TABARET : un projet pour favoriser l’arrêt du tabac pour les personnes en situation de vulnérabilité

Association Addictions France (AAF) en Occitanie déploie depuis 2019 sur 11 départements de la région une action intitulée TABARET ayant pour objectif de favoriser l’arrêt du tabac chez les personnes en situation de vulnérabilité. Partant d’une première expérimentation qui a eu lieu sur le territoire et dont les acteurs ont pu estimer qu’elle favorisait une augmentation sensible de la motivation des personnes en ayant bénéficiées, AAF Occitanie a souhaité élargir son périmètre d’intervention tout en garantissant la qualité de mise en œuvre de son action. Elle en a notamment renforcé le processus évaluatif. Malgré une situation complexe (COVID, interruption de la structure d’appui à l’évaluation), les acteurs ont su mobiliser 33 structures pour déployer leur projet. Composée de temps de sensibilisation (professionnels et usagers) et de 4 ateliers motivationnels centrés sur la capacité au changement, appuyée par la démarche d’entretien motivationnel appliqué au groupe, l’action a montré que le collectif était véritablement vecteur de mobilisation chez les personnes souhaitant s’inscrire dans ce changement.

Présentation de l’intervention

Présentation de la structure

Association Addictions France (AAF)

Association nationale reconnue d’utilité publique, elle se décline au niveau régional puis départemental. Ex ANPAA[1] (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), elle intervient dans le champ de la prévention des conduites addictives, sur des activités qui vont de la prévention primaire auprès des publics jeunes ou en situation de vulnérabilité, aux actions de prévention par les pairs, de réduction des risques, d’ « aller vers ». Elle couple cette activité avec celle de soin via des Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) accueillant des personnes en difficulté vis-à-vis des conduites addictives, sur des consultations gratuites proposant un accompagnement médico-psycho-social. Parallèlement, elle met en place des formations auprès des professionnels et bénévoles des structures partenaires et assure notamment, dans le cadre de la loi Evin, une mission de plaidoyer. AAF Occitanie couvre les 13 départements de sa région possédant chacun un CSAPA. L’équipe « prévention » est composée de 25 professionnels, déployés sur l’ensemble du territoire et sur différents programmes financés par l’Agence Régionale de Santé (ARS) Occitanie et d’autres fonds, en fonction des appels à projet.

Contexte

Via le baromètre santé, le programme national de lutte contre le tabac 2018-2022 souligne un accroissement des inégalités sociales de santé concernant le tabac (augmentation de la prévalence notamment chez les personnes à plus faible revenu), un des facteurs identifiés étant une moindre accessibilité a une prise en charge. Les propositions stratégiques développées dans ce plan via son action 13 visent l’adaptation de la logique « lieux de santé sans tabac »[2] aux différentes structures mais aussi l’expérimentation de modèles d’offre d’accompagnement adaptés dont il est nécessaire d’évaluer l’efficacité. La région Occitanie se classe au 4éme rang des régions ayant un taux de pauvreté élevé[3], déterminant ce territoire comme particulièrement pertinent en matière de déploiement d’actions autour des questions de tabac.

Objectif, financement, éléments de calendrier et principaux partenaires

Afin de favoriser l’arrêt du tabac pour les personnes en situation de vulnérabilité et/ou de précarité, l’association a développé une action intitulée TABARET ayant pour objet de faire émerger chez ces personnes des motivations à la réduction et à l’arrêt du tabac par le déploiement d’actions collectives de promotion de la santé et d’accompagnement dans les établissements les recevant. L’action a pu être financée sur 3 ans par l’ARS dans le cadre d’un Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) de 2019 à 2021.

En 2019, AAF Occitanie a été accompagnée dans la conception des outils d’évaluation du projet par une bénévole de l’association, anciennement directrice de recherche, et Epidaure[4], département prévention de l’Institut du Cancer de Montpellier (ICP), au travers de la plateforme de recherche PRPPC. Elle a aussi pu commencer la même année à déployer son activité en lien avec les structures accueillant les publics identifiés comme vulnérables (personnes précaires, en situation de handicap, en difficulté d’insertion socio-professionnelle (exemples de structures p. 6)).

