Réduction des risques liés à l’alcool au CAARUD ADISSA

En 2017, le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (CAARUD) ADISSA d’Evreux, faisant partie du Groupe SOS Solidarités, s’est inscrit dans une démarche de réduction des risques liés à l’alcool.
Les usagers peuvent désormais entreposer leur alcool dans un lieu sécurisé à l’intérieur du CAARUD, consommer leur alcool au sein de la structure et bénéficier d’accompagnements individuels en réduction des risques liés à l’alcool (RDRA).
Afin de construire et d’améliorer cette démarche, les professionnels du CAARUD sollicitent régulièrement les usagers afin de recueillir leurs avis et idées.

28/11/2022

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Leblond Margot
Cheffe de service
margot.leblond@groupe-sos.org

Couvreux Emilie
Directrice adjointe

Guihard Laure-Anne
Travailleuse sociale

Présentation de l’intervention

Présentation de la structure

Le projet de RDRA est porté par le Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue (CAARUD) ADISSA, géré par l’association groupe SOS Solidarités[1]. Le CAARUD est situé à Evreux, dans l’Eure. Il accueille des usagers, consommateurs de produits psychotropes (produits injectables, alcool, cannabis, crack). Une attention particulière est portée aux usagers les plus marginalisés (personnes à la rue, suivi de personnes incarcérées en maison d’arrêt, résidents de structures d’hébergement). L’équipe est composée de trois travailleurs sociaux et d’une infirmière. Une mission d’aller vers, à travers une maraude, permet également à l’équipe de rendre visite aux usagers là où ils vivent. Le CAARUD intervient également sur des festivals du territoire.

ADDISSA Groupe SOS Solidarités porte également un Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) présent sur 5 sites différents hors d’Evreux dans le département de l’Eure : Bernay, Verneuil-sur-Avre, Vernon, Val-de-Reuil et Les Andelys.

Le CAARUD ADISSA a une file active d’environ 20 personnes par jour, un « collectif de réguliers », pour 160 personnes connues. Le public est majoritairement masculin et a entre 30 et 50 ans.

Contexte

En 2017, le CAARUD ADISSA a réalisé un audit interne qui montrait que 62% des usagers consommaient de l’alcool, ce qui en fait le produit le plus consommé après le tabac. Dans le cadre de l’écriture du projet d’établissement, et de cet audit interne, il a également été constaté que des usagers :

  • consommaient de l’alcool en cachette au sein du CAARUD,
  • consommaient de grandes quantités d’alcool avant d’entrer dans la structure,
  • ressentaient des effets de manque durant les entretiens,
  • ne se rendaient pas ou peu au CAARUD du fait de l’interdiction de consommer de l’alcool au sein de la structure.

Pour l’équipe, notamment les travailleurs sociaux, les consommations massives ou états de manque réduisaient la concentration et la disponibilité de l’usager, impactant la réalisation et qualité des accompagnements. Cela provoquait également des évènements indésirables (altercations, vols) au sein de la structure, mettant à mal la vie collective.

Par ailleurs, l’équipe du CAARUD évoque une situation paradoxale, « compliquée à gérer » vis-à-vis des usagers :

  • D’un côté, la réalisation des missions et de propositions d’outils de RDR (Réduction des Risques) pour les publics consommateurs de substances illicites (par exemple, substances injectables), peu nombreux sur la structure
  • D’un autre côté, l’absence de matériels et d’outils à proposer pour les personnes ayant des problématiques liées à la consommation d’alcool, alors même que les usagers « réguliers » sont plutôt sur des problématiques de consommation d’alcool et de cannabis.

Devant ces constats, la direction de la structure, en accord avec l’équipe du CAARUD ADDISA, a autorisé la consommation d’alcool au sein de la structure et mis en place une approche de Réduction des risques liés à l’alcool.

Calendrier

Fin 2017

  • Déménagement du CAARUD dans un nouveau local.
  • Mise en place du projet de RDRA et de l’autorisation de consommer de l’alcool.

Objectifs

Les objectifs de ce projet sont :

  • Accompagner les usagers dans une démarche de RDR par rapport à leur consommation d’alcool
  • Maintenir un accueil collectif sur le CAARUD chaleureux, sécurisé et non jugeant
  • Evaluer les pratiques de consommation et adapter l’accompagnement et les messages de RDR

Principaux acteurs et partenaires

Principaux éléments saillants

Élaboration du projet

À la fin de l’année 2017, une partie de l’équipe du CAARUD ADISSA est renouvelée. Dans le même temps, l’association emménage dans de nouveaux locaux plus spacieux, avec jardin. À cette occasion, l’équipe et la direction du CAARUD ADISSA décident d’autoriser la consommation d’alcool au sein de la structure.

