Prévention des cancers pour les personnes handicapées vieillissantes en structures médico-sociales et à domicile : promouvoir & accompagner le dépistage

De 2020 à 2021, les Centres Régionaux d’Etudes, d’Actions et d’Informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité (CREAI), notamment ceux de la Nouvelle-Aquitaine, de l’Île de France, du Centre-Val de Loire et de l’Occitanie ainsi que leur fédération nationale l’ANCREAI ont mis en œuvre, en collaboration avec différents partenaires (Centres Régionaux de Coordination des Dépistages des Cancers, Observatoires Régionaux de Santé, Caisses Primaires d’Assurance maladie) une étude visant à analyser les freins rencontrés par les personnes handicapées vieillissantes (PHV) dans leur accès aux dépistages des cancers, quel que soit leur lieu de résidence (à domicile et en établissement). Elle a eu pour ambition de contribuer de manière concrète à une meilleure accessibilité des personnes en situation de handicap aux dépistages organisés des cancers. Ce travail collaboratif montre que la représentation des professionnels et des aidants sur le pouvoir d’agir des PHV s’améliore grâce à la prise en compte de l’expertise de ces derniers. Le processus met en avant l’importance de la promotion de l’étude tout au long de sa réalisation pour mobiliser les acteurs ayant un intérêt pour le sujet. Il montre également, l’adaptabilité nécessaire d’un projet au regard du contexte rencontré au moment de son déploiement.

Présentation de l’intervention

Présentation des structures

Les CREAI et l’ANCREAI

Les Centres Régionaux d’Etudes, d’Actions et d’Informations, en faveur des personnes en situation de vulnérabilité ont été créés en 1964 par décret. Ils centraient alors leurs actions sur le public « enfant ». Ils avaient pour mission d’accompagner les DDASS[1] dans la mise en œuvre des politiques sociales et médico-sociales à l’égard de ce public. Les CREAI ont progressivement développé des spécificités autour d’autres publics vulnérables (personnes en situation de handicap ou âgées). En 1989, dans un processus de convergence des idées, des sujets, des pratiques et de la mutualisation de leurs outils, les CREAI deviennent une association nationale : l’ANCREAI. Elle a pour fonction d’allier les différents CREAI autour de projets partagés et favoriser ainsi la mutualisation des expertises. En 2017, les CREAI se sont constitués en fédération.

Les CREAI impliqués dans cette étude sont ceux des régions de la Nouvelle-Aquitaine, de l’Île de France, du Centre-Val de Loire et de l’Occitanie.

« J’aime bien cette définition du réseau des CREAI comme un lieu tiers au croisement des regards des professionnels de structures d’accompagnement, des personnes concernées, de leurs familles et des pouvoirs publics. Les CREAI œuvrent, dans Ie cadre de leurs accompagnements ou études, à promouvoir la prise en compte de la parole, des besoins et des attentes exprimés par les personnes en situation de vulnérabilité ».

Sabrina Sinigaglia | ANCREAI

Les principaux partenaires associés au projet d’étude[2]

Les partenaires, nombreux, sont en miroir des ancrages des CREAI engagés dans l’étude. Leur niveau d’implication diffère selon leur échelle d’intervention dans l’étude et leurs missions régaliennes.

  • L’Association de Recherche et d’Échanges en Anthropologie et en Sociologie (AREAS) propose une offre autour de la réalisation d’études sociologiques pour des collectivités publiques, privées et/ou dans le cadre de projets de recherche et le développement d’une activité d’interventions auprès de structures sociales et médico-sociales.
  • Les Centres Régionaux de Coordination des Dépistages des Cancers (CRCDC) ont pour fonction d’organiser territorialement les stratégies de dépistages organisés (DO) des cancers[3],
  • Les Observatoires Régionaux de la Santé (ORS) mènent des enquêtes conduisant à des préconisations, en concertation avec les acteurs locaux. Leurs recommandations ont pour objectif d’aider les décideurs locaux et régionaux en matière de stratégies d’actions,
  • Les Caisses Primaires d’Assurance Maladie (CPAM) sont des organismes assurant les relations de proximité entre les ayants droits et la Caisse Nationale d’Assurance Maladie.

Principaux partenaires financiers : La Fondation Internationale de la Recherche Appliquée sur le Handicap[4]  (FIRAH), l’Institut National du Cancer (INCA), OPCO Santé (Opérateurs de compétences) et certaines Agences Régionales de Santé des territoires où l’action de recherche s’est déployée.

