Santé mentale des jeunes en milieu rural : un bureau et une équipe mobiles

Souhaitant rendre ses services accessibles à l’ensemble des jeunes habitants du territoire, la Maison des Ados des Ardennes a développé un projet de bureau mobile. Depuis 2020, l’équipe sillonne ainsi le département en camping-car pour aller à la rencontre des jeunes, parfois très isolés, au plus près de leurs milieux de vie. L’équipe est fortement engagée dans ce projet qui relève pour elle de la justice sociale. Comment celui-ci a-t-il été construit ? Quels acteurs ont été associés et comment l’équipe mobile contribue-t-elle au développement du réseau partenarial ? Découvrez aussi les stratégies mises en œuvre par les professionnels pour accompagner les adolescents au sein du bureau mobile, en développant leur pouvoir d’agir et en les aidant à refaire lien(s).

05/03/2024

Télécharger Consulter

Thiery Delphine
Coordinatrice
contact@mda08.fr

Herbin Léa
Éducatrice spécialisée
contact@mda08.fr

Hologne Stéphanie
Infirmière
contact@mda08.fr

Jay Magali
Assistante sociale
contact@mda08.fr

Waeles Marie-Émilie
Monitrice éducatrice
contact@mda08.fr

Cette fiche de capitalisation a été produite dans le cadre d’un projet initié et financé par la Fondation de France et coordonné par la Société Française de Santé Publique.

Présentation de l’intervention

La Maison des Ados des Ardennes

La Maison des Ados des Ardennes (MDA 08) est un lieu d’accueil des jeunes de 11 à 25 ans, gratuit, confidentiel et libre. Les adolescents peuvent y venir sans l’autorisation de leurs parents, accompagnés s’ils le souhaitent d’un proche. Une équipe pluriprofessionnelle les accueille, les écoute, les accompagne et les oriente si nécessaire. Quelles que soient les difficultés qu’ils rencontrent, les jeunes sont reçus avec ou sans rendez-vous, individuellement ou dans le cadre de projets collectifs (ateliers théâtre, numérique, créatif, etc.). L’objectif des médiations proposées est de rompre l’isolement et de favoriser l’estime de soi, en coconstruisant avec chacun d’entre eux les solutions les plus adaptées.

La MDA 08 accompagne également les parents qui rencontrent des difficultés ou des inquiétudes vis-à-vis de leurs adolescents, individuellement ou dans le cadre de groupes de parole.

Bien qu’elle fasse partie du Centre hospitalier Bélair (Établissement public de santé mentale), la MDA est située dans le centre-ville de Charleville-Mézières, au sein d’une bâtisse discrète et accueillante. Les professionnels s’inscrivent dans un réseau partenarial riche et intersectoriel. De nombreux projets sont co-portés avec différentes structures du territoire. Au niveau national, les MDA sont fédérées au sein de l’Association nationale des Maisons des Adolescents (ANMDA). Leur déploiement national est soutenu depuis le début des années 2000 par l’État. Si elles prennent des formes différentes, elles ont toutes vocation à être des lieux polyvalents, où la « santé est considérée à la fois dans sa dimension physique, psychique, relationnelle et sociale, éducative[1] ». Il s’agit d’espaces « dédiés aux jeunes et non stigmatisés (si possible en dehors de l’hôpital), dans une logique à la fois pluridisciplinaire, interinstitutionnelle et réticulaire », visant à prendre en compte les différents déterminants de la souffrance adolescente[2]. Elles s’adaptent en permanence aux enjeux émergents dans la population jeune.

Accès aux soins des jeunes : de multiples obstacles

Les Ardennes sont un département à dominante rurale, subissant de fortes mutations industrielles depuis plusieurs décennies. De nombreux habitants rencontrent des barrières d’accès aux soins et font face à des difficultés sociales, le taux de pauvreté du département étant le plus élevé du Grand Est[3].