En amont de cette décision, l’équipe a interrogé les usagers lors des réunions d’expression, d’échanges informels, et à l’aide d’une boîte à idée, pour recueillir leurs avis. Lors de ces échanges la moitié des usagers interrogés était favorable, l’autre moitié défavorable.

Des usagers concernés par une consommation importante d’alcool ont évoqué le fait d’être mal à l’aise à l’idée de consommer de l’alcool devant d’autres usagers. D’autres usagers, notamment ceux ayant moins de difficulté avec la consommation d’alcool, ont évoqué que cette autorisation allait faciliter les états d’ivresse et provoquer des troubles. Les usagers ont également questionné l’autorisation d’autres produits, notamment le cannabis. Les produits évoqués étant illégaux, l’équipe a indiqué qu’ils ne pourraient pas être autorisés à la consommation.

En se basant sur les échanges avec les usagers durant les réunions d’expression, l’équipe a pu proposer des règles élaborées collectivement :

  • Le comportement de chacun doit être adapté à l’accueil collectif,
  • La consommation de l’alcool se fait dans des gobelets opaques, mis à disposition par le CAARUD,
  • Les contenants (bouteilles et canettes) doivent être déposés dans le frigo (ou consignés dans la cuisine),
  • L’accès au frigo est réservé à l’équipe du CAARUD : l’usager doit la solliciter pour se servir à boire.

« Avant le fait qu’on autorise ou, en tout cas, qu’on tolère la consommation, y avait ce côté « interdiction » et « abstinence » [durant le temps de l’accueil] qui était vraiment présent. Même avec la nouvelle équipe, on n’arrivait pas à passer au-delà ou, au moins, à montrer et proposer une autre façon d’approcher cet accompagnement possible. Et avec l’autorisation avec alcool, du jour au lendemain, on a pu avancer sur ces questions-là. Ça a permis, au moins, qu’ils soient surpris et qu’ils se positionnent. Parce que comme avant, c’était un petit peu caché, tout le monde avait son avis mais personne ne le partageait. Aujourd’hui, forcément, tout le monde a un avis sur la consommation d’alcool. »

Emilie Couvreux, directrice adjointe

La RDRA au CAARUD ADISSA

Pour l’équipe du CARRUD ADISSA, la RDRA correspond à l’application des principes de la RDR à la problématique de l’alcool. Dans le cadre des accompagnements individuels, l’objectif est de travailler sur la réduction des risques dans une approche globale de la personne, donc en visant différents risques (d’accidents, sanitaires, sociaux, …). L’équipe a également adapté son discours et ses attentes pour être davantage dans une posture de réduction des risques vis-à-vis de l’alcool aussi. Cela amène les équipes à parler de fréquence de consommation, d’effet sur le comportement, de « zone de confort » avec les usagers durant les temps collectifs. 

Lors des entretiens individuels avec les usagers, les professionnels abordent avec les usagers leurs parcours, leurs situations, leurs difficultés actuelles et leurs objectifs (sanitaire, travail, justice, logement). Les discussions portent également sur ce qui est bu, comment, en quelle quantité, … Les relations tissées avec les usagers réguliers permettent aussi d’écouter l’histoire vécue de l’usager et de sa relation au produit, dans une approche non-culpabilisante.

Les entretiens, et les échanges informels, permettent de travailler sur la perception du comportement d’usage par le consommateur, et de la confronter à la perception de l’équipe sur leurs usages durant les accueils pour les usagers réguliers. L’équipe travaille aussi sur la perception des consommations que l’entourage va avoir.[2]

« Souvent les entretiens sont faits de manière informelle, pour parler de leur quotidien, autour d’un café, d’une cigarette2. On va partir de ce qu’ils nous disent eux : qu’est-ce qu’ils veulent prioriser dans leurs souhaits, leurs projets, leurs objectifs ? Pour vraiment partir de leur situation, ce dont ils ont envie, et ce qu’ils sont prêts à faire, aussi. »

Laure Anne Guihard, travailleuse sociale
L’accueil avec l’alcool 

L’autorisation de consommation avec alcool au sein de la structure a permis de rendre visibles les consommations des usagers et de libérer la parole autour du produit. La consommation ainsi visible facilite les échanges et permet d’ouvrir la porte à des accompagnements plus adaptés.