Contexte, objectifs, méthode et calendrier[5]

Partant des constats documentés que l’accès difficile aux dépistages des cancers des personnes en situation de handicap vieillissantes (PHV) a un impact délétère sur l’évolution de leur état de santé[6] (majoré par leur vieillissement) et considérant qu’il existe peu de données sur les questions d’accès au DO de ces publics (notamment si l’on s’intéresse aux PHV à domicile), l’ANCREAI, son réseau et ses partenaires ont souhaité mener une étude pour identifier les freins sur cet accès quelle que soit la place des acteurs (population concernée comme professionnels) pour documenter les données et étayer des pistes d’amélioration.

Obj. 1 : Processus de dépistage des cancersObj. 2 : Taux de participation des PHV
Objectif principalIdentifier les freins et les leviers à la participation du point de vue de chaque partie prenante :

– Les personnes handicapées vieillissantes
– Leurs aidants
– Les professionnels du champ médico-social
– Les professionnels de santé
Déterminer une méthode pour le traitement des données permettant de connaître le niveau de participation des PHV aux dépistages organisés.
Actualiser la connaissance du taux de participation aux dépistages des cancers du sein et colorectal.
Objectifs Secondaires– Sensibiliser les professionnels du secteur médico-social
– Envisager les adaptations possibles des pratiques médicales
– Apporter des éléments pour une politique sanitaire en direction des PHV
Résultats attendus(Obj 1 et 2) Identification et analyse des freins ; Typologie des pratiques d’accompagnement ; Repérage de pratiques innovantes ; Propositions en matière d’organisation pour une amélioration de la prévention des cancers ; Connaissance actualisée de la participation aux DO des PHV ; Proposition d’une méthode pour systématiser cet indicateur.

Le déploiement de cette étude s’est fait en trois phases : exploratoire, qualitative et quantitative, notamment sous la forme d’enquêtes (entretiens individuels, collectifs et questionnaires) auprès des parties prenantes. Elle a officiellement débuté en février 2020 et s’est close en décembre 2021 après un long travail d’élaboration des outils d’enquête pour sa mise en œuvre.

Architecture de collaboration des partenariats et rôles

Principaux éléments saillants

Émergence et déploiement du projet

A l’origine de ce projet d’étude se trouve la rencontre entre des structures qui partagent un même bâtiment dans la Vienne près de Poitiers : L’Espace Epione[7]. Il regroupe le site du CRCDC, une antenne CREAI, un site de l’ORS et d’autres organisations (Réseau régional de cancérologie, Ligue contre le Cancer, Dispositif d’appui à la coordination du département). Lors d’une réunion, les partenaires ont souhaité développer un projet commun et fédérateur à partir du croisement de leurs préoccupations partagées. Le projet d’étude sur la participation des PHV au DO des cancers est apparu comme une évidence. Rejoints par les collègues de trois autres régions (Île-de-France, Centre-Val de Loire et Occitanie) sous la coordination de l’ANCREAI, le projet a pu être développé grâce à un appui financier obtenu dans le cadre d’une réponse à un appel à projet proposé par la FIRAH (en 2018).

« En France, avec nos politiques très en silos, nous essayons souvent dans nos travaux de raisonner en transversalité, puisque l’on a cette opportunité, puisque l’on a tout le champ des publics vulnérables, un champ très large. Là, de croiser handicap et problématique du cancer, cela rentre tout à fait dans ce que nous aimons faire et ce que nous avons envie de faire, d’aller chercher aussi un petit peu les trous dans la raquette, voir comment les politiques publiques ont du mal à s’articuler ».

Capucine Bigote | CREAI Île de France

La FIRAH a répondu favorablement à l’ANCREAI mais a regretté que le projet ne soit axé que sur les PHV en établissements, les données concernant celles à domicile étant inexistantes. Intéressée par cet angle d’analyse, l’ANCREAI s’est mise en recherche de fonds complémentaires pour développer cet axe (non couvert par le financement initial). Les différentes régions engagées ont déterminé les départements cibles de leur territoire. L’architecture de déploiement de l’étude, sur la base d’une revue de la littérature, s’est établi autour d’entretiens individuels (avec le public concerné) et collectifs (pour les professionnels des Etablissements et Services Médico-Sociaux (ESMS), les professionnels de santé (gynécologues, médecins généralistes, radiologues…) et des aidants). Le tout appuyé par des questionnaires à destination des ESMS et des PHV vivant à domicile.

