Maraudes passerelles RDRDA (Réduction Des Risques et des Dommages liés à l’Alcool)

Le CAARUD Imp’Actes a développé, à travers une expérimentation de Maraudes passerelles financée par l’ARS PACA entre 2020 et 2022, des actions d’aller-vers et un accueil collectif ouvert à un nouveau public, celui d’usagers consommateurs d’alcool.
Accompagnée par l’association Santé !, l’équipe a élaboré durant la phase d’expérimentation des outils, des postures et des stratégies en maraude spécifiques pour le produit alcool. A l’issue de cette phase, l’accompagnement de ce nouveau public, les outils développés en maraude et l’autorisation de consommer de l’alcool durant le temps d’accueil collectif proposé par le CAARUD ont été pérennisés et sont intégrés à l’ensemble des activités du CAARUD (maraudes indifférenciées alcool et drogues, accueil ouvert à tout public, etc.).

06/04/2023

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Farvaque Marine
Chargée de mission Expérimentation
m.farvaque@fondationdenice.org

Nérot Anne-Cécile
Responsable du domaine d’activité Santé et Addictions

Château Murielle
Cheffe de service du CAARUD

L’équipe du CAARUD Imp’Actes

Présentation de l’intervention  

Présentation de la structure

L’expérimentation des maraudes passerelles a été portée par le CAARUD Imp’Actes[1], de la Fondation de Nice. Le Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction Des Risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) accueille les consommateurs sur trois sites dans le département des Alpes-Maritimes : Nice, Antibes et Cannes. A Nice, son local est situé depuis 2018 boulevard Virgile-Barel. L’équipe y propose un accueil collectif trois fois par semaine. Elle assure également a minima 3 maraudes par semaine sur le territoire niçois. La file active du CAARUD est d’une soixantaine d’usagers environ.

La Fondation de Nice Patronage Saint-Pierre Actes[2] œuvre dans le champ de la lutte contre la précarité et ses activités sont organisées en 3 secteurs : accompagnement social et médico-social, accès à l’emploi et Enfance – Jeunesse- Famille.

Contexte

Précédant le projet Maraudes passerelles, des réflexions étaient en cours au sein de l’équipe du CAARUD en 2019 sur l’accueil des usagers polyconsommateurs (autres drogues et alcool). Avec pour objectif principal d’améliorer l’accueil d’usagers déjà présents sur le CAARUD en prenant mieux en charge leurs consommations d’alcool, une formation et un projet d’autorisation de la consommation d’alcool lors de l’accueil collectif étaient en cours.

Par ailleurs, un besoin était clairement identifié sur le territoire niçois : aucune structure sociale ou médico-sociale ne prenait en charge les « personnes alcooliques à la rue » pourtant repérées dans l’espace public. L’obtention d’un financement par l’Agence Régionale de Santé Provence-Alpes-Côte-D’azur (ARS PACA) en 2020 afin de mener une expérimentation en direction de ce public a fait basculer les réflexions du CAARUD vers un projet de mise en place de maraudes et d’ouverture d’un accueil dédié pour les consommateurs d’alcool, en cherchant à toucher le public vulnérable d’usagers vivant à la rue.

L’expérimentation a conduit, dans un premier temps, à mettre en place des maraudes ainsi qu’un accueil différenciés, c’est-à-dire avec des horaires spécifiques pour les actions en direction de consommateurs d’alcool (horaires séparés de ceux des actions en direction d’usagers de drogues). Elle s’est conclue, dans un second temps, par l’intégration des pratiques et des postures développées pour ce produit à l’ensemble des activités du CAARUD, et à la mise en place de maraudes et d’un accueil indifférenciés. 

