Programme d’Éducation Thérapeutique du Patient : CHOIZITACONSO©

CHOIZITACONSO© est un programme d’éducation thérapeutique du patient mis en œuvre par le CSAPA d’Avignon depuis 2016 et ayant bénéficié d’un renouvellement de son autorisation au bout de 4 ans. Son objectif est la réduction des dommages chez des individus porteurs de troubles liés à la consommation de boissons alcoolisées. Il ne vise pas l’abstinence mais le « boire réfléchi » : accompagner les personnes à retrouver la capacité de consommer des boissons alcoolisées avec le moins de dommages possibles.
La particularité du programme est de mobiliser un à plusieurs patient.e.s ressources (2 patient.e.s en 2021) dont la mission est d’accompagner par leur présence tout au long des séances collectives l’apprentissage de leurs pairs. Leur expérience est l’objet de cette capitalisation. Les patient.e.s ressources interviewé.e.s dans le cadre de cette capitalisation rapportent l’intérêt du programme pour les bénéficiaires et des interrogations pour eux-mêmes sur leur participation.

28/11/2022

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Dr. Casanova Danielle
CSAPA D’Avignon
paca84@addictions-france.org

Seguin Jérôme
Patient ressource du programme

Carel Martine
Patiente ressource du programme

Présentation de l’intervention

Le programme d’ETP CHOIZITACONSO© fait l’objet d’une évaluation suivie de ses résultats (cf. Bilan). Ce document de capitalisation présente un axe spécifique, à savoir l’expérience vécue de certains des acteurs le mettant en œuvre : les patients-ressources.

Présentation de la structure

Anciennement ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), l’association Addictions France[1] regroupe différentes structures départementales qui œuvre dans le champ de l’addictologie.

Dans le Vaucluse, Addictions France 84 porte notamment le Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA)[2] d’Avignon. Comme tout CSAPA, il propose d’accueillir des personnes en difficulté vis-à-vis des conduites addictives, sur des consultations gratuites proposant un accompagnement médico-psycho-social. C’est dans ce CSAPA d’Avignon qu’est porté le programme d’Education Thérapeutique du Patient intitulé CHOIZITACONSO©. Le programme a été initié par le Dr Danielle Casanova.

L’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) : qu’est-ce que c’est ?

Définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (1996) comme une activité visant à « aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique », cette stratégie a été déployée en France de manière officielle via la loi Hôpital-Patient-Santé-Territoire de 2009.

Faisant partie intégrante et permanente de la prise en charge des patients, elle se compose d’un ensemble d’activités organisées qui ont pour but de développer chez ses derniers des compétences d’auto-soins et d’adaptation, selon les termes employés par la Haute Autorité de Santé (HAS), participant à l’amélioration de leur santé, de leur qualité de vie, ainsi que celles de leurs proches.

Jusqu’en 2011, tout programme d’ETP devait respecter un cahier des charges portant sur les modalités de sa mise en œuvre, faire l’objet d’une demande d’autorisation à l’Agence Régionale de Santé de son territoire de développement et d’une évaluation tous les 4 ans réalisée sur la base d’une méthodologie précisée par la HAS via le guide méthodologique « Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques ».

Contexte 

En 2019, dans son bulletin de Santé Publique, Santé publique France (SpF) soulignait qu’il existait « peu d’actions de prévention spécifiques à l’alcool dans la région PACA ». Elles étaient le plus souvent généralistes ou avec des approches multi substances addictives. Bien qu’à l’origine les programmes d’ETP sont dédiés aux personnes souffrant d’une maladie chronique identifiées dans le cadre des ALD (Affections Longues Durée), CHOIZITACONSO© a pu être classifié dans cette catégorie. Le programme est identifié comme « s’inscrivant dans les priorités nationales (lien avec la Stratégie Nationale de Santé 2018-2023, le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022) et régionales (Plan Régional de Santé – PRS ou schéma Régional de santé).  

Le programme a été lancé en avril 2016, et reconduit en 2020 après sa première évaluation à 4 ans.

CHOIZITACONSO©

Le programme est mis en œuvre à raison de 3 sessions par an (janvier-avril, avril-juillet, septembre-décembre), chaque session durant 2 mois et demi. En alternance, la session se tient soit sur un créneau hebdomadaire à l’heure du déjeuner (12h30-14h), soit sur un créneau en soirée (17h30–19h), afin de faciliter la participation.