Initialement prévu en matière de déploiement en novembre 2019, le lancement de l’étude s’est effectué à partir de février 2020 (retard consécutif à la recherche de fonds supplémentaires et à la mise en conformité avec le RGPD).

Stratégies mises en œuvre

La mobilisation des publics

Différents temps ont été mis en œuvre pour favoriser l’implication des différentes partie-prenantes :

TEMPORALITÉACTIONS
AvantLes réunions de présentation de l’étude ont permis aux CREAI/CRCDC de la faire connaître, d’en présenter les objectifs, de répondre aux interrogations, de valider les hypothèses, d’intégrer les points de vigilance exprimés par les acteurs impliqués du territoire, d’identifier des acteurs souhaitant s’impliquer. Un comité de pilotage national a été créé réunissant des représentants de l’ensemble des parties prenantes. Il a été régulièrement informé de l’avancée des travaux, s’est réuni en visioconférence le 7 décembre 2020 et en réunion mixte (présentiel et distanciel) le 22 novembre 2021.
Des entretiens exploratoires ont eu pour objet de vérifier la pertinence des outils pour la mise en œuvre des entretiens individuels et collectifs, leur ajustement si nécessaire. Ils ont été réalisés auprès des 4 publics ciblés par l’étude.
PendantMise en place des entretiens individuels, collectifs et diffusion des questionnaires aux PHV à domicile et aux ESMS.
AprésL’exploration des résultats : Lors du séminaire national (fin 2021), ouvert à l’ensemble de ses acteurs et partenaires, les résultats (qui ont fait l’objet d’une rédaction d’un rapport final) ont été travaillés en sous-groupes, en interdisciplinarité et inter territorialité sur les thématiques suivantes :  la communication, la formation et la pair-aidance.

Des partenariats collaboratifs et progressifs

Au-delà des collaborations entre CREAI et CRCDC, la mobilisation d’autres acteurs a été nécessaire.

« Depuis plusieurs années, nos taux de participation stagnent, on a l’impression d’avoir un plafond de verre, on sent que maintenant il faut faire des actions personnalisées en direction de publics spécifiques. Pour faire ces actions-là, j’avais du mal à estimer finalement ce que pouvait représenter cette population des PHV dans la tranche d’âge cible. Nous avions fait ce travail de recensement de tous les ESMS sur notre territoire, mais je n’avais pas idée de la part éventuelle des PHV en institution versus à domicile. J’avais besoin de ce travail-là. C’est pour cela que nous avons travaillé avec le CREAI d’une part mais aussi avec les ORS et les CPAM ».

Dr. C. Tournoux-Facon, Responsable Scientifique de l’étude | CRCDC Vienne
  • Avec les CPAM (réponse à l’objectif 1)

Un des enjeux a été de prendre contact avec un public en dehors des dispositifs classiques (ESMS). Il a fallu déterminer où il se trouvait, comment le contacter en fonction des différents types de handicap, qui pouvait le faire, comment récolter les informations en respectant la règlementation liée à la gestion de données personnelles. Cette collaboration avec les CPAM a été fructueuse mais sa réussite est due à la capacité d’adaptation face aux différentes contraintes. Les CPAM ont ainsi réalisé l’envoi par voie postale des questionnaires sous format papier et par mail du lien des questionnaires numériques à toutes les personnes cibles.

  • Avec les ORS (réponse à l’objectif 2)

Si initialement les promotrices pensaient mobiliser le CREAI Occitanie (ce dernier assumant une double fonction : CREAI et ORS) afin qu’il centralise et traite les données des ORS des 4 régions, cela n’a pas été possible, pour des raisons organisationnelles. Un travail de communication a donc dû être fait à l’attention des ORS des 3 autres régions ainsi qu’à la Fédération des ORS pour présenter le projet et estimer le temps mobilisable nécessaire. L’analyse à travers le SNDS[8] a été complexe même pour un nombre limité d’indicateurs (6 au total). L’enjeu était la mise en œuvre d’une méthodologie pouvant être réutilisée par tous afin d’actualiser régulièrement les taux de participation.