Le portage du projet et son déploiement

Avec un appui régional, via un groupe réunissant l’ensemble des chargés de prévention d’AAF des départements engagés, le projet se déploie de manière dynamique sur 11 départements de la région. Chaque animateur chargé de prévention, rattaché à un CSAPA, intervient en duo avec un infirmier.e ou un tabacologue de ce dernier. Après l’identification de la structure et la formalisation de l’engagement (conventionnement), des actions de sensibilisation auprès des professionnels de la structure puis du public ont lieu. Les ateliers motivationnels sont ensuite mis en place (au nombre de 4) au sein de l’établissement. En matière d’évaluation, des outils de suivi (livrets) sont renseignés autant par les bénéficiaires de l’action que par ceux qui l’organisent. Un questionnaire d’évaluation est fourni aux professionnels de l’établissement.

L’action
Etape 1 : Sensibilisation des professionnels de l’établissement (entre 2 à 3h)Objectif : Sensibiliser l’ensemble de l’équipe à la question du tabac, leur permettre d’identifier comment ils peuvent aider les usagers de leur structure à l’arrêt ou la motivation de l’arrêt de consommation de tabac
Méthode : Travail sur les représentations, apport d’informations, mises en situation pour déterminer comment réagir et quel discours porter auprès des usagers
> Identification du ou des référents de l’établissement accueillant l’activité
Etape 2 : Sensibilisation des usagers de l’établissement et recrutementObjectif : Présenter le programme, créer des questionnements autour de la consommation de tabac, apporter des éléments de compréhension sur les difficultés liées à l’arrêt, recruter les usagers pour les ateliers motivationnels
Méthode : Forme adaptée en fonction des modalités organisationnelles de la structure (temps dédié : petit déjeuner/goûter, réunions collectives, stands)
> Inscrire des personnes aux ateliers motivationnels
Etape 3 : Les 4 ateliers motivationnels (1h à 1h30 chacun)Objectif : Travail sur les questions des motivations liées à la consommation du tabac/les produits associés
Méthode : Mise en place de 4 ateliers motivationnels interactifs favorisant l’expression et le vécu sur le sujet
Remise de substituts nicotiniques suivant les demandes et lien avec l’activité de consultation individuelle du CSAPA
EvaluationTemps de débriefing avec l’équipe a l’issue des séances pour savoir comment cela s’est passé pour eux, leur ressenti, ont-ils vu des modifications de comportement, de l’entraide entre usagers ou usagers et professionnels ?
Les acteurs
Responsable régionale de la prévention– Lien avec les différents partenaires, notamment financiers
– Animation de la dynamique régionale et de l’équipe des chargé.e.s de prévention
– Construction et analyse régionale des éléments d’évaluation en lien avec la plateforme Epidaure
Chargé·e·s de prévention départementaux de l’association– Identification de la structure pour l’intervention
– Présentation du projet et formalisation de la relation (conventionnement)
– Mise en place des actions de sensibilisation auprès des professionnels et du public
– Co-animation avec l’infirmier (ou le tabacologue) des ateliers motivationnels
Infirmier·e du CSAPA– Co-animation avec le chargé de prévention des ateliers motivationnels
– Consultations individuelles et lien avec le CSAPA
– Remise de substituts nicotiniques suivant les demandes et les besoins
Référent.e de la structure accueillante– Suivi du projet dans son établissement sur sa globalité
– Assure l’aspect organisationnel de l’action (réservation des salles, mobilisation du public)
– Assure le continuum en inter-ateliers

En ce qui concerne les ateliers motivationnels

Les ateliers sont établis sur la base de 4 séances, titrées et objectivées. Chacune fait l’objet d’un déroulement intégrant des outils en lien avec les objectifs à atteindre. Elles se basent sur les principes de l’entretien motivationnel, dont les techniques sont adaptées à l’animation d‘un groupe. Même s’il peut exister une structuration dans les séances (voir exemple ci-après), le contenu des 4 ateliers est défini avec le public en séance 1 et n’est pas forcément le même partout. Certains groupes vont davantage parler des prises de poids car il y a beaucoup de questions sur ce point alors que pour d’autres ça ne va pas être abordé.