 Dans ce contexte, les professionnels de la MDA 08 œuvrent depuis plusieurs années pour l’accès de tous les adolescents à ses services, en proposant des solutions pour rejoindre les plus éloignés d’entre eux. Les obstacles sont toutefois nombreux et interreliés :

  • géographiques : le rayon d’action de la MDA 08 s’étendant sur l’ensemble du département, certains jeunes habitent à plus de 45 minutes de route de la structure ;
  • de mobilité : le réseau de transports en commun ne couvre pas la totalité du territoire. Certains adolescents viennent anonymement et ne souhaitent pas être accompagnés par leurs parents ;
  • financiers : même s’il existe une ligne de train ou si les adolescents veulent venir avec leurs proches, accéder à la MDA depuis un village éloigné représente un coût trop important pour certaines familles ;
  • liés à l’isolement : de nombreux jeunes sont très anxieux, voire agoraphobes, ou trop en rupture de liens pour parvenir à se déplacer ;
  • culturels : certaines familles sont très peu mobiles et craignent de se rendre « en ville », qu’elles perçoivent comme un environnement mal connu et anxiogène.

 

Des permanences décentralisées… à la création du bureau mobile

Pour contrer ces différents obstacles, quatre permanences décentralisées ont été installées en 2016 par la MDA dans des communes éloignées de Charleville-Mézières. Si cela a permis de rejoindre davantage de jeunes, le nombre de créneaux réduit et les horaires alloués par les municipalités ne permettaient toujours pas un accès aux adolescents les plus isolés géographiquement et socialement. C’est en 2019, lors d’une formation, que les acteurs de la MDA 08 ont rencontré les porteurs d’un projet de camping-car au sein de la MDA de la Nièvre. Ils s’en sont inspirés pour créer leur propre bureau mobile.

Figure 1 – Étapes de développement du projet de bureau mobile

Plusieurs objectifs pour répondre aux besoins de tous

L’objectif général du projet est d’aller au plus près des jeunes de 11 à 25 ans afin de rendre accessibles à tous les services de la MDA 08. L’accompagnement au sein du bureau mobile a pour objectifs spécifiques :

  • d’évaluer les situations et d’orienter si besoin les jeunes vers les structures adaptées ;
  • d’accompagner chaque jeune en lui permettant de trouver des personnes-ressources dans son entourage ;
  • de prévenir les passages à l’acte suicidaire et l’hospitalisation en psychiatrie.

Comprendre le fonctionnement du bureau mobile en un regard

Figure 2 – Synthèse du fonctionnement du bureau mobile

Principaux éléments saillants

Un partenariat intersectoriel riche

L’accompagnement proposé par la MDA étant multithématique, il nécessite de forts liens entre partenaires de nombreux secteurs. Les partenariats d’« aval » sont essentiels pour orienter les jeunes vers les prises en charge les plus adaptées. Les partenaires d’« amont » jouent également un rôle clé : ce sont souvent eux qui favorisent l’émergence d’une demande d’accompagnement de la part des adolescents, enjeu d’autant plus important que l’adolescence est une période d’émancipation du monde des adultes, où les demandes d’aide peuvent être difficiles à formuler[4]. Un partenariat de qualité est ainsi un levier pour assurer la continuité des parcours et la cohérence des réponses apportées. Qui sont les principaux acteurs du réseau partenarial autour du bureau mobile ? Quels sont les leviers clés ayant favorisé ces partenariats ? 

Figure 3 – Équipe et partenariats autour du bureau mobile

Une approche territoriale

Avant même l’acquisition du camping-car, l’équipe de la MDA a opéré un découpage du territoire en plusieurs secteurs, auxquels ont été attribué des binômes référents. Chaque binôme de professionnels a parcouru son secteur pendant plusieurs semaines pour aller à la rencontre des acteurs locaux. La connaissance et la compréhension du territoire (de ses acteurs et habitants, mais aussi de sa géographie) sont des étapes indispensables. Grâce à ce travail, le projet a été bien accueilli, notamment dans les secteurs les plus éloignés du département où les acteurs ont peu de relais vers lesquels orienter les jeunes en souffrance. Depuis que les accompagnements en camping-car ont commencé, les habitants eux-mêmes viennent parfois échanger avec les professionnels, intrigués par cette approche originale.