Chaque session permet d’accueillir un groupe d’une dizaine de patients maximum. Les personnes inscrites sont principalement des patients du CSAPA d’Avignon, à l’exception de quelques patients orientés vers le programme par d’autres structures extérieures ou la médecine du travail. CHOIZITACONSO© est proposé à un patient après étude de son dossier en équipe, qui a conclu à l’intérêt du programme pour ce patient au regard de son parcours et des soins qu’il a pu déjà entreprendre. Le programme peut être proposé à un patient suivi individuellement en première intention, si un objectif déjà élaboré de travailler à la maitrise de sa relation à l’alcool est exprimé, ou après plusieurs tentatives d’autres démarches de soins infructueuses (sevrage notamment). L’entretien durant lequel est proposé le programme vise à : explorer les besoins de l’usager, l’informer sur le contenu et la forme du programme et décrire les effets attendus du programme. Le guide construit pour accompagner les professionnels du CSAPA qui mènent ces entretiens propose de formuler les objectifs de l’ETP comme « permettre à l’usager d’être plus autonome au quotidien dans la prise en charge de son addiction pour une meilleure qualité de vie » et la finalité du programme comme suit : « modifier sa relation à sa consommation ou non consommation ».  

Depuis le lancement du programme, près de 200 patients ont suivi CHOIZITACONSO©. Les statistiques établies fin 2021 font état de 197 patients ayant participé au programme dont 27 personnes de l’entourage et 170 en tant d’usagers. A date, une quinzaine d’usagers ont participé aux 2 premières sessions de 2022.

Objectifs

Le programme d’ETP a pour objectif la réduction des dommages chez des individus porteurs de troubles liés à la consommation de boissons alcoolisées. Il vise à :

  • Proposer une alternative à l’abstinence aux usagers qui souhaitent retrouver la capacité de consommer des boissons alcoolisées avec le moins de dommages possibles,
  • Favoriser le renforcement du sentiment d’auto-efficacité et la liberté de penser des participants,
  • Construire les bases d’un entrainement à la maitrise de la consommation de boissons alcoolisées axé sur le développement des compétences psychosociales des participants en valorisant leur liberté de penser, leurs besoins et leurs objectifs.

Caractéristiques principales

  • Le programme d’une session est construit autour de 11 séances collectives pour les patients inscrits (groupe usager), sous forme d’ateliers thématiques. Ces séances coanimées par un animateur professionnel du CSAPA (variable selon le thème de la séance) et un.e  patient.e ressources [3].
  • Les ateliers thématiques reposent sur un travail en groupe et un travail sur des situations (cas fictifs, pas sur les situations personnelles des participants).
  • Un suivi individuel complète les séances collectives, à travers plusieurs rendez-vous de bilan (initial, mi-parcours et final, et bilans de suivi à 3, 6 et 12 mois), comme cela est préconisé dans le cadre de l’ETP.
  • Des séances ont été également conçues pour un groupe distinct, celui de l’entourage. Toutefois, ce groupe est difficile à monter faute de mobilisation et de disponibilité (temps disponibles, disposition à être dans une posture de travail sur son rôle) des personnes de l’entourage. Ces séances ne sont donc pas systématiquement organisées, sans que cela impacte le reste du programme.
  • Est contre-indiquée la participation des femmes enceintes et des personnes atteintes de troubles psychiatriques contre-indiquant le travail en groupe.

Principaux éléments saillants : le rôle des patients ressources  

Émergence et élaboration du programme ETP

Le programme d’ETP, dont le nom générique est issu d’une concertation en équipe et de l’association des mots « choix » et « consommation », a été autorisé par l’Agence Régionale de Santé PACA en 2016 (telle que la réglementation de l’époque l’exigeait). La mise en place d’un programme ETP visait, selon la directrice du CSAPA, à « étayer l’offre de soins » au CSAPA, c’est-à-dire à la compléter en proposant avec ce programme un outil de RdRDA qui pouvait s’inscrire dans le parcours global d’un usager.

Les promoteurs du programme sont partis d’un certain nombre de constats tout à la fois généraux mais aussi issus de leur pratique quotidienne :

  • La poursuite d’objectifs identifiés comme « convenus et utopiques » ou d’objectifs attendus conduit le plus souvent les usagers à l’échec concernant la gestion de leur consommation,
  • Le succès est augmenté dans la prise en charge lorsque que le patient fixe lui-même ses objectifs de soin,
  • Il est nécessaire de s’extraire d’approches jugées moralisatrice et hygiéniste n’apportant pas de résultat,
  • Une approche par la réduction des risques et des dommages plus acceptables. 

Compétences psychosociales : de quoi parle-t-on ?

« Savoir résoudre des problèmes, communiquer efficacement, avoir conscience de soi et des autres, savoir réguler ses émotions : telles sont quelques-unes des compétences psychosociales (CPS) des personnes. Depuis trente ans, de nombreux programmes de prévention s’appuyant sur leur développement ont été mis en œuvre à travers le monde. Elles sont reconnues comme un déterminant clé de la santé et du bien-être, sur lequel il est possible d’intervenir efficacement. ».