TitreObjectif
1« Atelier motivationnel pour les personnes intéressées »Permettre à chacun de déterminer sa motivation à la diminution et/ou l’arrêt.
2« Effets du tabac et bénéfices de l’arrêt »Permettre à chacun d’appréhender les bénéfices d’un arrêt à court, moyen et long terme.
3« Atelier gestion du stress et alternatives au tabac »Déterminer ses difficultés dans la démarche de diminution et/ou d’arrêt, appréhender la notion d’émotions et leurs rôles dans le tabagisme, envisager l’après, faire le relais avec les instances compétentes dans le maintien à l’arrêt.
4« Substitution et méthodes d’aide à l’arrêt »Définir avec les fumeurs les diverses méthodes d’accompagnement afin de leur permettre de faire des choix d’accompagnements plus éclairés.

« La première phase, c’est vraiment d’engager le groupe, apprendre à se connaitre, savoir eux où ils en sont de leur consommation… La seconde ça va être plus de voir justement cette balance décisionnelle, explorer un peu les différentes situations, et la troisième c’est vraiment élargir les perspectives et du coup anticiper en fait aussi tout ce qui peut arriver au moment du sevrage, aller un peu plus loin que dans l’arrêt. Avec justement les séances qu’on a pu proposer autour de la relaxation, des petites techniques autour de la gestion du stress ». 

Marie Sanchez, animatrice/chargé de prévention | AAF 34

Les ateliers motivationnels en pratique

Ces ateliers permettent de travailler la motivation à l’arrêt du tabac. Un livret est remis à chaque participant où différentes questions posées leur permettent de situer leur consommation, leur degré de dépendance, leur motivation à l’arrêt. Le duo d’animation propose dans ces temps collectifs un apport d’information, des mises en situation, des échanges autour des manières d’arrêter, les outils qui existent pour cela, les conseils pratiques pour maintenir cet arrêt quand il a lieu. A la fin de chaque séance, l’infirmier.e est disponible pour proposer des entretiens individuels, remettre des substituts nicotiniques aux personnes qui le souhaitent, faire le lien avec le CSAPA dans le cadre d’un suivi plus individualisé.

Principaux éléments saillants

Point de départ – émergence et déploiement du projet

Considérant différents marqueurs (perte de chance pour les publics dits vulnérables dans la réussite d’un arrêt de consommation, taux de précarité régional non négligeable), AAF en Occitanie a eu la volonté de mettre en place une action plus développée, sur le long terme, dans une logique de réduction des inégalités sociales de santé. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur de premières expériences départementales développées sur la région dans le cadre du Mois sans tabac 2017. Ces dernières avaient mis en évidence des effets intéressants en matière d’augmentation de la motivation à l’arrêt de la consommation de tabac. L’équipe a donc déployé cette expérimentation sur une échelle régionale, en répondant à un appel à projet de l’ARS (Fonds Tabac), ciblant un financement sur 3 ans. L’élaboration de ce projet s’est appuyée sur certains critères :

  • Elaborer une action collective sur un temps long en favorisant le « aller vers »,
  • Agir auprès des publics et conjointement sur leur environnent (notamment les professionnels),
  • Déterminer une méthodologie d’évaluation permettant de suivre qualitativement le développement du projet et les points de progression des bénéficiaires en matière de motivation au changement,
  • Intégrer l’action dans un processus large associant prévention et soins, pour notamment faciliter l’identification des ressources par le public et leur permettre de s’inscrire dans un schéma parcours.