« On a fait un gros travail de communication avant de démarrer le bureau mobile. On a contacté tous les établissements scolaires, et expliqué le projet de camping-car en distribuant des flyers aux acteurs du territoire comme les communautés de communes, les centres sociaux. Ensuite, le réseau, il faut tout le temps le travailler, l’activer. » 

Magali Jay, accueillante  

Un partenariat en constante évolution

Au départ, les partenaires « prescripteurs » (ceux qui orientent les jeunes vers le bureau mobile) étaient surtout les professionnels de l’Éducation nationale des secteurs des permanences décentralisées, où la MDA 08 était identifiée. Plusieurs éléments ont amené les partenariats autour du projet à se développer et à évoluer :

  • le « bouche-à-oreille » et les temps d’information effectués par l’équipe (comme récemment, auprès de l’ensemble des conseillers principaux d’éducation (CPE) des Ardennes). Aujourd’hui, le bureau mobile est bien identifié sur l’ensemble du département.
  • La participation à un programme commun avec les médecins traitants : il a permis de renforcer l’interconnaissance et ceux-ci sont aujourd’hui les principaux vecteurs d’orientation vers le dispositif.
  • La réalisation d’actions collectives lors de forums organisés par les partenaires (une fois par mois environ) : le camping-car constitue un stand propice aux échanges et actions de prévention collectives. Cela permet de rencontrer de nouveaux acteurs et de renforcer les liens partenariaux.
  • Les prises en charge communes au sein du bureau mobile : elles permettent à des partenaires de mobiliser cette modalité d’intervention, et contribuent également à renforcer les liens et l’interconnaissance. On peut citer l’exemple des accompagnements réalisés en commun avec des professionnels de la Consultation jeunes consommateurs (CJC) au sein du camping-car. D’autres actions communes sont réalisées, avec la Mission locale par exemple, telles que des groupes de parole à destination des parents.
  • Les enjeux émergents, sans cesse renouvelés lorsque l’on travaille auprès d’une population adolescente: ils entrainent des reconfigurations partenariales. Par exemple, un réseau se constitue actuellement à l’initiative de la MDA pour accompagner les jeunes sur les questions d’identité de genre. Il implique de nouvelles associations, ainsi qu’un projet commun avec une compagnie d’arts de rue.

Reconnaissance et négociations

La relation de partenariat intersectoriel se fonde sur l’existence de difficultés que les acteurs de chaque secteur ne peuvent régler individuellement[5].

Bien connaître ses partenaires et reconnaître la complémentarité des compétences de chacun permet de proposer aux adolescents les prises en charge les plus adaptées.

Des négociations et des ajustements sont parfois nécessaires, ainsi que des prises de position pour réaffirmer son rôle et ses fondamentaux. Aujourd’hui, les partenaires comprennent par exemple tout à fait que l’accueil à la MDA est confidentiel et qu’ils n’auront pas de retour de la part de l’équipe sur les accompagnements des jeunes qu’ils ont orientés.

Un exemple de négociation partenariale : la localisation du camping-car

Les CPE de certains collèges souhaitaient que le camping-car se gare au sein même de l’établissement pour réaliser les accompagnements, car ils ne voulaient pas laisser les élèves sortir. Or, pour l’équipe du bureau mobile, il est essentiel de ne pas être assimilée au personnel éducatif, de permettre aux jeunes de venir de manière confidentielle, et d’être accessible à tous, même à ceux qui sont non scolarisés ou en décrochage. Grâce à un travail de communication important sur les attentes de chacun, des solutions ont été trouvées : dans certains établissements, le CPE accompagne le collégien jusqu’au camping-car et l’équipe le prévient lorsque l’entretien est terminé pour qu’il vienne le chercher.

La coordination et l’inscription dans les dispositifs locaux de santé publique

Financement du projet

Depuis le démarrage du projet, la recherche de financements est une priorité pour assurer sa mise en œuvre et sa pérennisation. Le soutien de la Fondation de France, puis de l’ARS, ont permis de mettre sur pieds le dispositif. Son financement est aujourd’hui assuré pour quatre ans via le PTSM. La coordinatrice du dispositif insiste sur l’importance de penser la pérennisation du projet dès sa conception. L’enjeu du financement du fonctionnement du bureau mobile (en particulier les temps de travail des professionnels), et pas seulement des investissements, est en effet prégnant. 

Pour maintenir et développer les liens de partenariat, la fonction de coordination, qui représente aujourd’hui un demi-ETP au sein de la MDA, est essentielle. La coordinatrice agit comme interface entre les différents professionnels de la structure, l’administration du Centre hospitalier et les partenaires. Elle permet l’émergence et le financement de nouveaux projets, notamment à travers les dispositifs de santé publique dans lesquels le bureau mobile est inscrit. Grâce à l’approche territoriale développée par l’équipe, celui-ci fait désormais partie de la majorité des Contrats locaux de santé (CLS) du département et constitue l’une des fiches-actions du Projet territorial de santé mentale (PTSM).