Il s’agissait alors de développer, chez les individus rencontrant une difficulté vis-à-vis de leur consommation d’alcool, des capacités à s’inscrire dans un schéma de réflexion autour de cette thématique, sans pour autant viser l’abstinence. Il était là plutôt nécessaire de leur permettre de « retrouver la capacité de consommer [des boissons alcoolisées] avec le moins de dommages possibles ». Afin de développer ce que les promoteurs appelle le « boire réfléchi », ils devaient favoriser l’acquisition ou la réactivation chez les personnes de certaines compétences psychosociales. L’élaboration du programme est partie de zéro, une page blanche. Les premières expérimentations ont reposé sur un groupe de parole à visée thérapeutique. Le modèle d’action ETP (défini dans l’encadré précédent) a été finalement identifié comme le cadre le plus pertinent pour mettre en place cette démarche de Réduction des Risques et des Dommages en alcoologie (RdRDA).

Les patients ressources au sein de CHOIZITACONSO©

Un patient dit « ressource » a pour fonction principale de coanimer avec un professionnel du CSAPA les séances collectives du programme ETP CHOIZITACONSO©. Ils n’interviennent pas dans le suivi individuel des patients qui participent au programme, qui est assuré par des professionnels du CSAPA (recrutement, bilans individuels, suivi post-programme, etc.). Ils sont associés aux activités d’évaluation et de recherche liés au programme (étude ETHER notamment, voir partie suivante). Ils n’ont pas d’autre rôle dans le CSAPA en dehors de l’ETP.

Ces patients ressources contribuent bénévolement au programme.

Un patient ressource, qu’est-ce que c’est ? (Une définition)

Pour l’école québécoise du partenariat, « le patient ressource contribue à l’amélioration de l’expérience des patients en milieux de soins et à leur qualité de vie par le partage de ses savoirs expérientiels et la promotion d’un partenariat dans les soins et services. Il participe ainsi aux initiatives propices à la co‐construction, à la collaboration et à l’apprentissage, tant sur le plan clinique que sur celui de la gouvernance. (…) (il) contribue à faciliter les relations et les dynamiques de soins et de services pour renforcer le partenariat avec les patients et participer à l’apprentissage et l’éducation thérapeutique de ses pairs ».

Modalités de participation et rôle des patients ressources

Un patient ressource est présent à chacune des 11 séances collectives, dans la mesure du possible le ou la même à chaque séance d’une session (continuité). Chaque séance porte sur un thème précis, pour lequel un programme de contenus à transmettre et/ou d’activités collectives à mener est porté par le co-animateur professionnel du CSAPA. En tant que co-animateur, le patient ressource peut intervenir quand il le souhaite durant une séance, pour compléter ou préciser le propos du co-animateur de la séance, lui poser des questions, faire les liens entre les contenus proposés par l’animateur et leur expérience, et aider les patients à s’approprier le contenu du déroulé de la séance. Ils témoignent durant les séances de de leur expérience vécue vis-à-vis du programme, et peuvent intervenir auprès des participants pour réexpliquer l’objectif d’une séance, en ayant déjà l’expérience, ou pour reformuler les propos des professionnels. Les patients ressources aident également « à faire comprendre la logique du programme » aux participants selon le Dr Casanova, et notamment son aspect éducatif qui demande des participants une mise au travail.  Ils participent au debriefing avec les professionnels du CSAPA qui a lieu à l’issue de chaque séance collective.

Pour les professionnels du CSAPA qui interviennent en tant que co-animateurs dans le programme CHOIZITACONSO©, les patients ressources jouent plusieurs rôles importants :

  • ils sont un appui pour ces professionnels dans la coanimation. Le Dr Casanova parle d’une « présence qui rassure les professionnels » et rapporte, que dans le cadre de la relation de confiance qui lie ces 2 personnes à l’équipe, leurs observations sur le déroulement des séances est un appui pour les professionnels pour améliorer leur pratique. Pour les professionnels du CSAPA, coanimer les séances d’ETP implique de se défaire de leur casquette professionnelle principale (infirmière, éducateur, etc.) pour adopter une posture différente, celle de l’animation et mettre au travail les patients durant les ateliers. Certains professionnels expriment des difficultés face à cet exercice et apprécient les retours, parfois critiques, des patients ressources en debrief.
  • ils contribuent également au sentiment de continuité entre les séances d’une session et de progression durant la session. Contrairement aux intervenants professionnels, qui peuvent varier d’une séance à l’autre, le ou la patient.e ressource qui accompagne une session, dans la mesure du possible du début à la fin, assure un « fil conducteur » et une fonction de lien tout au long du programme.
  • ils sont des interlocuteurs privilégiés des participants. Les participants s’adressent plus facilement aux patients ressources au fur et à mesure de la progression du programme. « Les animateurs CSAPA ne pourraient pas avoir les mêmes discussions avec les patients [que les patients ressources] », estime le Dr Casanova, dans la mesure où, de pair à pair, s’instaurent des échanges à la fois plus fins et plus riches du fait d’une compréhension réciproque entre personnes qui ont le même vécu.