La possibilité de boire de l’alcool au sein de la structure permet également aux usagers de trouver et d’atteindre leur« zone de confort[3] ». Cette notion, travaillée avec le collectif Modus Bibendi, correspond à un état dans lequel la personne n’est ni en manque ni suralcoolisée. Dans cet état, les usagers peuvent ainsi être plus attentifs aux problématiques relatives à leurs situations, sans être perturbés par le fait d’être en manque ou en état d’ivresse. Durant des entretiens individuels, pour la plupart informels, les professionnels du CAARUD échangent avec les usagers afin d’établir leur « zone de confort » et le meilleur moment pour les accompagner.

« Ça permet de se mettre au diapason, au rythme de l’usager au niveau des entretiens, que ce soit en RDR ou pour les autres accompagnements qu’on peut proposer. »

Laure Anne Guihard, travailleuse sociale

Par ailleurs, durant les entretiens qui peuvent parfois durer plusieurs heures (accompagnement social), les usagers sont autorisés à consommer durant, afin de ne pas interrompre le fil de la discussion pour consommer.

« On a aussi remarqué qu’une fois qu’on autorisait la présence de la bière dans le bureau, qu’ils l’avaient, ils étaient bien mais n’y touchaient pas. Elle est là, ils l’ont, ils jouent avec, mais jamais ils ne vont boire une gorgée. Ça les rassure et du coup, on peut bosser sur leur projet. »

Laure Anne Guihard, travailleuse sociale

L’autorisation de l’alcool au sein du CAARUD a également permis de changer les représentations autour du produit et des consommateurs, à la fois pour l’équipe et pour les usagers. Ce n’est désormais plus un produit à cacher ou qui peut être minimisé par rapport à d’autres consommations (crack, cocaïne, héroïne). Il apparait désormais comme un produit pris en compte à part entière par l’équipe du CAARUD.

Plusieurs outils de RDRA mis en œuvre :
  • Un frigo, accessible uniquement par les professionnels, et installé à l’entrée du CAARUD. Les usagers y déposent leurs boissons (bouteilles, canettes) étiquetés par l’équipe. Lorsque les usagers souhaitent boire, les professionnels du CAARUD les servent dans un gobelet opaque. La mise en place du frigo permet de rassurer l’équipe et les usagers. En effet, des épisodes de violences avec des bouteilles en verre ont eu lieu au début de la mise en place de l’accueil avec alcool. Elle sécurise aussi les usagers, notamment nouveaux au CAARUD, qui pouvaient se faire « taxer » leur consommation, ou se la faire voler lorsqu’ils la gardaient avec eux.
  • Des gobelets opaques mis à la disposition de tous les usagers, qu’ils boivent des boissons avec ou sans alcool. L’opacité des verres permet de mettre tous les usagers sur un pied d’égalité, et de ne pas stigmatiser ou discriminer les consommations. L’utilisation d’écocups graduées a pu être envisagée, à l’instar d’autres expériences en CAARUD[4], mais n’a pas été retenue : pour l’équipe, le gobelet opaque permet de se décentrer de la quantité bue et de travailler plutôt sur les fonctions de l’usage.

« Ça permet vraiment de décentrer de cette notion de quantité pour aborder les questions de modes d’usage, de les décrire, de discuter de leur rapport à l’alcool et des bénéfices que ça peut avoir. Le gobelet dosé peut être très bien pour des profils usagers CSAPA qui sont déjà insérés, qui sont sur des consommations moins importantes, qui n’ont pas de problématiques de logement, ou qui ne sont pas dans quelque chose de très précaire. Mais aujourd’hui, pour notre public du CAARUD, si on commence à aller sur la dose, forcément, ça va les faire un peu culpabiliser parce qu’ils la dépassent quotidiennement. Donc ça va leur mettre plus de pression qu’autre chose. C’est vrai que les doses ne coïncident pas du tout avec leur réalité et aux quantités d’alcool qu’ils peuvent boire. »