Les stratégies mobilisées

Figure 4 – Synthèse des stratégies mobilisées dans le cadre du bureau mobile

1. Le renforcement du pouvoir d’agir des adolescents

Dans le cadre de son accompagnement par l’équipe mobile, le jeune est pleinement décisionnaire. Il peut choisir à tout moment de poursuivre ou non la prise en charge, de participer ou pas à des actions collectives. Si les parents veulent être présents mais que leur enfant ne le souhaite pas, ils seront accompagnés par un autre binôme de professionnels. La participation est en effet un principe ancré dans l’ADN de la Maison des Ados, où de nombreux projets sont entièrement coconstruits avec les jeunes. Dans le cadre du bureau mobile, les adolescents choisissent le lieu de rendez-vous qui leur convient le mieux : devant chez eux, à proximité du collège, sur une place de village, etc. Ce lieu peut varier ou non au cours de l’accompagnement, sachant que des recherches sur les équipes mobiles ont montré un effet positif des changements d’environnement au cours du suivi sur l’évolution des symptômes de souffrance[4]. Au-delà de cette possibilité de rencontrer le jeune là où il est, comment se construit l’alliance permettant de rendre effective cette participation ? Qu’est-ce que cela implique en termes de posture des professionnels ?

Construire l’alliance

L’alliance entre professionnel et jeune recouvre les notions de « négociation » – pour construire une signification partagée – et de « mutualité », pour agir ensemble et se coordonner[6]. L’alliance se tisse d’abord à travers un cadre particulièrement souple, clairement exprimé au jeune dès le premier rendez-vous. On peut parler de modalités « à bas seuil d’exigence », offrant un accueil « “neutre” et “ouvert”, non stigmatisant et qui inspire la confiance[2] ». Selon les professionnels, ce cadre est souvent « testé » par les jeunes au début de l’accompagnement (qui ne viennent pas à un rendez-vous sans l’avoir annulé par exemple). Constatant que cela ne remet pas en cause leur accueil la fois suivante et qu’on ne leur demande aucune justification, ils accordent peu à peu leur confiance aux professionnels.

D’autres leviers favorisent l’alliance :

  • la confidentialité : le lien avec d’autres partenaires n’est établi qu’avec l’accord du jeune concerné, sauf dans le cas d’une information préoccupante. Il en est informé dès le début de l’accompagnement et si cette situation se présente, les professionnels travaillent en concertation en lui expliquant toute la démarche ;
  • la bienveillance et le regard positif sur chaque jeune : dès le premier rendez-vous, l’équipe fait son possible pour mettre les personnes « à l’aise ». Les professionnels s’intéressent de manière authentique à leur univers, à ce qu’elles aiment faire. Ils s’accordent au rythme de chacun au cours des entretiens, sans « chambouler sa normalité » ; 
  •     le caractère atypique et décalé du camping-car : il attire les regards et suscite la curiosité. Moins formel qu’un bureau, l’intérieur permet de recréer un « petit lieu de vie ». L’entretien est mené sur des banquettes, autour d’une petite table. C’est un espace « cocon », chaleureux et intime où l’on propose au jeune une boisson chaude, une couverture ; que l’on décore pour Noël, etc.
« Le système met l’accent sur les aspects négatifs. On ne voit plus les capacités des jeunes. Nous on est là pour faire ressortir l’inverse. On ne va pas le juger ni lui faire la morale, on va essayer de comprendre ce qui en lui peut l’aider à se sortir de là. C’est ça qui permet une accroche. »

Stéphanie Hologne, accueillante 

Accepter de partager le pouvoir : une posture professionnelle à apprivoiser

Travailler avec ce cadre et cette place laissée au jeune peut être déstabilisant pour certains professionnels. Il s’agit pour eux d’adopter une posture de non-jugement et de respect des choix de l’adolescent, qui peut malgré tout parfois générer une certaine « frustration », notamment lorsqu’ils perçoivent« quelque chose que le jeune pourrait travailler et que ce n’est pas vers cela qu’il va, ou qu’il n’est pas prêt pour l’instant ».   