La première partie de l’année 2019 a été consacrée en partie à la création des outils, notamment d’évaluation. La seconde partie de l’année a une première exploration auprès de certains établissements. Les 2 années suivantes ont consisté en la mise en œuvre du projet.

Pour les établissements participants

Le choix des partenaires (seconde partie de l’année 2019) s’est porté sur des collaborations connues où des interventions existaient déjà. Ayant connaissance des consommations dans ces établissements, il s’agissait d’une opportunité de proposer un projet spécifique d’accompagnement de leurs usagers. Une fois les structures identifiées, les équipes d’AAF ont été particulièrement vigilantes, avec ces dernières, de bien déterminer le moment de rencontre le plus adapté pour mobiliser les personnes. La volonté a été de s’intégrer aux activités des établissements pour que cela ne les impacte pas, ne leur demande pas une surcharge de travail, s’adapte à leur projet.

Pour l’évaluation

L’équipe d’AAF souhaitait objectiver les résultats de l’expérimentation menée précédemment sur quelques départements. Grâce à la présence d’une bénévole de l’association ayant des compétences en santé publique et des liens partenariaux, une mise en relation a pu s’effectuer avec la plateforme Epidaure. Un premier travail en 2019 a permis la construction préliminaire des outils. La plateforme a alors pris le relais en 2020 et présenté les principaux résultats du projet développé régionalement en 2021 sur la base des documents produits sur les années précédentes.

CibleOutilObjectifEnjeuxUtilité
BénéficiaireLivret*Mesurer l’évolution de la motivation, les conditions de son développementAppropriable par le bénéficiaire (Remis à la fin)Pour l’aspect scientifique du projet  Pour l’usager (visualisation de l’évolution de la motivation au fur et à mesure des séances)
Chargé.e de prévention Addictions FranceOccitanie  LivretAvoir un suivi précis du développement du projet Pouvoir faire du lien entre les caractérisations des structures, les publics et les capacités motivationnellesIl existait en interne des fiches de suivi des actions. Au regard des enjeux du projet, dans l’ambition de ne rien oublier et aller au-delà du simple quantitatif, un livret a été produit sur la base des fiches antérieures.Alimenter le groupe régional des chargés de prévention de l’AAF afin d’identifier et d’améliorer le processus de mise en œuvre Evaluation des effets de l’action
Référent de l’établissement LivretSuivre l’intérêt du projet, des séances, modifications à apporter (adapter au mieux pour qu’elles correspondent au mieux aux besoins du public)Favoriser l’autonomie du référent sur le sujet Croiser les regards sur l’évaluation des tempsRetravailler chacune des étapes du projet au niveau du Duo avec comme base un écrit
Professionnels EtablissementsQuestionnaire avant-aprèsMesurer l’évolution de leurs connaissances et représentationAdapter la séance de sensibilisation aux besoinsIdentifier des référents
Chaque livret est en format papier et est différent en fonction des besoins des différents acteurs.

Focus sur le livret « Usagers »

Chaque participant s’engageant dans les ateliers motivationnels se voit remettre un livret. Ce dernier est nominatif. Il va lui permettre de faire le point sur ses propres consommations, répondre à un certain nombre d’interrogations sur ce que l’atelier a pu lui a apporter mais aussi sur les questions en lien avec sa propre motivation à l’arrêt. Si les livrets sont récupérés à chaque fin de séance afin que ceux-ci puissent être analysés pour évaluer l’impact de l’action, ce dernier lui est tout de même remis à la fin du cycle pour qu’il puisse garder une trace de son processus de réflexion.