En tant que patient.e ressource, Mme Carel et M. Seguin ont leurs propres éléments de définition :

DéfinitionDu programmeDu rôle de patient.e ressource
Mme CarelLe programme CHOIZITACONSO© favorise la conscientisation du rapport à l’alcool de la personne et par là son empowerment :

« L’objectif principal et général, c’est en fait une prise de conscience de son problème, des dégâts que peut faire l’alcool, des changements qu’on peut y apporter, qu’on peut apporter à sa vie, à son comportement… Une prise de conscience de soi-même. On apprend la maitrise de soi, qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est que la volonté, qu’est-ce que c’est que l’autodétermination. C’est ce cheminement, finalement, toujours vers soi-même. Ça nous renvoie toujours à nous, tout en étant très objectif. C’est assez pédagogique. Ça nous renvoie toujours à nous, et je crois que c’est ça qui fait qu’on en tire un parti positif ».  
Elle se considère d’abord comme une personne facilitatrice du programme, au bénéfice des participants (médiatrice des contenus pour les participants, explicitation des attentes, pair dans les ateliers) et des professionnels (médiatrice en sens inverse, relais des remontées des usagers) :

« C’est à la fois le rôle d’observation, d’écoute et de participation dans la mesure où on peut aider à appréhender plus vite le problème posé. Nous ne sommes pas absolument indispensables. Mais c’est vrai que parfois, les patients se tournent un petit peu vers nous pour avoir une petite précision qui leur manque. Et puis on participe aussi aux activités. Nous les avons déjà expérimentées, pratiquées, et cetera. C’est presque essentiellement des travaux de groupe, à deux ou trois. On complète, s’il y a un nombre impair. On nous demande de coanimer. Ça m’est arrivé assez récemment avec une infirmière. Je l’ai fait à sa demande. Mais c’est venu presque normalement, […] spontanément ».

« Ayant vécu le programme, je peux retraduire les informations pour les participants – je suis un « trait d’union ».
M. SeguinLe programme CHOIZITACONSO© apporte une structuration et une rigueur supérieures à d’autres programmes d’accompagnement autour de l’alcool :

« Un groupe de parole, c’est une expérience qui a peut-être son intérêt dans le cadre de soins. CHOIZITACONSO©, c’est un boulot, ce sont des vraies séances de travail où dès que le patient se laisse aller à intégrer trop son problème personnel, il est tout de suite « remis en place », entre guillemets, gentiment, par l’animateur, qui dit : « Écoute, c’est hors-sujet, on n’est pas là pour entendre parler de ça, on est là pour parler de… » la communication, les passions. CHOIZITACONSO©, c’est un vrai travail de professionnel. Donc il y a une vraie technique, un vrai professionnalisme apporté au fait que le patient est acteur de ses soins. Et ça, je trouve ça formidable ».
Sa présence permet tout d’abord une forme d’exemplarité, dans la singularité de son parcours et de son choix (consommation maitrisée). Elle permet aussi d’ancrer dans la réalité, celle d’un vécu pas tous les jours facile, les attentes et les stratégies proposées, avec une posture incarnant la part exigeante du travail sur soi que suppose de s’engager dans une démarche de maitrise de sa consommation d’alcool :

« Notre rôle, en dehors du témoignage que l’on apporte, moi, personnellement, c’est une sorte de balancier à la trop grande bienveillance du corps médical. Si vous voulez, […] la coordination le dit souvent : la bienveillance c’est très bien, c’est merveilleux, c’est une valeur phénoménale, mais ce n’est pas tout accepter, tout tolérer. Et je trouve que quelquefois, on amène par notre présence, par nos témoignages, une sorte de rééquilibrage par rapport à cette ultra bienveillance du corps médical ».

Les temps de débriefing à l’issue des séances sont des temps qui permettent d’évaluer : si le temps a été respecté, si tout le monde a eu la parole, si cette dernière a été équitable, si l’objectif est atteint. La position de tiers des patient.e.s ressources, s’auto-décrivant comme parfois spectateur de la séance, leur permet de faire des remontées. Ils jugent la qualité de ces débriefings si ce dernier apporte des solutions d’ajustement à leurs retours concrètes.