L’accompagnement visant le développement du pouvoir d’agir implique ainsi souvent un pas de côté par rapport aux pratiques antérieures ou à la formation des professionnels. Par exemple, les éducatrices se décentrent de leur rôle éducatif habituel, tandis que la psychologue n’effectue pas de prises en charge thérapeutiques : toutes se placent dans la même posture d’évaluation, de soutien et d’orientation. Les membres de l’équipe de la MDA sont d’ailleurs tous désignés comme « accueillants », ce qui met en lumière la fonction d’accueil spécifique qu’ils occupent, propre à favoriser l’alliance et la participation des jeunes[7]. Cela permet en outre d’accéder à des personnes qui peuvent déjà avoir un parcours de prise en charge compliqué ou des représentations négatives de certains professionnels.

« On est toutes assez souples et flexibles. Il faut être prêt à ça. Lorsqu’on rencontre un jeune, il faut bien avoir en tête que c’est lui qui décide s’il revient ou non. Pour certains professionnels, c’est difficile de se dire “je n’ai pas la mainmise”. C’est le jeune qui est acteur et on est à sa disposition. »
– Léa Herbin, accueillante

« Le cadre est moins rigide, il y a moins l’aspect éducatif. On est dans le non-jugement, dans le soutien, la création de liens. »                            
– Marie-Émilie Waeles, accueillante

Médiations et créativité

Agir dans ce cadre souple au sein du bureau mobile permet aux professionnels une grande créativité dans les modalités de relation et d’intervention[8], les autorisant davantage à « sortir des sentiers battus ». Chaque accompagnement est pensé avec le jeune et adapté en fonction de lui. Par exemple, le camping-car permet de réaliser des rendez-vous en extérieur, devant le bureau mobile ou même en marchant, ce qui a l’intérêt pour certains jeunes d’éviter un face-à-face parfois mal vécu. Ainsi l’exemple d’une jeune fille qui a souhaité effectuer l’entretien au cours d’une promenade en forêt à côté de chez elle et qui a confié à l’équipe « plus de choses qu’elle ne nous aurait jamais dit si on l’avait reçue ici [au sein de la MDA] ». Certains peuvent aussi venir avec leur animal, par exemple.

Le jeu : un outil de médiation aux multiples intérêts11Utiliser le jeu avec un adolescent permet de travailler « la créativité tout autant que la bonne distance avec lui-même et avec l’autre » 11. Il favorise la construction de l’identité et de la responsabilité, la capacité à s’appuyer sur ses propres ressources.Les professionnels peuvent l’utiliser pour accéder à des jeunes qui sont moins à l’aise avec la prise de parole. Il permet de symétriser les rapports : dans le jeu, professionnels et adolescents se placent au même niveau, et partagent un moment de plaisir. Dans ce cadre sécurisant, les jeunes expérimentent des stratégies de résolution de problèmes potentiellement transférables dans d’autres situations. Le jeu peut ainsi participer à « l’appropriation par la personne de son espace corporel, psychique, social et relationnel »11.

Les professionnels mobilisent de nombreux outils de médiation, tels que les activités créatives ou les jeux de société[9], facilement transportables dans le camping-car. Ces outils permettent de reconnaître et valoriser les centres d’intérêt et compétences de chacun. Grâce à eux, on peut aussi aborder des questions de manière indirecte durant l’entretien (« Est-ce que tu joues à la maison ? Avec qui ?, etc.»). Motricité, organisation, concentration, gestion des émotions, prise de risque… : de nombreuses dimensions peuvent être appréhendées grâce aux outils de médiation.

2. Un fonctionnement en équipe pluriprofessionnelle

« Ensemble on va prendre la mesure, par la communication infraverbale. Quand le jeune commence à se décomposer ou à devenir un peu plus silencieux… On sait qu’on va repartir sur quelque chose de beaucoup plus léger. “T’as des animaux à la maison ? Comment ils s’appellent ?”  Et hop, on va alléger un peu l’entretien. Mais ce rythme-là, il faut vraiment qu’on le travaille ensemble pour l’avoir. »

Delphine Thiery, accueillante et coordinatrice

Une danse en duo…

Les entretiens au sein du camping-car sont toujours menés en binôme. L’une des raisons à cela est d’assurer la sécurité d’entretiens menés dans des endroits parfois très isolés. D’autre part, bien que tous les accueillants remplissent les mêmes missions, le métier de chacun colore nécessairement sa lecture des situations et son accompagnement. Ainsi, les membres du binôme s’enrichissent de la complémentarité de leurs regards pendant l’entretien, mais aussi lors de débriefings facilités par les temps de trajet en camping-car. Ils leur permettent de s’ajuster et de préparer les entretiens suivants, l’important étant de ne « jamais se contredire devant le jeune » même si les grilles d’analyse sont parfois différentes. Les binômes étant fixes, une réelle interconnaissance et des liens de confiance se créent au fil du temps. Ils permettent notamment de « passer le relais », dans certains cas où « des contretransferts avec certains jeunes » se produisent.

