collège 

Les personnes interviewées sont très inspirées par Unplugged. Certaines travaillent actuellement à une prolongation de celui-ci, pour développer les CPS au niveau des autres classes : 5éme/ 4éme. L’objectif étant entre autres de les maintenir ou de réactivité certaines

Globalement, ils notent des points d’éléments majeurs à prendre en considération pour son développement :

  • La formation comme préalable pour favoriser le développement d’une communauté de pratiques,
  • Une anticipation des points organisationnels pour alléger les contraintes des acteurs,
  • Une posture bienveillante, compréhensive et pédagogue de la part des chargés de prévention auprès des membres des équipes éducatives des établissement dans la mise en œuvre pour pouvoir pérenniser son développement. 

[1] Frise historique : https://apleat-acep.com/historique/

[2] « Savoir résoudre des problèmes, communiquer efficacement, avoir conscience de soi et des autres, savoir réguler ses émotions : telles sont quelques-unes des compétences psychosociales (CPS) des personnes. Depuis trente ans, de nombreux programmes de prévention s’appuyant sur leur développement ont été mis en œuvre à travers le monde. Elles sont reconnues comme un déterminant clé de la santé et du bien-être, sur lequel il est possible d’intervenir efficacement. Ce type d’intervention est déployé de manière relativement récente en France » : https://www.santepubliquefrance.fr/docs/les-competences-psychosociales-definition-et-etat-des-connaissances

[3] https://www.santepubliquefrance.fr/docs/caracteristiques-des-interventions-competences-psychosociales-efficaces

[4] https://otcra.fr/evenement/formation-programme-de-prevention-unplugged/

[5] L’ensemble des éléments descriptifs des pages 3, 4 et 5 sont issus du document « guide d’implantation » produit par Addictions France

[6] Il y a la possibilité de faire une 13ème séance optionnelle sur les écrans (addictions aux jeux vidéos, smartphones, réseaux sociaux, séries TV).

[7] 1.Introduction ; 2.Être ou ne pas être dans un groupe ; 3.Alcool, risques et protection ; 4.Et si c’était faux ; 5.Tabac-Chicha – que sais-je ? 6.Exprime tes émotions ; 7.Être en confiance, savoir dire non ; 8.Briser la glace ; 9.Infos/Intox ; 10.La force est en nous ; 11.Trouver des solutions ; 12.Conclusion)

[8] Si une première évaluation a été réalisée par SpF, la démarche évaluative est toujours en cours.

[9] Les échelons de collaboration financière avec l’ARS peuvent différer. Par exemple, pour des territoires et acteurs peu aguerris à l’exercice, l’ARS finance la Fédération Addictions pour l’intervention. Pour l’APLEAT-ACEP, l’ARS leur reverse l’argent et ils gèrent leurs modalités de déploiement.

[10] D’autres éléments ont pu être repérés dans le cadre des bilans de supervision par la Fédération Addiction : https://federationaddiction.sharepoint.com/:b:/s/FederationAddiction/EbsH8hHx8AVNqE4DzDtXnCEBNq5tpCCmX4dK9jCuZ_GOvA?e=Ud3cSQ

[11] « Le programme Good Behavior Game, ou GBG, est un programme de prévention américain fondé sur des preuves scientifiques. Il est destiné aux enfants de l’école élémentaire (CP au CM2) et a pour but de développer leurs compétences psychosociales » : https://www.respadd.org/promotion-de-la-sante/competences-psycho-sociales/

[12] L’outil GBG par exemple sur les niveaux de voix -> trouver un lien -> faire la demande aux contributeurs