Objectifs

Le projet Maraudes passerelles visait spécifiquement à :

  • Accueillir un nouveau public et ouvrir l’accompagnement aux consommateurs d’alcool au CAARUD
  • Développer l’aller-vers par des maraudes spécifiques permettant d’orienter ces personnes vers le CAARUD, de leur apporter des conseils de RDRDA
  • Créer les passerelles entre travail de rue et accueil au local pour un service adapté aux personnes en grande précarité

Il permettait également de travailler aux objectifs suivants :  

  • Lever l’interdiction de venir avec sa propre consommation d’alcool et de la consommer au sein du CAARUD.
  • Améliorer l’accompagnement des usagers de drogues consommateurs d’alcool
  • Renforcer les compétences des professionnels : formation à la réduction des risques et des dommages alcool (RDRDA), apprendre à parler d’alcool autrement 
  • Permettre aux usagers de se sentir à l’aise pour parler de leur consommation avec des professionnels et d’être aidés dans l’évaluation de leur consommation et du comment ils consomment 
  • Eviter que les consommateurs ne soient en manque (car ne pouvant pas boire) ou en état d’ivresse (car buvant leur consommation rapidement avant de rentrer au local) ce qui bloque l’accès à l’accompagnement  

Calendrier

  • 2019 : première formation avec Santé ! sur la réduction des risques et des dommages alcool (RDRDA)
  • 2020 : réponse à appel à projet et obtention d’un financement de l’ARS PACA

Phase d’expérimentation

  • Janvier à octobre 2020 : phase exploratoire : mise en place de maraudes spécifiques ou différenciées : repérages des lieux où se trouve le public cible ainsi que des temps propices à l’échange.
  • Octobre 2020 à janvier 2021 : phase d’ajustement

Dont en 2020-2021 : Ajustements liés aux divers confinements et à la situation sanitaire

Phase de pérennisation

  • Janvier 2021 – janvier 2022 : prolongation de l’expérimentation par l’ARS d’un an : poursuite de l’accueil et de maraudes indifférenciés
  • 2022 : poursuite et intégration au fonctionnement classique du CAARUD

Principaux acteurs et partenaires

L’expérimentation a été menée avec les moyens suivants :

  • Mise à disposition de l’équipe du CAARUD ;
  • Emploi d’une chargée de mission à mi-temps, salariée du CAARUD et du CSAPA ;
  • Financement par l’Agence Régionale de Santé Provence-Alpes-Côte-d’Azur (ARS PACA)
  • Accompagnement méthodologique par l’association Santé ! ;
  • Evaluation faite par l’Association de Recherche et d’Action Psychosociologique (ADRAP).

Principaux éléments saillants

Élaboration du projet

Une population aux besoins non couverts repérée

Comment (mieux) prendre en charge les personnes alcooliques à la rue repérées à Nice ? C’est sur cet enjeu qu’a été mobilisé le CAARUD Imp’Actes par l’ARS PACA. Jusqu’alors, les maraudes menées par le CAARUD se dirigeaient exclusivement vers les usagers de drogues. Des usagers, consommateurs d’alcool, connus et repérés dans l’espace public, par le CAARUD ou par d’autres types de maraudes (notamment sociales et/ou alimentaires, par exemple celles de l’association Les Anges de la baie) « n’étaient reçus nulle part ailleurs » à Nice. En effet, ni le CAARUD Imp’Actes ni l’autre CAARUD niçois[3] ne recevaient ni n’accompagnaient ce public avant 2020.

Usagers de produits psychoactifs et consommateurs d’alcool vivant à la rue se retrouvent dans un nombre réduit de points de fixation à Nice, ce qui facilite leur repérage par les professionnels : les bancs de la place Garibaldi, devant certains commerces de l’avenue Jean Médecin ou aux abords du centre commercial TNL (tous en centre-ville). Une part importante de ces usagers vivant à la rue sont étrangers. Les professionnels du CAARUD l’estiment à environ 50%, dont une proportion très importante (jusqu’à 30% du total) de personnes originaires d’Europe de l’Est (Ukrainiens, Polonais, etc.).

Des réflexions autour de la place de l’alcool en amont au CAARUD

En 2019, l’équipe du CAARUD commençait à réfléchir à lever l’interdit de consommer de l’alcool dans la structure, au regard de l’expérience d’autres CAARUD en France. Partant du constat que 100% de leurs usagers était aussi consommateurs d’alcool, l’équipe souhaitait approfondir l’accompagnement des polyconsommateurs. Une démarche avec l’association Santé ![4] avait été entreprise en 2019, pour se former à l’approche de réduction des risques liés à l’alcool et préparer la mise en place d’un accueil au CAARUD autorisant la consommation d’alcool (prévu en février 2020).