… au sein d’un ensemble soudé et engagé

Il n’y a pas d’équipe dédiée au bureau mobile : les professionnels interviennent à la fois dans le camping-car (un jour par semaine) et au sein de la MDA. Ainsi, le bureau mobile ne constitue pas un projet « en plus » porté par la MDA, mais bien une modalité d’action à part entière, destinée à apporter les services de la structure à tous. Pour les professionnels, agir à la fois dans la structure et au sein du camping-car permet le « ressourcement d’une double activité», dans une dynamique d’« enrichissement du “dans les murs” par le “hors-les-murs”[10] ».

Le choix d’une gestion quotidienne du camping-car partagée demande une forte anticipation (carburant, entretien, etc.) et une grande capacité de communisation entre chacun. Cette logistique partagée, mais aussi les « aventures » vécues ensemble (conduire le camping-car lorsqu’il y a du verglas, ou se retrouver coincé dans une ruelle étroite par exemple !) sont des leviers de cohésion entre les professionnels.

L’équipe de la MDA 08 est aussi une « petite équipe », qui se réunit chaque semaine pour un temps de partage et d’analyse des situations rencontrées, de réflexion sur les projets en cours, et de répartition des tâches. Au fil du temps s’est construite une véritable culture d’équipe, basée sur la complémentarité des points de vue et le partage d’une philosophie d’action et de valeurs revendiquées (bienveillance, flexibilité et ouverture, notamment). L’ensemble de l’équipe partage en outre un fort sens de l’engagement, d’autant plus important que le travail au sein du bureau mobile implique une amplitude horaire de travail élargie et adaptée aux disponibilités des jeunes.

Cette cohésion est centrale car pour construire une alliance avec les jeunes et un accompagnement étayant, les accueillants ont eux-mêmes besoin d’être en alliance entre membres de l’équipe, et de se sentir soutenus par l’« institution MDA[7] ».

3. Le travail des liens au cœur de l’action

L’adolescence est une période de reconfiguration des liens familiaux, amicaux, affectifs et sociaux. Pour certains, des stratégies d’évitement et de non-confrontation à la construction de liens se traduisent par un isolement et un repli sur soi[4]. Le travail sur le(s) lien(s), à différents niveaux, est ainsi une dimension essentielle et transversale à la grande variété des accompagnements proposés. Bien que cette approche ne soit pas spécifique au travail en bureau mobile, cette modalité impacte le contexte et les manières de travailler ces liens.

Lien avec l’entourage

  • Lorsque le camping-car se déplace devant le lieu de vie d’un adolescent, il peut être difficile pour certains parents de rester à l’écart si celui-ci ne souhaite pas qu’ils soient présents. L’équipe prend le temps d’expliquer à la famille que le choix du jeune sera respecté. Par la suite, dans la majorité des situations, les jeunes accompagnés parviennent à recréer un lien avec leurs parents — ou avec une personne-ressource de leur entourage. Les professionnels se placent alors très souvent en position de médiateurs entre la famille et le jeune. Plusieurs approches peuvent être mobilisées. Par exemple, le « jeu des bouchons » est utilisé par la psychologue : le jeune choisit des bouchons de différentes tailles pour chaque membre de sa famille et les place les uns par rapport aux autres. Cette médiation courante dans les approches systémiques permet d’explorer ses représentations des places et des relations entre les membres de sa famille.
  • Le camping-car peut aussi se garer près du centre social par exemple, permettant ainsi d’accompagner en douceur l’adolescent vers le retissage de liens avec ses pairs.

Lien avec l’équipe

Ces liens avec l’entourage ne peuvent être travaillés qu’une fois qu’une relation assez solide a été créée entre les adolescents et les accueillants. Depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, des outils d’« aller-vers numérique » (téléphone et comptes professionnels sur Messenger, Instagram et Snapchat) sont mobilisés par l’équipe pour maintenir le lien entre deux rendez-vous. Celle-ci est toutefois vigilante aux jeunes qui entrent en contact avec elle directement via les réseaux sociaux, les invitant rapidement à venir les rencontrer physiquement.