Un déploiement de l’étude « pas-à-pas »

Des mécanismes d’ajustement se sont produits tout au long du processus pour répondre au mieux aux objectifs. Les CREAI interviewés précisent ne pas avoir attendu de figer la méthodologie de chaque étape pour débuter. Si des entretiens exploratoires ont eu lieu en amont pour évaluer la pertinence des outils, cette démarche progressive s’est déployée sur d’autres niveaux :

  • Construction et communication des questionnaires à destination des PHV

En s’adressant directement aux personnes concernées (les PHV), les CREAI estiment n’avoir jamais été aussi loin dans la construction d’outils, avec une ambition d’ « universalité » d’accès à l’information quel que soit le handicap. Pour se faire et afin de toucher un maximum de personnes, les promotrices de l’étude ont conçu des formats numériques des deux questionnaires (DO cancer du sein et DO cancer colorectal) pour qu’ils soient les plus accessibles possibles (en Langue des Signes Française – LSF, avec des sous-titres, avec de l’audio, etc…). Les entretiens ont suivi la même logique. Pour exemple, dans la Vienne, elles ont fait appel à une interprète en LSF.

  • Mise en œuvre des entretiens collectifs

Tous les entretiens collectifs ont été réalisés en binôme (CREAI et partenaire désigné selon le profil des participants), une nécessité pour assurer un double regard sur les échanges produits. La préparation (grilles d’entretiens, choix de la méthode, sélection des outils, types d’animation) s’est aussi faite ensemble. Un temps de travail pour chaque binôme a été mis en place en amont. 

Principaux enseignements

Résultats observés par l’étude

Fin 2021, l’étude était en bonne voie malgré une phase exploratoire développée dans un contexte de pandémie. Elle a pris son rythme de croisière en permettant sur cette fin d’année de produire différents indicateurs de progressions et les différents matériaux attendus[9]. En plus du contexte épidémique, on notera l’incendie d’un data center d’OVH Cloud entrainant la perte des données récoltées, obligeant une nouvelle sollicitation des CPAM pour la diffusion des enquêtes. A la fin de l’étude, les promoteurs de l’étude ont pour objectif la conception et la réalisation d’une boîte à outils des dépistages organisés des cancers[10] qui puisse réunir et porter à la connaissance des différents acteurs concernés l’existence de supports d’information existants sur le DO et sur les protocoles de soins du cancer en privilégiant les plus accessibles. Parallèlement, au regard des freins/leviers à la participation aux DO des cancers identifiés, elles ont élaboré des supports spécifiques à destination des PHV, leurs aidants, des professionnels des ESMS, des professionnels de la santé et des CRCDC.

Concernant les entretiens individuels 

L’hypothèse de départ des promotrices concernant les freins relevait de la couverture de l’offre sur les territoires, son accessibilité, les spécificités liées aux différents handicaps. Les entretiens préparatoires avaient soutenu cette hypothèse, aussi liés au manque d’outils en faisant la promotion. Les promotrices de l’étude avaient envisagé de produire une vidéo d’information. Leur exploration leur a permis de se rendre compte que ce type d’outils existait déjà, mais qu’il y avait nécessité à les rassembler. De plus, qu’il était plus pertinent de faire des vidéos « témoignages » des PHV afin de valoriser la démarche via des pairs, dans une idée d’anticipation des risques de « décrochage » des publics en cas de mauvaise expérience de leur part.

« Une chose que les analyses ont montré : si la personne décide de réaliser le dépistage mais que cela se passe mal car pas assez accompagné, par les professionnels de santé ou les aidants, elle ne revient plus, ne le refait plus. Donc essayer de préparer pour que cela se passe bien, c’est un des enjeux pour la suite »

Sabrina Sinigaglia | ANCREAI

Concernant les entretiens collectifs 

Pour les autres publics cibles de l’étude, la stratégie via des entretiens collectifs a été menée (en complément d’une enquête auprès des établissements médico-sociaux). Il est à noter que de manière transversale, la question de la sensibilisation/promotion/connaissance des DO auprès des trois types d’acteurs mobilisés (faisant référence au courrier d’invitation) est à mentionner.