Obtention d’un financement de l’ARS PACA

Le CAARUD a obtenu début 2020 un financement spécifique pour mettre en place des maraudes à destination du public en grande précarité, notamment celui repéré à la rue. Ce financement est obtenu à la suite d’un appel à projet portant spécifiquement sur l’aller-vers, ce qui s’inscrivait dans une nouvelle orientation stratégique pour la Fondation de Nice de développer des stratégies d’aller-vers. Le projet « Maraudes passerelles » est le premier projet d’expérimentation de cette ampleur portée par le CAARUD Imp’Actes. 

2020 – 2021 : Phase d’expérimentation

La première phase du projet avait à peine commencé qu’est survenue la pandémie de Covid-19, et avec elle les périodes de confinement puis de couvre-feu, qui ont fortement impacté le fonctionnement du CAARUD. Le calendrier initial du projet a été rallongé de ce fait et il a pu bénéficier d’un nouveau financement pour une phase de pérennisation à l’issue de la phase d’expérimentation. Ce contexte a également conduit à revoir la méthodologie de la première phase d’expérimentation des maraudes et a paradoxalement pu être un cadre facilitant pour démarrer les maraudes « alcool ».

Au lancement du projet, peu d’expériences similaires de maraudes auprès d’un public sans-domicile-fixe et spécifiquement consommateur d’alcool ont pu être repérées par l’équipe pour s’en inspirer, à l’exception des maraudes organisées durant le Covid-19 par l’équipe de l’Espace Marcel Olivier[5] à Paris.

Volet 1 : Mise en place de maraudes « alcool »

L’objectif était de construire une action d’aller-vers un public consommateur d’alcool à la rue. En mettant en place une maraude dédiée « alcool », il s’agissait pour le CAARUD d’aller à la rencontre d’un nouveau public avec pour objectif de donner des conseils aux personnes rencontrées « pour qu’elle[s] boive[nt] mieux à la rue ». La notion de maraudes passerelles vers le CAARUD est venue dans un second temps : a été ajouté l’objectif de faire connaitre le CAARUD aux usagers rencontrés, pour qu’ils puissent se saisir du service et venir y parler d’alcool. Le message porté en maraude visait à déconstruire des idées reçues sur le fonctionnement du CAARUD et faire passer le message qu’il y est possible de consommer de l’alcool « en sécurité », c’est-à-dire à l’abri des difficultés de la rue et en réduisant les risques liés à l’état d’ébriété à la rue. Les maraudes peuvent également faire des orientations pour la mise à l’abri de l’usager, notamment pour la nuit (Halte de lit, hôpital, etc.), quand un besoin de répit est exprimé.

La première piste envisagée pour développer ces maraudes a été de « se greffer aux maraudes alimentaires existantes », en faisant l’hypothèse qu’elles permettraient de rencontrer des consommateurs d’alcool à la rue. Il s’agissait notamment des maraudes des Anges de la baie ou du SAMU Social (géré par la Croix-Rouge à Nice). Or :

  • ces maraudes ne permettaient pas de toucher le public souhaité : les usagers à la rue qui s’alcoolisent durant la journée ne se rendaient pas aux distributions alimentaires organisées en soirée. Ils en étaient exclus dès qu’ils se trouvaient en état d’ébriété ou en possession de cannettes. Ils ne faisaient pas non plus partie des personnes vers lesquelles se dirigeaient les maraudes alimentaires.

  • de plus, l’équipe du CAARUD a essuyé des refus de la part de certaines associations, qui « n’ont pas souhaité qu’[elle] participe à leurs maraudes » se rappelle Marine Farvaque, ces associations arguant d’être déjà en capacité de répondre aux besoins du public touché sans intervention supplémentaire du CAARUD.

  • plusieurs éléments du mode de fonctionnement des maraudes alimentaires sont apparus comme inadaptés aux besoins d’une maraude « alcool », notamment leur fréquence et leur horaire. Pour s’adresser à des personnes s’alcoolisant à la rue, l’équipe a conclu qu’il fallait privilégier un horaire en journée quand ces personnes peuvent être aptes à discuter avec un intervenant et être réceptives aux messages que celui-ci pourrait leur transmettre (conseils pour faire évoluer leur comportement, etc.). Un horaire en soirée ne convient pas, car passé une certaine heure, les usagers sont souvent trop alcoolisés pour pouvoir échanger ou pas disponibles car se consacrant entièrement à la recherche d’une mise à l’abri pour la nuit.