Margot Leblond, Cheffe de service
  • Des collations (petit-déjeuner, goûters) et des boissons sans alcool (bouteilles d’eau, sirop, café, thé) sont également proposées. Cela permet de couper les consommations d’alcool et de favoriser l’hydratation.
  • De nouveaux accompagnements sont mis en place. Les professionnels du CAARUD peuvent aborder avec les usagers leurs consommations lors des temps collectifs ou lorsqu’ils consomment de l’alcool durant ces temps. Ils peuvent aussi le faire dans le cadre d’entretiens individuels plus formels. Ils peuvent aborder la question durant la passation d’un questionnaire RECAP[5], qui permet d’explorer de manière assez fine la situation globale de l’usager, ou dans un cadre plus souple et ainsi faire le point ce que les usagers souhaitent atteindre comme objectifs ou mettre en place comme accompagnements. Il leur est alors proposé de faire une liste des problématiques rencontrées liées aux addictions, afin de pouvoir rebondir sur les différents risques évoqués (accidents, sanitaires, sociaux, liés à la justice …).

Au CAARUD ADISSA, les risques liés au logement sont parmi les plus fréquents. Les usagers partagent fréquemment le risque de perdre leur hébergement provisoire du fait de consommations massives et de comportements agressifs.

« On travaille beaucoup autour de la question du logement parce que c’est souvent un enjeu important pour des personnes qui sont hébergées dans les structures « Accueil, Hébergement et Insertion (AHI) ». On parle par exemple des dérives que peuvent provoquer les consommations chroniques massives d’alcool ; avec parfois des exclusions de certains CHRS en collectif. La consommation massive d’alcool peut générer beaucoup de conflits sur des collectifs. »

Margot Leblond, cheffe de service
Une régulation collective 

Pour les usagers, le CAARUD représente « un lieu un peu sacré », avec une vie collective à protéger. Pour préserver ce cadre, il arrive souvent que les usagers se régulent entre eux. Ainsi, lorsqu’un usager ne va pas bien ou lorsqu’il devient agressif, des usagers se font le relais de l’équipe et invitent au calme. Ils peuvent alors proposer à la personne concernée d’aller faire un tour, de boire une boisson sans alcool, ou d’aller se reposer.

De manière générale, lorsque des débordements surviennent, le cadre est rappelé par des usagers à leurs pairs. Cette régulation est d’autant plus efficace que la majorité des usagers se connaissent et fréquentent le CAARUD depuis plusieurs années. Cette régulation par le collectif permet de faciliter le travail de l’équipe. En faisant moins de rappels à l’ordre, les professionnels sont moins considérés comme des surveillants.

Durant l’hiver 2018, un incident a marqué le CAARUD. Lors d’une journée complète d’ouverture de l’accueil (ouverture atypique, en raison du grand froid), des usagers ont apporté et consommé tous ensemble du rhum dans une logique festive, les conduisant à un état d’ivresse avancé et à plusieurs débordements. Ce qui a généré des tensions au sein du CAARUD, avec d’autres usagers et avec l’équipe. Ces débordements ont conduit à l’équipe, en accord avec la direction, à exclure ces usagers pour la journée et les renvoyer vers leurs domiciles (structures d’hébergement d’urgence, en l’occurrence). Cette situation a conduit à tester les limites de l’accueil avec alcool, pour l’équipe, mise en difficulté, et pour les usagers. C’est le seul évènement indésirable qui s’est produit.  A l’issue de l’incident, des échanges collectifs ont eu lieu et ont permis de réaffirmer que les comportements vécus n’étaient pas acceptables. L’équipe a donc estimé qu’il n’était pas nécessaire de revoir le cadre et d’instaurer de nouvelles règles.


Des tensions persistantes

Au sein du CAARUD, des usagers ayant vécu des difficultés ou des drames liés à consommation d’alcool peuvent porter des discours culpabilisants auprès d’autres usagers consommateurs et pointer et se plaindre de l’autorisation de consommer de l’alcool comme pouvant être à l’origine de troubles. Ainsi, l’autorisation de consommer de l’alcool au sein du CAARUD est remise en cause quotidiennement. L’équipe rappelle alors les principes de respect et de tolérance et l’effet contre-productif que ces discours culpabilisants peuvent avoir. Les professionnels prennent également soin de s’entretenir lors d’entretiens individuels avec les personnes réfractaires pour échanger sur leur rapport à l’alcool et aux autres usagers consommateurs d’alcool dans le CAARUD.

La RDRA à l’extérieur du CAARUD

Clarification des règles en dehors du CAARUD

Dans le cadre de leurs missions, les professionnels du CAARUD accompagnent les usagers lors de sorties collectives ou de rendez-vous administratifs.