Professionnels du médico-socialProfessionnels de santéAidants
Les prospections mettent en lumière une différence essentielle. Si l’établissement est médicalisé, cette question du dépistage est intégrée à l’accompagnement dans l’accès aux soins. Si l’établissement n’est pas médicalisé, des problématiques émergent :  

– Les éducateurs ne se sentant pas légitimes, s’interdisent d’aller vers le sujet 
– Pour le volet santé, ils ne doivent pas savoir ou ne savent pas certaines choses
– S’ils accompagnent aux dépistages, des questions sur les antécédents familiaux pourraient émerger auxquelles ils ne pourraient pas répondre 
– Pour le dépistage organisé du cancer colorectal (DOCCR) avec le prélèvement de selles, cela touche à des questions d’intimité complexes à aborder
– Ce type d’accompagnement demande beaucoup de temps.  
Il a été difficile de mobiliser les professionnels sur les focus-group. Pour autant, des constats peuvent être établis.

– Des techniques et machines peu adaptées dans le cadre du dépistage du cancer du sein
– Des rendez-vous/consultations qui nécessitent de prendre plus de temps face à certains types de handicap mais des cabinets qui ne peuvent/veulent se le permettre
– Pour le DOCCR : des interrogations demeurent sur la place du médecin généraliste, sur sa capacité à mobiliser. Mais est-ce spécifique aux PHV ?
– Le courrier n’arrive pas à la bonne adresse pour les PHV en établissement. Ce sont les tuteurs professionnels ou familiaux qui le reçoivent et qui peuvent ou pas faire le lien. S’ils le font, les médecins généralistes peuvent ne pas soutenir la démarche. Tout cela reste « personne dépendante ».  
Il a été difficile pour les promotrices de mobiliser les aidants.  

L’objectif de 6 aidants par entretiens collectifs par département était visé. Le taux de participation a été très faible voire nul. 1 focus a pu avoir lieu avec 3 aidants et 1 focus a réuni des aidants professionnels.

Les aidants (non professionnel) ont fait part lors des réunions de présentation de leur difficulté à aborder le sujet avec leur proche, ne voulant pas s’inscrire dans une « double peine », tel qu’une des contributrices a pu le rapporter lors de l’interview : « vous ne voudriez pas qu’en plus ils aient un cancer ».                
Bilan : Des professionnels qui ne se sentent ni légitimes, ni armés, ni formés face à un sujet qui, somme toute, est difficile à aborder, pour les publics mais aussi pour eux-mêmes.Bilan : Des espaces et des pratiques qui ne sont pas adaptés à la nécessité de prise en charge de ce public au demeurant très hétérogène ; Des acteurs intermédiaires (proches, aidants professionnels, médecin généraliste) qui peuvent être facilitants ou autant d’écueils à la participation aux DO.Bilan : Cela met en évidence des ressources familiales faibles (les PHV de 50 ans ont des parents aidant de 80 ans) entrainant un report sur les ressources professionnelles (du médico-social ou généralistes dont l’implication peut être variable comme en ont témoigné les professionnels de santé).

Résultats observés par le déploiement de l’étude

Un contexte favorable à son développement

Les contributeurs identifient différents éléments externes qui en ont favorisé le développement :

  • Une convergence d’intérêts que les différents acteurs ont su exploiter

Au moment où l’ANCREAI s’est saisi de la proposition de la FIRAH, les ARS (notamment celle de la Nouvelle-Aquitaine et du Centre-Val de Loire) avaient sollicité les CRCDC de leur région pour connaitre leur positionnement vis-à-vis de cette question des dépistages des PHV.  Dans le Val d’Oise, c’était un axe de travail du CRCDC qui souhaitait mettre en place une étude sur le sujet, mettant alors à disposition du CREAI de sa région la chargée d’étude ayant pour mission de déployer cet axe.

  • Une proximité géographique permettant une mutualisation d’informations

L’antenne du CREAI de la Nouvelle-Aquitaine s’est installée dans un espace où différents acteurs (CRCDC, ORS, Ligue contre le cancer, réseau ONCO…) étaient déjà présents. C’est dans un temps informel que les représentantes du CREAI et du CRCDC se sont rendu compte de leurs opportunités communes (appel à projet pour le CREAI, sollicitation de l’ARS pour le CRCDC). Le CRCDC Centre Val-de Loire est lui hébergé par le Centre Hospitalier Universitaire de Tours avec pour voisins le réseau ONCO, la Ligue contre le cancer, le Centre de Coordination en Cancérologie (3C) facilitant les mises en relation et la promotion du projet.  