Dans un second temps, c’est sur le format des maraudes en direction d’usagers de drogue que menait déjà le CAARUD qu’ont été construites les premières maraudes alcool spécifiques. Le choix initial était de « différencier » ces maraudes, c’est-à-dire d’organiser des maraudes spécialisées « alcool », durant lesquelles l’équipe n’emportait pas le matériel de RDR distribués habituellement en maraude « drogues ». L’horaire des maraudes « drogues », qui étaient organisées tous les jours en début d’après-midi, a été conservé pour la mise en place des maraudes « alcool », avec initialement un système d’alternance un jour « drogues », un jour maraude « alcool ».

Plusieurs autres éléments pratiques ont été repris :

  • fonctionnement en binôme d’intervenants professionnels
  • équipement léger : un sac à dos avec du matériel à distribuer
  • territoires arpentés établis à l’avance 
  • fréquence régulière, au début de l’après-midi.

Le contexte du confinement en vigueur au printemps 2020 a pu paradoxalement faciliter l’entrée en relation avec les usagers durant les premières maraudes. D’une part, le repérage de ces usagers, qui faisaient partie des rares personnes encore présentes dans des rues désertes, a été plus facile. Les aborder également, avec une entrée en relation différente de ce qu’elle aurait été dans un autre contexte. Le CAARUD était un des rares acteurs à maintenir une présence dans l’espace public (d’autres maraudes assurées en majorité par des bénévoles âgés étaient interrompues), leur attention était bienvenue. Entrer en relation avec ces personnes est passé par des échanges de prévention sanitaire autour du Covid-19 et la réponse aux besoins urgents de ces personnes très marginalisées, conduisant à ne pas aborder directement le sujet de l’alcool.

La création de ces maraudes s’est appuyée sur l’élaboration au cours de l’expérimentation d’un kit spécifique (présenté en détail dans la partie suivante). Il avait 2 fonctions principales :

  • support de médiation, demandé par l’équipe, il devait permettre d’aller à la rencontre des usagers, et faciliter l’entrée en relation avec l’usager.
  • ressource pour l’usager, il devait permettre de prodiguer des conseils de RDR appliqués au produit alcool.

Principaux enseignements de cette première phase exploratoire:

  • Très rapidement, il est apparu que mener des maraudes distinctes par types de produits « ne fonctionnait pas ». Les territoires parcourus par les maraudes étant très proches, les mêmes usagers étaient rencontrés d’un jour à l’autre. Cela conduisait à des situations « absurdes », comme ne pas pouvoir donner de matériel d’injection à un usager rencontré un jour de maraude « alcool », qui n’étaient pas comprises par les usagers.
  • Ces maraudes ont permis à l’équipe d’apprendre comment présenter le CAARUD aux usagers rencontrés, de formuler un argumentaire pour leur proposer de « venir plutôt boire au CAARUD que dehors ».
  • Et de développer une expertise sur les échanges qu’il peut y avoir en maraude spécifiquement autour de l’alcool : sécurisation de l’approvisionnement en alcool de l’usager, etc. Interroger la personne sur ses besoins fait émerger le plus souvent émerger des demandes qui ont trait « aux problèmes généraux de la rue » (accidents, hygiène, hébergement) et qui ne sont pas spécifiques à l’alcool.

Volet 2 : Mise en place d’un accueil au CAARUD pour les usagers d’alcool

L’ouverture de l’accès au CAARUD aux usagers exclusivement consommateurs d’alcool (sans poly-consommation) s’est traduite dans un premier temps par une ouverture réservée l’après-midi, c’est-à-dire à un créneau dédié et séparé de celui de l’ouverture de l’accueil ouvert aux usagers de drogue. Le cadre posé au départ était le suivant :

  • horaire distinct (pas de mixité des publics)
  • pas de distribution d’alcool au CAARUD > les usagers apportent leur consommation.
  • règles instaurées encadrant l’usage d’alcool durant le temps de l’accueil :
    • obligation de déposer les boissons au frigo
    • boissons servies au verre
    • un usager, assis, par table
    • pas de partage des boissons
    • consommation autorisée seulement si accompagné d’un éducateur spécialisé présent avec l’usager à sa table, avec pour objectif la supervision et l’échange sur les consommations en cours.