Recrutement des patients ressources

À ce jour (2021), 2 personnes sont intervenues et interviennent toujours comme patients ressources au sein du programme : Jérôme Seguin et Martine Carel, tous deux contributeurs de cette capitalisation. M. Seguin a été invité par le Dr Casanova, alors qu’il était suivi au CSAPA en tant que patient, à participer à l’élaboration du programme puis l’a rejoint comme patient ressource. Mme Carel a rejoint le programme plus tard : elle a suivi le programme ETP en tant qu’usagère. Lors d’entretiens de bilan à l’issue du programme, elle a exprimé le souhait de s’investir auprès d’autres personnes en difficulté avec l’alcool et il lui a été proposé de devenir patiente ressource.

Depuis l’ouverture du programme, il a été proposé à d’autres personnes ayant suivi le programme ETP de devenir patients ressources, sans que ces propositions n’aboutisse au recrutement de nouveau patient. Une personne avait accepté et rempli ce rôle pour une courte période, mais avait été contrainte d’interrompre sa participation faute de disponibilité suffisante (reprise d’un emploi). Pour le Dr Casanova, l’ingrédient indispensable pour recruter un patient ressource est que la demande vienne de cette personne. Elle observe également des traits de personnalité communs aux 2 patients ressources actuels qui dégagent un profil commun : une forte appétence à s’investir pour la société (goût pour l’engagement « citoyen ») ; une forte réflexivité sur ce qu’ils font et sur la place qu’ils peuvent avoir dans l’intervention ; tous deux sont à la retraite (disponibilité en temps). L’équipe du CSAPA souhaite pouvoir recruter d’autres personnes, pour ne pas épuiser les patients ressources actuels.

La Réduction des risques liés à l’Alcool dans le programme CHOIZITACONSO©

Les objectifs du programme sont présentés dans les termes suivants : il s’agit d’apprendre non pas à boire moins, ou ne plus boire, mais à « consommer autrement ». 

Viser à « consommer autrement » ou viser un « boire réfléchi » consiste en différentes choses : tout d’abord s’autoriser à consommer, mais aussi savoir repérer des situations à risque ou des situations de consommation réflexe, repérer à quels moments elles interviennent, travailler sur les modalités de consommation, etc. L’objectif pour un usager est de développer ses compétences d’auto-observation et la conscience de sa propre capacité d’agir pour réduire, ou supprimer, les dommages que chaque usager ne veut plus avoir. Et ainsi travailler sur les répercussions sur la vie des personnes et agir sur les dommages identifiés par les personnes.

Les deux patients ressources du programme ont des trajectoires différentes. M. Seguin a eu un parcours d’accompagnement par le CSAPA avant même la mise en œuvre du programme. Lui-même ne cherche pas l’abstinence mais à maitriser sa consommation. Il estime par ailleurs que sa participation en tant que patient ressource est aussi une ressource pour lui-même, dans son propre parcours de maitrise. Mme Carel a suivi ce programme en tant que patiente, avant qu’on lui propose de devenir patiente ressource. Elle a fait le choix de viser l’abstinence, à ses yeux la meilleure façon de répondre à ses objectifs de maitrise de soi. Leurs deux parcours illustrent que viser un « boire réfléchi » peut aboutir à des situations individuelles et la mise en place de stratégies vis-à-vis de du rapport à l’alcool différentes d’une personne à l’autre.

L’approche de RdRDA développée par CHOIZITACONSO© est centrée sur les personnes (et leur entourage), avec une attention particulière sur différentes dimensions du rapport individuel à l’alcool. Les séances visent à aborder différents aspects des risques et des dommages liés à la consommation d’alcool, puis des stratégies pour y répondre. Pour M. Seguin, le programme fonctionne en premier lieu par la connaissance des méfaits de l’alcool, y compris ceux non immédiatement perçus, qui permet leur conscientisation (et notamment de l’impact sur l’entourage d’une consommation personnelle). Il s’agit d’une étape exigeante pour les personnes, mais absolument nécessaire avant de pouvoir entreprendre une démarche de RdRDA pour soi-même, dans une logique de responsabilité.

Pour Mme Carel, l’approche de RdRDA est très liée à la recherche de la maitrise de soi, c’est-à-dire « être capable, être conscient, totalement, de tout ce qu’on fait : quand on a envie de boire, quand on boit, quand on ne boit pas, quand on ne boit plus ».