Lors d’une sortie collective au cinéma, aux débuts de la RDRA au CAARUD, un usager – qui avait déjà eu ce type de comportement – a consommé de l’alcool lors de la sortie, jusqu’à être trop alcoolisé, avoir une attitude dérangeante et devoir être conduit hors de la salle du cinéma. L’équipe s’est retrouvée ce jour-là en difficulté, à devoir tenir à la fois une posture bienveillante liée à l’approche RDRA au CAARUD et son rôle de supervision du groupe en sortie. Suite à cette expérience, l’équipe a constaté que le cadre du CAARUD n’est pas reproductible dans le cadre des sorties extérieures et ses règles ne sont pas transposable en toute circonstance. Il a alors été décidé de ne pas autoriser la consommation d’alcool lors des sorties collectives.

En ce qui concerne les rendez-vous individuels (CAF, Sécurité Sociale, Pôle Emploi), lorsqu’un usager le souhaite, il peut être accompagné par un membre de l’équipe. Il peut également demander à avoir sa consommation avec lui. Dans ce cas, un membre de l’équipe sollicite les professionnels de la structure concernée afin :

  • d’informer de la présence d’un professionnel du CAARUD lors de l’entretien,
  • d’obtenir leur accord concernant la présence d’une consommation d’alcool durant l’entretien,
  • d’organiser le rendez-vous avec des horaires flexibles,
  • d’informer que l’usager pourrait écourter l’entretien s’il en ressent le besoin.

Afin de limiter au mieux les craintes des partenaires, peu habitués à accueillir des usagers avec alcool, les professionnels du CAARUD peuvent prendre un temps important pour les rassurer et les sensibiliser aux apports de la RDRA. Ils évoquent notamment le fait que les usagers sont rassurés par le fait de pouvoir amener leur consommation et que cela permettra d’améliorer la qualité de l’entretien.

Cette organisation a permis d’augmenter le nombre d’entretiens au sein de structures externes et d’améliorer la qualité des accompagnements extérieurs.

Partenariats

A la suite de la mise en œuvre du projet de RDRA au sein de CAARUD ADISSA, des partenariats ont été approfondis avec les structures CHRS du département : les CHRS de l’association Ysos (que dirige également la directrice d’ADISSA Groupe SOS Solidarités), qui représentent une part importante de l’offre de places d’hébergement dans le département, mais également La passagère au féminin (Centre d’accueil de jour géré par Accueil Service), La pause (CHRS géré par Accueil Service), L’Abri, le CHRS de la Fondation de l’Armée du Salut, etc. L’équipe du CAARUD a pu ainsi partager son expérience avec ces différents partenaires et de proposer des consultations avancées au sein de certains CHRS.

Suite au confinement lié à l’épidémie de COVID-19, durant lequel les problématiques de consommations dans les structures d’hébergements ont été réactivées et la consommation par les résidents confinés sur place ont mis des professionnels en difficulté, l’ARS Normandie a sollicité le CAARUD ADISSA pour travailler auprès des structures AHI (Accueil, Hébergement et Insertion) et dans un premier temps évaluer les attentes, les besoins, les difficultés au quotidien qu’ils pouvaient rencontrer.

L’équipe du CAARUD ADISSA a alors proposé une formation en RDRA au cours de laquelle elle a abordé :

  • Les bases de l’addictologie,
  • Les principes de la RDR, ainsi que la posture à adopter,
  • La manière d’aborder les consommations, les questions d’addiction avec les usagers,
  • La gestion au quotidien de personnes alcoolisées massivement,
  • Les représentations de l’alcool,
  • La réalisation d’entretiens motivationnels, du counseling, et l’orientation.

Les principaux conseils et outils à mettre en place sont repris des documents de Modus Bibendi disponibles ici : https://www.federationaddiction.fr/kit-daccompagnement-aux-gestions-des-alcoolisations-en-institutions-par-le-collectif-modus-bidendi/

Principaux enseignements

Résultats observés

Afin de mesurer les effets du projet de RDRA, le CAARUD ADISSA a mis en place plusieurs indicateurs qui ont commencé à être suivis à partir de 2021 :

  • Quantitatifs : Nombre de nouveaux usagers consommateurs d’alcool intégrés à la file active ; Nombre d’incidents répertoriés (violences physique ou verbales, nombre de fiche d’évènement indésirable) ; Nombre d’incidents liés au voisinage ; Nombre d’alcoolisation massive à l’entrée du CAARUD ; Nombre de consommations aux abords du CAARUD ; Nombre d’entretien RDRA.
  • Qualitatifs : Qualité des échanges et accompagnement à la RDR ; Analyse des pratiques professionnelles, espaces de parole avec les usagers.