Si à la première séance des questions lui sont posées sur « qui il est » et ses habitudes de consommation, chaque fin de séance est une occasion pour lui d’identifier où il en est de son désir d’arrêt ou de réduction de sa consommation, ce que le groupe et la séance lui ont apporté, les remarques qu’il pourrait faire. Chaque début de séance lui permet sur ce livret d’exprimer s’il a pu modifier sa consommation en identifiant notamment les différentes stratégies. Pour que l’usager visualise au mieux sa progression, les promoteurs de l’action ont utilisé le schéma du Mois sans tabac (une échelle permettant de rendre visible le processus de progression).

Principaux enseignements

Résultats observés

Sur l’année 2019, 11 des 13 départements ont fait l’objet d’interventions. 15 sessions ont pu avoir lieu auprès de partenaires diversifiés : 6 en Etablissements ou Service d’Aide par le Travail (ESAT), 2 au sein de dispositifs ACT (Appartement de Coordination Thérapeutique), 2 dans le cadre de SAMSAH (Service d’Aide Médico-Social pour Adultes Handicapés), 1 en CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Social), 4 sur d’autres types d’organisation (Pension de famille, Groupe d’Entraide Mutuel, Chantier d’insertion, Réseau d’entraide).

Les taux de participation varient en fonction du lieu choisi mais aussi du fait qu’il n’y ait pas d’obligation de participation à l’ensemble des sessions. Par exemple, dans le département de l’Hérault (34) :

  • La ressourcerie | ERCA Initiatives | Chantier d’insertion – 11 participants
  • Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale – 6/8 participants

Les profils des participants varient également. Dans cet exemple de l’Hérault, si dans le cadre de la ressourcerie, les bénéficiaires de l’action sont des personnes en situation de réinsertion sociale, le groupe constitué au CHRS est composé des professionnels de la structure.

Bilan général : Le projet a été très apprécié des partenaires sur sa forme et son fond. À la suite des présentations initiales dans les structures, il n’y a pas eu de retour négatif ou de retrait de ces dernières. Elles ont d’ailleurs fait en sorte d’être facilitantes en matière de participation, allant même, pour des structures différentes, jusqu’à organiser les déplacements des usagers pour qu’ils puissent participer à la fois à l’action de sensibilisation, à la présentation et aux ateliers. L’activité a été mobilisatrice pour les personnes, certaines revenant sur la structure spécifiquement pour l’atelier (à la ressourcerie elles sont revenues sur leur jour de repos). Le livret quant a lui a été très apprécié de la part des bénéficiaires, leur permettant de se situer vis-à-vis de leur problématique.

De manière qualitative

Résultat 1 : L’analyse des différents outils par la plateforme Epidaure, et notamment les livrets produits par les bénéficiaires montre que la motivation des usagers augmente au fur et à mesure des séances (statistiquement significatif entre chaque séance), plus particulièrement entre les séances 3 et 4, et que cette dernière se maintient entre les séances. Cela a démontré l’intérêt de proposer plusieurs séances.

« C’était le résultat principal. On se dit que c’est utile de faire ces différentes séances et d’avoir cette continuité de programme entre les séances, puisque ces usagers augmentent leur motivation. On n’a pas mesuré leur arrêt mais leur motivation à arrêter. On ne voulait pas limiter les inscriptions aux personnes qui souhaitent arrêter. On se disait qu’il y a des gens qui ne sont pas prêts à arrêter mais qui sont prêts à diminuer, à se questionner. En fait, une fois dans le groupe, finalement, ils finissent par arrêter ».

Pauline Martin, Responsable prévention régionale | AAF Occitanie

« On les avait vus en décembre, Marie leur avait fait des ordonnances pour les traitements de substitution à l’approche des fêtes de Noël. Et à la cinquième séance, beaucoup ont fait part que ce moment festif convivial, souvent de consommation d’alcool, c’était trop dur de résister. Du coup nous avons travaillé la place dans le groupe, qu’est-ce qui fait que c’est si compliqué de résister. Cette 5éme séance, ça a permis je pense de dédramatiser la rechute ou le faux pas »

Marie Sanchez, animatrice/chargé de prévention | AAF 34

Résultat 2 : Malgré la proposition, il y a peu de recourt à l’individuel, limité parfois à un bref échange en fin de séance. L’analyse de l’augmentation de la motivation n’est d’ailleurs pas corrélée à une demande de consultation individuelle. C’est principalement le groupe qui a créé la motivation. Si les promoteurs de l’action pensaient au départ cette étape indispensable, l’analyse a démontré l’inverse.