« Il y a par exemple une séance qui fait un état des lieux assez complexe et complet sur les pathologies, les effets, comment ça marche, toutes les maladies possibles et imaginables… C’est assez intéressant, dans cette présentation, à la fin, on classifie les différentes conséquences d’une consommation exagérée d’alcool… Sur les effets sociaux, la santé, les effets psychologiques. Globalement, les gens s’attachent aux effets évidents, immédiats : « J’ai été licencié », « J’ai perdu mon permis » … Les effets sur la santé : « J’ai le foie qui se dilate ». Et sur les effets psychologiques, ils sont complètement muets. La connaissance est utile. Elle permet, me permet de mieux comprendre et de voir des choses qui ne me font pas forcément plaisir, et d’arriver à l’étape suivante qui est celle que Martine vient de décrire : la maîtrise. Quand je vous ai dit tout à l’heure que l’idée de l’arrêt total pour toujours et jusqu’à ma mort ne m’étais pas agréable, ça fait partie de moi, de dire : « Je suis maître de mon destin. »

Jérôme Seguin – Patient « ressource »

Principaux enseignements

Le programme d’ETP CHOIZITACONSO© fait l’objet d’un programme de recherche « Education thérapeutique pour la réduction des risques et dommages en alcoologie » (ETHER), dont le protocole a été publié en 2022. Cette étude vise à quantifier l’impact du programme d’ETP CHOIZITACONSO© sur des usagers avec des Troubles Liés à la Consommation d’Alcool (TLCA) 6 mois après son commencement en termes de maitrise de la consommation et de réduction des risques et dommages (RdRD) liés à l’alcool. Les résultats du volet qualitatif d’ETHER ont fait l’objet d’une publication en anglais en 2022 dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health. Les éléments présentés dans cette partie s’appuient sur ces éléments ainsi que sur les documents d’évaluation produits dans le cadre de l’évaluation quadriennale du programme ETP[4].

Résultats observés du programme ETP Choizitaconso©

Plusieurs éléments permettent à l’équipe du CSAPA d’apprécier la réussite d’une session du programme : le maintien de la participation jusqu’au terme d’une session (en moyenne, environ 90 % des participants), la qualité des contributions des participants qui sont invités à évaluer chaque séance (plus l’évaluation reçue est riche, avec des commentaires détaillés et des propositions d’amélioration, plus le programme est perçu comme bien approprié par les participants) et les effets du programme sur les participants appréciés à travers les bilans individuels. Le suivi post-programme s’effectue dans le cadre de rendez-vous de bilan, pour lesquels ont été rédigés des guides de bilan standardisés (évolution de l’appétence à l’alcool, évaluation de la perception de l’état de santé, etc.). Les synthèses rédigées à l’issue de ces temps sont partagées avec les patients, l’obligation de valider la synthèse pour les patients étant importante dans leur responsabilisation et leur participation aux soins.

Selon le Dr Casanova, on observe une diminution du recours au soin (au CSAPA) à l’issue de la participation au programme ETP pour un nombre significatif de patients. Il s’agit d’une preuve de réussite du programme, en cela qu’il permet bien une autonomisation des personnes dans la gestion de leur relation à l’alcool, que le Dr Casanova qualifie d’ « émancipation ». L’évaluation qualitative du programme souligne également parmi les résultats positifs que CHOIZITACONSO© contribue à l’empowerment des personnes.

Les principaux résultats du volet qualitatif d’ETHER

L’évaluation qualitative du programme s’appuie sur un corpus de 16 entretiens avec d’ex-participants au programme ETP interrogés sur leur perception du programme. Quatre grands types de bénéfices sont rapportés par les patients ayant suivi le programme :

1/ l’acquisition de connaissances sur l’alcool (volet éducatif de l’ETP),
2/ la montée en compétence pour observer et agir sur ses comportements face à l’alcool (stratégies comportementales),
3/ la déconstruction des préjugés et la restauration de l’estime de soi,
4/ la réduction des dommages.

En raison du profil d’usagers d’alcool inscrits, qui majoritairement ne considèrent pas subir de dommages à l’entrée dans le programme (accidentologie, problèmes de santé avérés, etc.), les principaux effets positifs pour la santé physique et mentale rapportés concernent l’amélioration des performances professionnelles et sportives ainsi que du sommeil. Les motivations des patients à intégrer le programme (famille, perte de contrôle, etc.) et leurs objectifs (maitrise de la consommation, appui à l’abstinence, briser des routines de consommation, etc.) sont multiples : le programme semble permettre à tous de trouver des éléments les aidant à modifier leur rapport à l’alcool conformément à leurs attentes.