  • La mutualisation d’idées et de ressources antérieures.

En 2004, l’ARS Languedoc-Roussillon avait sollicité le CREAI Languedoc-Roussillon pour identifier les leviers et les freins aux dépistages organisés des cancers du sein et colorectal des personnes en situation de handicap accompagnées par une structure médicosociale de la région. Un groupe de travail a été mis en place associant les 4 structures de dépistages organisés et les professionnels du secteur médicosocial sur la base du volontariat.

Un questionnaire avait déjà été réalisé avec l’association « Nous aussi »[11] permettant de ne pas partir d’une page blanche. La mise en relation entre acteurs a permis d’identifier les CPAM comme relais d’information et de communication (Une expérience positive avait été menée en Île de France les impliquant pour accéder à ces publics). L’interconnaissance et la mise en réseau a permis d’ « embarquer » les différentes organisations. Par exemple, le CREAI Centre Val-de-Loire a sollicité le CRCDC qui a lui mobilisé la CPAM du département ciblée par l’étude.

Des éléments de contraintes externes à l’étude

Comme vu précédemment, différents points de contrainte ont parsemé le déploiement de l’étude. Cependant, d’autres éléments sont à prendre en considération.

  • La mise en conformité à la réglementation sur la gestion des données personnelles[12].

Pour l’ANCREAI/CREAI, il a été nécessaire de se mettre en conformité au regard des nouvelles normes en matière de gestions de données, avec notamment la mise en application d’une nouvelle réglementation en matière de récupération, de conservation et d’utilisation de ces dernières. N’étant pas une structure sanitaire, le processus a été d’autant plus complexe. Cette adaptation, obligatoire, a de plus été réalisée dans une période où le nouveau cadre n’était pas complétement déterminé.  

  • Une mutualisation des ressources pas toujours effective

Dans leur recherche d’interlocuteurs pouvant les mettre en relation avec les PHV à domicile, les promotrices de l’étude ont fait face à certaines difficultés, comme avec les MDPH. Si celle de l’Indre-et-Loire a pu se mobiliser, les autres ont mis en avant des conflits dans les systèmes d’information, l’impossibilité réglementaire d’échanger des données, des problèmes liés aux échelles d’intervention des organisations et des plans stratégiques les concernant en cours sur le sujet. Elles ont également pu ne pas répondre à la sollicitation.  

  • Une difficulté à mobiliser les acteurs

La mobilisation des professionnels n’a pas été simple et de manière inégalitaire en fonction des départements (dans la Vienne, cela a plutôt bien fonctionné). La prise de contact par mail n’a pas été évaluée comme pertinente. Les promotrices de l’étude ont fait appel à leur propre réseau personnel. Les professionnels libéraux ont exprimé leur difficulté à se rendre disponible.

Une approche éthique d’une construction collaborative

Deux éléments sont fondateurs sur la qualité de mise en œuvre de cette étude :

  • La triple expertise au service de la question de l’objectivation des freins.

Le positionnement du réseau des CREAI sur la question des expertises croisées est essentiel selon les interviewées de ces organisations. Accorder une place centrale à la personne vulnérable comme levier à la transformation des pratiques semble vital. Le point de mire reste l’amélioration des situations de vie des personnes. Ainsi, l’expertise de la personne est située au même niveau que celle des professionnels et des proches. La mise en perspective de ses expertises met en lumière les représentations que les professionnels et les proches peuvent avoir des envies et des besoins de personnes à s’impliquer.

« Au lancement, on partait de l’idée que c’était un sujet dont les personnes étaient loin, que ça ne les concernait pas, qu’ils étaient peu informés… Finalement, en entretien individuel, je n’ai eu que des personnes qui sont restées longuement pour parler du cancer, qui avaient des questions, étaient intéressées par ce sujet. Certains pouvaient dire qu’ils ne souhaitaient pas faire le dépistage. D’autres voulaient le faire et ne comprenaient pas pourquoi on ne leur avait jamais proposé ».