Selon Mme Martin « Les personnes qui viennent ressentent de moins en moins le besoin d’être accompagnées par un professionnel de façon individuelle, parce que le groupe leur suffit à développer leur motivation ». Les bénéficiaires ont d’ailleurs émis le souhait de revenir au bout de 3 mois, pour échanger sur où ils en étaient, le maintien de la motivation, les rechutes. Cela a engendré la mise en place d’une 5éme séance.

Résultat 3 : L’autonomie du référent de la structure était un objectif des acteurs d’AAF. L’idée était pour eux qu’il se forme, qu’il s’autonomise et qu’il finisse par gérer seul l’action de façon à ce que les chargés de prévention se positionnent en conseil et déploient l’action sur d’autres établissements. Cet objectif est apparu comme trop ambitieux. Plusieurs facteurs sont liés à cela : aspects techniques lié à l’animation nécessitant certaines compétences (point « Forces & Leviers »), nécessité d’avoir un bon niveau de connaissance des recommandations autour des questions de consommation qui changent régulièrement. Ils se sont cependant révélés être très à l’aise en ce qui concerne le lien avec le public, le recrutement, l’organisation des espaces, de savoir et pourvoir orienter vers un professionnel spécialisé, de soutenir les bénéficiaires des ateliers motivationnels entre chaque séance.

Forces & Leviers

  • Via la dynamique territoriale

Le pilotage régional a généré une dynamique entre acteurs (temps de travail tous les 3/6 mois). Chaque chargé.e de prévention, rattaché à son CSAPA peut partager son expérience au niveau de la région, faire part de ses difficultés, trouver des solutions, explorer celles des autres, identifier de nouvelles organisations pour promouvoir le projet. Ce partage permet une appropriation collective, la construction et l’adaptation des outils permettant d’en faire l’évaluation, un travail sur le contenu de chaque étape. Le régional est ainsi nourri de l’activité des acteurs, favorise leurs relations et sert d’interface avec les partenaires externes comme les financeurs. Il est la garantie pour les acteurs de ne pas perdre le sens du projet.

  • Via l’expérience des acteurs dans la mise en œuvre

Il est à noter que cette dynamique collective est au cœur de la construction du projet puisqu’il s’est développé à partir d’une action départementale satisfaisante, en impliquant les chargé.e.s de prévention des différents départements dans son déploiement, en lien avec les pratiques déjà expérimentées sur le territoire. Les apports sont donc continus et progressifs. Chaque chargé.e de prévention est le fil rouge de l’activité mise en place sur son territoire et sur la mise en commun des résultats au niveau de la région. Par exemple, le réajustement des outils d’évaluation : après un recul d’un an, les acteurs ont pu identifier collectivement que certaines questions des livrets étaient mal comprises, demandant une reformulation.

  • Via le choix des lieux d’intervention

« La première année, c’était des structures avec qui on avait déjà travaillé ou dont le public répondait vraiment aux questions posées. Sur l’année deux, on a été stoppé par le COVID, mais comme on avait déjà expérimenté, on savait de quoi nous parlions, même ceux qui n’avaient jamais fait le projet avant 2019. C’était plus facile pour l’expliquer. Le fait de répéter, chaque année, on gagne en façon de présenter, on peut donner des exemples, on peut illustrer comment cela s’est passé ailleurs ».