Toutefois, les patients rapportent des difficultés à maintenir les apprentissages à l’issue du programme. En effet, un travail sur soi et une vigilance continue sont requises à l’issue du programme pour mettre en pratique les compétences développées.Les auteurs concluent que le programme remplit les objectifs attendus par les participants, tout en rappelant qu’il s’agit d’un élément dans des parcours de soins complexes, qu’il ne peut pas fonctionner comme réponse unique et que son effet ne peut être évalué indépendamment du suivi individuel dont bénéficient les participants au CSAPA d’Avignon (prise en charge complémentaire).

L’évaluation en ETP est soumise à un processus réglementaire avec pour guide et appui le document de l’HAS qui détermine deux axes de réflexion : l’analyse des effets et des évolutions. L’évaluation de CHOIZITACONSO© menée dans ce cadre permettait de mettre en valeur notamment :

  • Le travail soutenu de l’équipe lui a permis de s’approprier le programme et de l’intégrer aux pratiques de soin (effets).  Et qu’il est nécessaire de poursuivre la formation des nouveaux arrivants dans l’équipe de soin afin qu’ils intègrent dans leur pratique l’offre de CHOIZITACONSO©.
  • Les modifications effectuées dans le programme depuis son lancement en 2016 correspondent aux attentes des professionnels comme à celles des usagers (évolutions).
  • La place des patients intervenants a été reconnue et justifie une évolution de celle-ci dans le programme ainsi que la recherche de nouveaux patients « ressource ».

Bien que faisant partie du programme d’ETP prévu, la mise en place d’un groupe entourage et des sessions dédiées n’a pas eu lieu depuis juillet 2019, faute de mobilisation suffisante de membres de l’entourage des patients inscrits au programme. Des sessions d’information à destination de l’entourage ont toutefois bien lieu au CSAPA, « auxquelles participent volontiers les proches » selon le Dr Casanova, mais ne revêtent pas du même type de travail. Selon elle, les difficultés de mise en place de ce groupe révèlent la moindre disponibilité de l’entourage (qui n’est pas prêt à se mobiliser pour 3 séances) et l’écart entre les attentes de cet entourage (exprimer et se délester de leur vécu, groupe de parole, vécu) et le type de travail proposé dans ce groupe.  

Facteurs de réussite du programme  

Identifiés par les patients ressources> Le rythme des rencontres favorise le maintien de la mobilisation, même si ce dernier peut-être astreignant pour eux.

> Leurs expériences, à savoir les choix différents qu’ils ont fait vis-à-vis de l’alcool, donne à voir la pluralité des choix possibles aux participants et aide à réduire la stigmatisation de tel ou tel choix.

> La dynamique collective du programme crée de la cohérence, de la cohésion, nourries d’une même envie les participants à avancer sur la base d’une même compréhension de la problématique rencontrée.

> Leur coanimation s’appuie sur une bonne connaissance du programme, ayant suivi l’intégralité d’une session en amont. De plus, bien connaitre le projet, reconnaitre l’impact qu’il a eu sur eux, avec leurs objectifs différenciés, les aide à être de bons pairs médiateurs pour les participants.

> Leur compréhension du programme (pour l’avoir vécu) permet de mieux accompagner l’apprentissage des participants si des imprécisions dans les consignes de travail apparaissent.
Identifiés par les patients et rapportés dans l’étude ETHER> Les ateliers collectifs permettent un travail entre pairs.

> Le contenu et l’organisation des session permettent une adaptation du programme en fonction des attentes personnelles de chaque participant.  

> La mixité des publics (au regard de l’objectif fixé vis-à-vis de la consommation
d’alcool) dans une session est appréciée et fonctionne bien.

> L’intensité de l’implication demandée par le programme est appréciée par une partie des répondants (structuration de l’effort, etc.) tandis que pour d’autres il s’agit d’une de ses limites (coût lié aux déplacements fréquents, etc.).

La contribution des patients ressources au programme ETP

Dans le cadre de l’évaluation quadriennale, il est fait mention que la présence de ce(s) patient(s) « ressources » est un des éléments qui contribue à leur engagement et leur participation, ayant pour effet d’aboutir aux changements attendus déterminés par la mise en œuvre du programme. L’évaluation précédent la décision de reconduction du programme a insisté sur la pertinence de la présence du/des patients ressources qualifiée d’« appropriée et nécessite de recruter de nouveaux patients pour pérenniser cette fonction. Le dernier patient volontaire a été recruté par un établissement hospitalier confirmant ainsi les compétences de ce dernier. Un autre patient a fait candidature pour une prochaine session. L’expertise de ces patients ne peut être remise en cause et leur intégration comme « patient expert », malgré l’absence de formation à l’ETP, devrait être étudiée ».

Modalités d’intervention des patients dans les programmes d’ETP : quelles compétences ?