Capucine Bigote | CREAI Île de France
  • La nécessaire co-élaboration entre partenaires

Selon Patricia Fiacre du CREAI NA, « Ce qui est vraiment important à retenir dans ce projet, c’est que l’on a tout coconstruit, discuté entre nous. On a vraiment eu un niveau de travail collectif avec une implication identique ». La démarche de collaboration déployée pour cette étude auprès des partenaires est issue d’une culture commune de travail des CREAI, consolidée au sein de ce réseau par la mise en place d’évènements annuels, séminaires entre conseillers techniques, journées nationales autour des ESMS, études et actions de formation, qui permettent de partager, de s’ajuster et de favoriser les connaissances inter-organisations. En dehors du réseau des CREAI, ce qui conditionne la réussite de ce type d’action, selon Daniel Barbotin de la CPAM, « c’est la capacité de communication entre nos services, tant au niveau des statistiques qu’au niveau des moyens que l’on pourrait développer, que des éléments que l’on peut communiquer ». Le partage d’informations est donc essentiel. Les projets de ce type sont alors une véritable occasion de collaborer. Mais ils nécessitent d’institutionnaliser les relations entre les organisations, pour s’extraire de relations liées à une simple interconnaissance entre acteurs.

Les effets sur les principaux organisateurs de l’étude

Les interviewés sont en accord sur le fait que la mise en œuvre commune de ce projet a favorisé un transfert de compétences réciproque de leur thématique de travail et leur a accordé une légitimité d’intervention dans le domaine « de l’autre ». Ils mentionnent également des effets spécifiques au bénéfice de leur propre organisation.

CRCDCANCREAI/CREAI
– Intégrer un projet de recherche obligeant à investiguer plus précisément cette question et/ou qui renforce des actions déjà menées en ce sens permettant de répondre aux sollicitations de l’ARS  

– Aborder le dépistage sous l’angle du tout handicap
– Opportunité pour les CREAI de travailler avec le sanitaire, de connaître, de créer des liens avec la santé somatique

– Renforcement des liens avec les ORS et leur fédération (FNORS)
– Connaître les CREAI

– Identifier des partenaires, connaître le terrain associatif

– Se faire connaître ou retrouver de la visibilité/lisibilité auprès des publics et organisations, perdue suite au processus de régionalisation

– Se coordonner de manière départementale avec d’autres acteurs (CPAM)
– Connaître les CRCDC, les DO

– Intérêt du partenariat avec le CRCDC : mixité des expertises, des expériences, des compétences

– Poursuivre les collaborations (dépôt conjoint CRCDC/CREAI NA au niveau du conseil régional pour un projet jeunes – IME, IMPro – sur les questions de prévention cancer)
Par l’intervention :

– Identification réelle des freins (courriers n’arrivant pas, professionnels non disponibles)

– Prise en considération de la possibilité d’aller vers ce type d’établissements, de l’intérêt et des capacités du public, des possibilités de faire bouger les représentations (sur la thématique et les outils de DO)
– Être aux normes RGPD pour les prochains travaux

– Avoir développé une expertise dans ce domaine (la gestion des données)

– Fil rouge créant de la cohésion pour l’équipe

– Identification de leur rôle comme médiateur

« C’est l’intérêt je trouve du partenariat qui peut être établi avec les CRCDC. Je travaille avec Sophie Babin, assistante en santé publique. Quand elle parle du cancer, elle sait en parler. Je vois qu’elle a les mots. C’est un métier en fait. Je pense que c’est tout l’intérêt de ces partenariats qui pourraient être faits avec les CRCDC pour venir expliquer, échanger de manière pratico-pratique autour de ces questions avec les personnes à partir de leurs outils. Moi j’étais épatée, je l’écoutais parler de ça, j’ai appris beaucoup de choses, mais en plus elle sait faire passer les messages avec clarté ».

Patricia Fiacre | CREAI Nouvelle-Aquitaine

« Ce type de projet nous permet une dynamique supplémentaire à des projets qu’on pouvait déjà avoir dans la structure, de nous mettre un petit peu plus le pied à l’étrier, d’y aller et de renforcer cette dynamique. Quand on participe à des projets, cela relance une dynamique qu’on pouvait avoir en interne mais qu’on aurait laissé un peu vivoter par manque de temps ».