Pauline Martin, Responsable prévention régionale | AAF Occitanie

L’intérêt du projet réside dans sa localisation (au sein des structures, sur des horaires où le public est présent), sa gratuité et la variabilité qu’il propose entre individuel et collectif. Il doit s’établir à partir d’un discours commun avec les professionnels des structures pour venir appuyer son déploiement. Cela nécessite un travail en amont avec ces derniers sur leurs représentations et leur propre consommation et d’identifier un référent « solide » qui l’appuiera sur la durée. Réaliser sa première expérience chez un partenaire connu et auprès d’un public avec lequel on se sent à l’aise est gage de qualité. La localisation de l’action doit être pensée en matière de proximité (CSAPA ou consultation avancée) pour maximiser l’effet parcours.

  • Via le modèle d’action

Certains éléments sont favorables à l’implication des bénéficiaires : son caractère non obligatoire, sa fonction « espace ressource » non jugeant ni moralisateur, de partage d’expériences entre pairs où trouver des informations pour toute personne se questionnant sur sa consommation. Le travail en amont sur les représentations permet d’insister sur l’impact que le tabac a dans la société et sur soi. L’animation en duo permet la mixité des expertises et une complémentarité des rôles. Il permet aux bénéficiaires d’identifier le professionnel de santé dans l’hypothèse d’une rencontre en CSAPA mais aussi d’avoir des réponses à l’instant « T » reportées si la chargé.e de prévention intervenait seule. Si la régularité des séances est gage de qualité en matière de maintien de la motivation, il n’y a pas de recettes concernant le format de ces dernières, si ce n’est de ne pas être figé. Selon Mme Sanchez, il faut s’intéresser à comment les gens vont, afin d’identifier qui va s’engager, qui ne pourra pas. Il faut fondamentalement partir de ce que les personnes attendent du groupe et favoriser la « construction progressive des séances en fonction de ce qui est exprimé ». A partir de là, différents outils peuvent être alors utilisés pour répondre aux objectifs du groupe[5].

  • Via d’autres leviers

Parallèlement à la mise en chantier du projet TABARET, AAF Occitanie s’est engagé dans le projet TABADO[6] et certaines compétences développées dans ce dernier (comme celle autour de la capacité à mener des ateliers motivationnels) a permis aux acteurs de « se projeter plus facilement dans TABARET » selon Mme Martin. La montée en compétence des chargés de prévention a été appuyée par deux phases de formation à l’Entretien Motivationnel dans le cadre d’un groupe (une première session de 2 jours début 2020 et de 35h en 2021 sur plusieurs mois). Cette seconde phase s’est faite sur un format formation-action renforçant les aptitudes des acteurs, leur permettant d’exploiter concrètement des savoirs théoriques. Selon Mme Sanchez, cela leur a « permis de comprendre théoriquement ce qu’ils réalisaient déjà » en s’améliorant dans leur pratique.

Utilisée dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient, dans une approche centrée sur ce dernier pour lui permettre d’appréhender un changement, l’entretien motivationnel est, selon Miller et Rollnick, une « méthode de communication, directive et centrée sur la personne à aider, utilisée pour augmenter la motivation intrinsèque au changement, par l’exploration et la résolution de l’ambivalence ». L’idée est d’explorer, avec la personne, son sentiment d’efficacité personnel.

https://tcc.apprendre-la-psychologie.fr/l-entretien-motivationnel.html  

Freins & difficultés

Des difficultés ont pu être soulignées par les organisateurs de l’action.