Le travail de la secrétaire, qui joue un rôle logistique important et est souvent le premier contact à la MDA, est également essentiel.

  • On peut en outre considérer que la relation développée entre les membres du binôme d’accueillants, mais aussi avec le reste de l’équipe et les partenaires du territoire, fournit un modèle positif de représentation des liens, « montrant que l’on peut s’articuler tout en restant différent[15] ».

Lien à la temporalité

  • Le lien de l’adolescent à sa propre histoire et à la temporalité est également pris en compte. Le rapport au temps est profondément modifié à l’adolescence, au cours de laquelle s’opère une forme de réappropriation de la temporalité inhérente au processus d’autonomisation, mais aussi des bouleversements hormonaux[11]. Différents outils peuvent être utilisés pour travailler l’appropriation du rapport au temps, comme demander à l’adolescent d’amener pour l’entretien suivant « un objet du passé, un objet du présent, un objet du futur. Et on essaye de retricoter le lien entre les différentes périodes de sa vie ».

Lien vers le soin

Ces différentes dimensions du travail du lien permettent de « recréer de la sécurité », ce qui favorise le recours au soin lorsque cela est nécessaire. Au cours des entretiens, les professionnels s’attachent à déstigmatiser la santé mentale et les professionnels de ce domaine, en la comparant à la santé physique par exemple. Le camping-car permet aussi parfois de matérialiser ce lien en accompagnant physiquement certains jeunes vers le CMP, par exemple.   

Par la suite, même si une orientation vers une autre structure est effective, les jeunes peuvent continuer à être accompagnés par la MDA s’ils le souhaitent. Ils y abordent alors souvent d’autres sujets que ceux pour lesquels ils sont suivis par ailleurs.

 

Principaux enseignements

Résultats observés

Des jeunes satisfaits après leur premier rendez-vous et qui poursuivent l’accompagnement

En 2022, le nombre de jeunes accompagnés individuellement au sein du bureau mobile s’est élevé à 559 (dans 61 communes), dont 187 premiers rendez-vous. Ce nombre est en constante évolution (353 jeunes accompagnés en 2021). La file active de la MDA 08 a fortement augmenté depuis la mise en place du bureau mobile, ce qui a pu conduire à une augmentation du délai de rendez-vous en 2023. Par ailleurs, 816 jeunes ont été touchés par les actions collectives menées par l’équipe (39 actions de prévention en 2022).

L’analyse des questionnaires de satisfaction après un premier rendez-vous recueillis entre septembre 2022 et avril 2023 (81 questionnaires) montre que 91 % des adolescents ont obtenu un premier rendez-vous dans un délai de dix jours. Ils se déclaraient tous satisfaits de la rencontre, du lieu de rendez-vous et du respect de la confidentialité et de la discrétion. Parmi eux, 84 % souhaitaient revenir après ce premier rendez-vous. De manière générale, une grande majorité revient après la première rencontre.

Des liens de partenariats renforcés

Les professionnels du bureau mobile soulignent en outre les retours positifs que leur adressent les jeunes et leur famille, mais également les partenaires. Le bureau mobile contribue en effet à renforcer les liens partenariaux existants en étendant l’offre de la MDA. En 2022, quatre nouvelles conventions partenariales ont ainsi été signées. Le projet est inscrit comme un « projet phare » du PTSM et de la Communautépsychiatrique de territoire des Ardennes (CPT 08). De plus en plus de jeunes sont adressés par les médecins généralistes, la Mission locale et les établissements scolaires.

De son côté, même si l’objectif de prévention des passages à l’acte suicidaire et de réduction de l’hospitalisation en psychiatrie est difficile à évaluer, la MDA oriente de fait de nombreux adolescents vers des prises en charge. En se rendant au plus près des lieux de vie des jeunes sur le territoire, l’équipe mobile évalue et repère les situations d’urgence, ou oriente si besoin les jeunes vers les soins. Par exemple, sur 141 jeunes inclus dans le programme de prise en charge des jeunes en souffrance psychique « Écout’Émoi » dans les Ardennes, 39 ont été orientés par la MDA 08. Dans de nombreuses situations, l’accompagnement est suffisant ou permet d’assurer un suivi dans l’attente d’une prise en charge, et/ou d’amener à son rythme le jeune vers une orientation.