Bénéficiaires, témoins, ressources, éducateurs, formateurs : le statut des patients au sein d’un programme d’ETP fait toujours l’objet de nombreux débats. Le positionnement d’un patient conditionnera notamment les éléments d’expertises mobilisables mais déterminera également son cadre d’intervention, son niveau d’interaction avec l’équipe mais aussi les modalités de reconnaissance de son implication. L’ARS Occitanie accompagnée par la Société d’Education Thérapeutique Santé Occitanie a pu déterminer un cadre de référence pour permettre aux équipes de se situer. Ainsi, les objectifs diffèrent selon que le patient soit qualifié de « témoin » (moyen de l’équipe pour renforcer les processus d’acquisition pédagogique) ou d’ « éducateur » (participant à la co-construction du projet et à son évaluation).

Le retour des 2 patients ressources : des interrogations qui demeurent

Ils identifient différents freins et leviers à leur contribution. Si refaire le programme a plusieurs reprises pourrait paraitre contraignant, les patient.e.s ressources témoignent que chaque groupe est différent, que chaque participant est un cas particulier, que les apprentissages sont alors toujours différenciés, pour les bénéficiaires comme pour eux-mêmes.

Il peut être difficile pour eux d’évaluer l’impact que leur présence a auprès des bénéficiaires du programme et ont exprimé dans le cadre de cette capitalisation le sentiment de parfois ne pas être « très utiles ».  Ils se sentent acceptés par l’équipe. Ils sont conscients que leur coanimation est appréciée par l’équipe, mais regrettent un manque de retour des équipes au niveau global du programme.

M. Seguin se pose la question d’une certaine professionnalisation. Il ne souhaite pas « apprendre à être une personne ressource ». Selon lui, il lui est nécessaire de garder une forme de sincérité, sa « spontanéité ». Cette spontanéité est également reconnue comme un élément attendu du patient ressource par le Dr Casanova, qui témoigne de la part de liberté qu’il conserve en intervenant dans le programme (a contrario des professionnels). De plus, n’ayant pas la même obligation de résultat que les animateurs, ils peuvent parfois être très présent dans l’interaction, parfois plus en retrait : « Notre liberté fait notre force ». Ainsi, M. Seguin précise qu’il a interrompu par exemple sa participation au moment où les séances se sont faites en visioconférence, jugeant que ces dernières perdaient de leur spontanéité, l’animation devenant pour lui très artificielle.

Bilan et éléments partageables sur les patients ressources

Pour les patient.e.s ressources, leur recrutement au sein du programme a été pour eux une véritable reconnaissance des compétences qu’ils ont pu développer, une confirmation de leur engagement dans cette démarche de soin, ayant un impact sur leur confiance en eux. Et ce, quel que soit le choix qu’ils ont fait vis-à-vis de leur rapport à l’alcool (abstinence ou maitrise de leur consommation). M. Seguin note également que son implication aujourd’hui est pour lui une certaine manière de poursuivre sa démarche thérapeutique, sa participation au programme en tant que patient ressource l’aidant à poursuivre sa démarche de consommation maitrisée entamée lors qu’il était patient du programme. D’après eux, ce qui leur semble important de souligner, c’est qu’ils sont deux exemples différents de « réussite » à l’issue de programme, car ils ont pu faire grâce au programme le choix qui leur correspond et leur permet d’aller vers un mieux-être.

« Ce qui est intéressant pour les autres, c’est de savoir que ce choix [consommation maitrisée] est possible. »
Jérôme Seguin – Patient ressource – Consommateur d’alcool

« C’est ça qui est bien, de montrer ça [des trajectoires différentes] : il faut que chacun se sente bien dans son choix »
Martine Carel – Patient ressource – Abstinente


[1] Addictions France, association reconnue d’utilité publique, intervient dans le champ de la prévention des conduites addictives, sur des activités qui vont de la prévention primaire aux actions de prévention par les pairs, de réduction des risques, d’ « aller vers », jusqu’à l’offre de soins en addictologie. Elle assure également des missions de formation et de plaidoyer. Pour en savoir plus : https://addictions-france.org/

[2] Structure dont les missions sont : l’Accueil, l’information, l’orientation des usagers de produits psychoactifs, de leurs parents et de leurs proches / La prise en charge médicale, psychologique, sociale et éducative / La réduction des risques et des dommages liés aux consommations / La prescription et le suivi de traitement / La prévention, la formation, la recherche.

[3] Détail des 11 séances à retrouver sur : https://www.oscarsante.org/provence-alpes-cote-d-azur/action/detail/74696

[4] https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2014-06/evaluation_quadriennale_v2_2014-06-17_16-38-45_49.pdf