Au niveau des acteurs de l’AAFAu niveau des acteurs des établissements
Concernant l’organisation

Difficulté commune : Etablir un calendrier commun au regard des impératifs de chacun
Dans la recherche des structures au regard du projet : une action proposée autant aux professionnels qu’au public de manière approfondie nécessite une disponibilité sur du tempsDans la difficulté pour les structures de s’engager sur un temps long (1 an)
Concernant les ressourcesIdentifier des référents dans la structure qui puissent investir complétement le projet, être présents aux différentes phases Complexité de mobiliser le personnel du CSAPA (Infirmier ou tabacologue) au regard de la gestion de ses autres activités Beaucoup d’adaptations car les groupes sont tous différentsL’organisation du temps, notamment de la fréquence entre chaque séance : plus les séances sont écartées dans le temps plus le risque de perdus de vue est important (problématique des publics précarisés/vulnérables en situation transitoire dans l’établissement adossée à la participation libre de l’activité)
Freins spécifiquesIncertitude sur le financement de la plateforme en charge de l’évaluation. Une partie des données ont été récupérées et traitées. L’implication de la plateforme est importante pour les acteurs d’AAF estimant des manques en termes de compétences en interne (notamment en gestion statistiques) et de temps pour réaliser ce travail de traitement[7]  Le tabac peut parfois être perçu par certains professionnels comme un médiateur relationnel avec les usagers. Les professionnels peuvent avoir personnellement des difficultés vis-à-vis de cette question de l’arrêt de leur propre consommation.

Bilan et transférabilité

Eléments à partager

Les contributrices soulignent que la plus-value du projet est vraiment sa démarche évaluative permettant d’identifier la motivation des publics à l’arrêt du tabac sans que ce dernier (l’arrêt) soit un objectif en soi. L’élément de succès est d’être parti d’une expérimentation réussie, qui, abordant un objet commun peu exposé au tabou (la consommation de tabac) peut ouvrir les échanges autour de la consommation des produits de manière générale (cannabis, alcool). L’utilisation du terme « accompagnement » a également eu beaucoup de sens, donnant le sentiment aux acteurs d’être plus sur une posture de conseil et d’appui, le collectif produisant de fait le socle de motivation nécessaire aux bénéficiaires. Une réflexion doit cependant toujours être menée auprès des professionnels où l’action a lieu, pour travailler autant sur leur représentation autour de la consommation du tabac, qu’en interrogeant de manière non culpabilisante leur propre pratique.

De façon général, ce projet met en exergue sa contribution aux cinq axes de la promotion de la santé définis par  la charte d’Ottawa.


[1] https://addictions-france.org/actualites/en-2021-lanpaa-devient-association-addictions-france-2193/

[2] Le label LSST : Lieu de santé sans tabac, est à l’initiative du RESPADD (Réseau de prévention des Addictions). Un LSST est un établissement de santé au sein duquel on s’abstient de fumer et où on accompagne patients et professionnels fumeurs vers l’arrêt de la consommation.

[3] Regards statistiques sur les dimensions du bien-être en Occitanie, Région Occitanie, Décembre 2018, p.16.

[4] Il s’agit à la fois d’un lieu d’accueil, de prévention et d’éducation pour la santé à destination de la population générale : https://www.icm.unicancer.fr/fr/linstitut-du-cancer-de-montpellier/la-prevention/epidaure-departement-prevention-de-licm

[5] Liste non exhaustive : la balance décisionnelle, les outils de gestion du stress, de l’activité corporelle, des séances de relaxation, l’outil « tire ta clop » : https://www.lecrips-idf.net/boite-outils/animatheque/tire-ta-clope , l’escalier motivationnel.

[6] https://tabado.fr/

[7] La démarche évaluative était ambitieuse. L’idée était d’avoir une estimation de ce qui relève des impacts par rapport à la motivation à l’arrêt, une analyse comparative entre les objectifs travaillés dans les séances et l’évolution de la motivation. Une première étape a pu être réalisée, celle de l’évaluation des livrets des bénéficiaires (résultats 1 et 2).Après une période d’incertitude sur le financement même de la plateforme et la recherche par l’équipe d’AAF d’autres solutions, la plateforme sera tout compte fait mobilisée jusqu’à l’été 2022 ce qui permettra l’analyse des résultats dans leur ensemble. Mais cette situation montre sur les parties « évaluation » des projets les contraintes auxquelles les structures sont soumises.