Une évaluation continue est également réalisée. Lors des réunions d’expression des usagers, les usagers sont questionnés sur les impacts de la RDRA sur leur qualité de vie et sur la vie collective au sein du CAARUD. Si des usagers restent réticents vis-à-vis de l’autorisation de consommer de l’alcool au sein de la structure, une majorité approuve. Les usagers qui adhèrent à ce cadre soulignent comme effets bénéfiques pour eux : une présence plus fréquente et/ou plus longue au CAARUD, qui est un cadre plus sécurisant pour eux, une consommation moins importante durant les temps d’accueil que pour la même période passée dehors, …

Après trois années de mise en œuvre, l’équipe du CAARUD, notamment l’infirmière et les travailleurs sociaux, a perçoit les évolutions suivantes :

  • Le nombre d’incidents (troubles, altercations, tensions avec les professionnels) ont diminué.
  • Les usagers sont moins stressés et le cadre de l’accueil est plus agréable au quotidien. Cela permet de faciliter et d’améliorer l’accompagnement des usagers.
  • Le nombre et la durée des entretiens individuels avec les usagers ont augmenté.
  • Le nombre d’orientations vers le soin a augmenté : orientations et accompagnements physiques (pas systématiques) vers les CSAPA ou les services hospitaliers cure, postcure… Les accompagnements individuels depuis la mise en place de la RDRA ont permis d’orienter des usagers en cure ou en centre thérapeutique.
  • Le développement de l’approche RDRA a permis de travailler avec des usagers du CAARUD sans domicile fixe sur l’accès à un hébergement. Alors que ces usagers étaient précédemment réfractaires à l’idée de faire toute demande d’hébergement, en raison en partie de leurs consommations d’alcool, l’équipe du CAARUD a pu les accompagner jusqu’à faire cette demande. Les usagers ont pu travailler et prendre confiance au CAARUD dans leur capacité à gérer suffisamment leur consommation et envisager un hébergement. Par ailleurs, un partenariat plus étroit entre l’équipe du CAARUD et les structures d’hébergement vers lesquelles ces usagers étaient orientés a été construit et a permis de faciliter l’intégration de ces usagers. Ainsi, un nombre croissant d’orientations vers des CHU et des CHRS ont été réalisées (20 en 2019 et 12 en 2020).

Eléments à partager

La participation des usagers est un levier important du projet. La sollicitation de l’avis des usagers en amont de l’autorisation d’alcool a permis d’identifier les réticences de certains usagers.

Un effet non-souhaité du projet interroge l’équipe du CAARUD : elle observe depuis la mise en place de la levée de l’interdiction de consommer de l’alcool et du projet RDRA un net recul de la participation des usagers injecteurs aux temps collectifs. Ces usagers continuent de fréquenter le CAARUD, pour retirer du matériel ou pour des entretiens individuels, mais ne sont plus présents sur l’accueil, qu’ils semblent désormais éviter. Des réflexions sont en cours pour veiller à ce que tous les publics du CAARUD continuent de cohabiter dans la structure.


[1] Pour plus d’informations : https://www.groupe-sos.org/

[2] Fumer est autorisé sur la terrasse du CAARUD depuis le déménagement. Le CAARUD ADISSA développe également des activités de RDR concernant le tabac, premier produit consommé par les usagers du CAARUD. Un programme Vape, en partenariat avec la Vape du cœur, permet la distribution de matériel et de liquide pour les usagers précaires. L’évaluation et l’accompagnement de la consommation tabagique est possible auprès de l’équipe. L’infirmière peut proposer des traitements nicotiniques de substitution.

[3]  Voir Fédération Addiction, Alcool. Intervenir autrement. 2019. 8 pages. https://fr.calameo.com/read/00554485801d097a74397

[4] Voir Fiche de capitalisation : Béranger Thomas (CAARUD YUCCA), Georgelin Béatrice (SFSP), Gestion supervisée des consommations [Action menée par : CAARUD YUCCA], 12 pages.

[5] https://www.ofdt.fr/enquetes-et-dispositifs/recap/