Dr Somany Sengchanh-Vidal | CRCDC Centre-Val de Loire

Bilan et Transférabilité

L’intérêt pour la thématique a grandement mobilisé les différents acteurs impliqués dans le cadre de cette étude. Il reste aujourd’hui pour l’ANCREAI, les CREAI et leurs partenaires des enjeux autour de la promotion des résultats de leur étude et le déploiement régional d’une action s’étant développée principalement sur certains départements. Mais le processus a été exigeant, chacun témoignant ne pas avoir eu le regard sur le compteur des heures. Le projet ne s’est pas développé au regard des ressources allouées mais aussi grâce à la persévérance des acteurs. Les secteurs professionnels sont différents, les temporalités de travail aussi. Il y a donc tout intérêt à soutenir des actions décloisonnant le secteur sanitaire et social, en favorisant la rencontre entre les acteurs, entre les différents milieux, pour permettre la mixité des différentes compétences et ressources.

Mais ces processus peuvent ne pas aller de soi. Ils peuvent être fragilisés par des évènements externes au projet pouvant mettre en péril les collaborations. Les intérêts des structures, même si l’objet d’intervention est commun, peuvent tout autant ne pas être convergents, de manière stratégique comme politique. Pour autant, les partenaires de ce projet d’étude ont démontré leur capacité à travailler ensemble.

Facteurs de réussiteAu regard de ce projet
Déployer du Multi partenariat  Mutualisation des ressources : Ressources humaines, méthodes et expertise public de l’étude (Ancreai/Creai) ; Expertise médicale, sur les DO, réseaux de partenaires (CRCDC) ; Eléments de diagnostic, carnets d’adresses (ORS, CPAM) ; Ressources financières (FIRAH, ARS, INCA…)  
Croiser les Expertises  Permettre l’expression de tous les points de vue pour être au plus juste des besoins : Associer le public cible (ici les PHV) montre à quel point il existe un écart entre ce qu’ils disent avoir besoin et ce que les professionnels/aidants interprètent de leur point de vue.  
Valoriser pour fédérer  Produire des temps forts pour fédérer autour de la démarche (journées de lancement) Valoriser les savoirs produits tout au long du développement du projet (Présentation aux congrès Oncodéfi et SFSP, en prévision au colloque ANCREAI de 2022…)

[1] Délégation Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales ex Délégation Territoriales des Agences Régionales de Santé.

[2] D’autres organisations ont pu jouer un rôle mais spécifiquement sur certains départements en fonction de collaborations antérieures.

[3] Conformément aux orientations du Plan Cancer 2014-2019 et de l’arrêté du 23/03/2018 les instituant. 

[4] En partenariat avec Klesia et CCAH : https://www.firah.org/fr/prevention-cancer.html 

[5] Eléments issus de la présentation du 7 décembre 2020 au comité de pilotage du projet d’étude.

[6] Les CPAM des 4 départements faisant l’objet de l’étude ont mis en avant que le taux de participation aux DO des PHV relevant de l’Allocation Adultes Handicapés (AAH) était moins important que celles qui n’en bénéficiaient pas.

[7] https://www.lanouvellerepublique.fr/poitiers/six-organismes-font-maison-commune

[8] Le Système National des Données de Santé permet de chainer des données de santé de différentes sources et de différents organismes : Assurance Maladie, Hôpitaux, relais des informations MDPH…https://www.snds.gouv.fr/SNDS/Qu-est-ce-que-le-SNDS

[9] Présentation lors du Congrès de la SFSP d’Octobre 2021 : https://posters.sfsp.fr/pdf/7.pdf

[10] La production de nombreux outils pour et par l’étude a été réalisée. Rassemblés dans une « boite à outils », cette dernière est accessible depuis avril 2022 sur le site de l’ANCREAI : https://ancreai.org/boite-a-outils-des-depistages-organises-des-cancers/ 

Pour tous renseignements, prendre contact avec : sabrina.sinigaglia@ancreai.org

[11] Créée en 2002, Il s’agit de la seule association d’auto-représentants des personnes handicapées intellectuelles https://nous-aussi.fr/

[12] La loi « informatique et liberté » (6/01/1978) concerne l’ensemble des données personnelles des individus et leur traitement. Elle a pour but d’en encadrer l’utilisation. https://www.cnil.fr/fr/rgpd-de-quoi-parle-t-on. Une règlementation européenne est venue en 2016 compléter ce dispositif : il s’agit du Règlement Général sur la protection des données (RGPD). Il a pour but renforcer le contrôle par les citoyens de l’utilisation qui peut être faite des données les concernant. Il harmonise les règles européennes et soumet tout organisme souhaitant récolter des informations sur les personnes à s’imposer un cadre pour le faire. https://www.associations.gouv.fr/le-rgpd-est-entre-en-application.html