« Si ce dispositif disparaissait, on laisserait les plus précaires sur le carreau. Par exemple, on accompagne un jeune dans un petit village à trois quarts d’heure de la MDA. Il y a seulement deux fermes, il n’a pas de moyen de locomotion. Il est en décrochage. Avec la Mission locale, on est peut-être les seules personnes qu’il voit du mois. »

Delphine Thiery, accueillante et coordinatrice  

Une action concrète contre les inégalités sociales de santé

Ce projet permet d’apporter une réponse aux conclusions du rapport d’évaluation mené pour l’IGAS en 2013, qui soulignait l’efficacité et la centralité des MDA pour répondre aux attentes des jeunes et de leur famille, mais également la nécessité de favoriser davantage l’accessibilité aux jeunes des milieux ruraux. Nous l’avons vu, le camping-car ne constitue pas un projet en plus, mais est pleinement intégré à la MDA 08, comme un dispositif permettant d’atteindre un profil de jeunes plus précaires et plus isolés. Il constitue en cela un véritable levier de justice sociale qui pourrait être analysé comme un des moyens d’opérationnaliser le principe d’« universalisme proportionné ». Cette approche vise à proposer des interventions à tous, mais avec des modalités adaptées selon les besoins des populations pour lutter contre les inégalités sociales de santé[12].

Freins et leviers

Le schéma ci-dessous synthétise les principaux freins, points de vigilance et leviers détaillés au sein de la fiche ou complémentaires.

Perspectives

  • Reproductibilité : plusieurs Maisons des Adolescents d’autres départements ont sollicité la MDA 08 car elles souhaitent mettre en place des projets de bureau mobile sur leur territoire.
  • Élargissement : proposer un quatrième jour d’intervention du bureau mobile par semaine permettrait de répondre encore mieux à la demande d’accompagnement. Certains acteurs des différents secteurs souhaiteraient aussi que des actions collectives soient proposées avec le bureau mobile. Ces évolutions nécessiteraient toutefois le recrutement d’un professionnel supplémentaire, afin d’éviter de surcharger davantage l’équipe.

[1] Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités. (2017, 30 mai). Maison des adolescents (MDA). Maisons des adolescents (MDA) | Ministère des Solidarités et des Familles (solidarites.gouv.fr)

[2] Malinowski, S. (2022). Souffrance des jeunes et maisons des adolescents. Un programme public négocié, entre consensus et concurrence. Agora débats/jeunesse, 3(92), 25-40. [En ligne]

[3] Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS). Portrait de territoires du Grand Est et de ses départements — Édition 2022. [En ligne]

[4] Tordjman, S. et Keromnes, G. (2019). Équipe mobile en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : les apports de la recherche. L’Information psychiatrique, 95(6), 401-410. [En ligne]

[5] Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé Auvergne-Rhône-Alpes (IREPS ARA). (2023). Le partenariat en promotion de la santé : ce qu’il recouvre, ce qu’il produit et le faire vivre en pratique. Repères en prévention et promotion de la santé. [En ligne]

[6] Braconnier, A. (2021). Le temps de l’alliance. [Conférence] Adolescence et séparation, troisième journée de médecine et de santé de l’adolescent, Paris (p.86-94). [En ligne]

[7] Gallais, C et Bapt-Cazalets, N. (2011). Accueillir dans les Maisons des adolescents : une fonction d’accueil spécifique ? Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 59, e5-e9.

[8] Gernet, S. et Gosse, F. (2015). L’équipe libournaise d’information et de soins aux adolescents (Elisa) : naissance d’une équipe mobile de pédopsychiatrie en Gironde. L’Information Psychiatrique, 91, 853-860. [En ligne]

[9] Navarro, V. (2008). Le jeu, outil éducatif pour la prise en charge des adolescents. Enfance et Psy, 39, 158-166. [En ligne]

[10] Garcin, V. (2016). Douze ans d’expérience d’un travail de secteur en équipe mobile auprès d’adolescents : quels changements sur les représentations ? Quels résultats sur les activités ? L’information Psychiatrique, 92, 357-364. [En ligne]

[11] Blanchard, B. et Balkan, T. (2009). La temporalité à l’adolescence : les avatars du processus de temporalisation pubertaire. La Psychiatrie de l’Enfant, 52, 373-402. [En ligne]

[12] Affeltranger, B., Potvin, L., Ferron, C., Vandewalle, H. et Vallée, A. (2018). Universalisme proportionné : vers une « égalité réelle » de la prévention en France ? Santé Publique, HS1(S1), 13-24. [En ligne]