Des difficultés ont été rencontrées au départ par l’équipe, face à des comportements que la cheffe de service qualifie de « débordants » et d’« inadaptés » et qui se démarquaient des comportement d’usagers de drogues face auxquels les membres de l’équipe avaient l’habitude de réagir. Une phase d’apprentissage de la gestion des personnes très alcoolisées pour les éducateurs qui assurent l’accueil au CAARUD a été nécessaire : « apprendre à dire non ou stop», apprendre à demander à un usager de différer sa consommation quand son comportement est excessif, voire l’exclure temporairement, etc. Grâce à un cadre de mieux en mieux établi au fur et à mesure, et grâce aussi à une montée en confiance des professionnels qui animent le temps d’accueil, ces difficultés ont été surmontées.

Principaux enseignements de cette première phase exploratoire :

  • la règle de ne boire que sous le regard d’un éducateur est très vite apparue comme « infantilisante » (M. Château). Elle a été abandonnée.
  • Des ajustements ont été faits pour proposer des sirops (pas ou peu sucrés) plutôt que de l’eau à mesure de l’approfondissement des connaissances sur le produit et son usage 
  • Développement des compétences relationnelles ou de gestion de groupe des accueillants.

In fine, seule la règle de consommer au verre, assis, a été conservée parmi toutes celles expérimentées. Le partage des boissons est désormais autorisé. Le frigo n’est plus obligatoire. Si un usager se présente avec une boisson dans une bouteille en verre, celle-ci est consignée auprès de l’équipe qui distribue à la demande les verres (risque de violence/agression justifiant cette règle). La quantité bue n’est pas contrôlée. Selon les contributrices de cette capitalisation, une règle commune serait inégalitaire et inadaptée aux différents usagers. De plus, les consommations dépassent rarement 2 verres sur le temps de l’accueil. Pour M. Château, cela s’explique aisément parce que les usagers « s’autorégulent » efficacement : venant « avant tout chercher le lien social » et à en entrer en relation avec les intervenants, ils ne consomment pas au point de ne plus pouvoir être capables d’échanger avec l’équipe. Par ailleurs, se déplacer au CAARUD qui est éloigné des zones de fixation en du centre-ville, demande un effort important au public cible (transports, quitter sa place de manche, etc.). Les nouvelles règles de fonctionnement ont été ainsi adaptées aux besoins du public, afin de favoriser son accueil inconditionnel.

Les usagers du CAARUD, consommateurs d’alcool ou usagers de drogues, ont contribué à l’évolution de ces règles. « Ce sont eux qui ont fait bouger la règle du tout seul à table », se rappelle Marine Farvaque, en demandant que le CAARUD s’adaptent à leurs besoins, à ce qu’ils expriment et en l’espèce à leur envie de convivialité. Ils ont aussi amené l’équipe à prendre conscience de « l’absurdité de la séparation entre deux accueils différenciés», certains usagers étant d’anciens usagers de drogue accueillis désormais « à part ».

Les usagers sont bienveillants les uns avec les autres, la crainte que les usagers consommateurs d’alcool chassent les autres s’est révélée infondée.

Bilan des ajustements faits entre les phases d’expérimentation et de pérennisation

L’expérimentation s’est conclue positivement, puisque les pratiques d’aller-vers et d’accueil des usagers d’alcool sont désormais « acquises », c’est-à-dire à la fois intégrées aux pratiques de l’équipe et acceptées par le Conseil d’Administration. La mise en place du kit à la demande des professionnels durant l’expérimentation perdure.

L’observation des actions entreprises durant la phase d’expérimentation ont conduit à l’arrêt des maraudes différenciées.

Certaines pistes d’approfondissement envisagées par l’équipe, comme donner ou stocker de l’alcool au CAARUD, ont en revanche été rejetées par le Conseil d’Administration.  

La RDRDA portée par le CAARUD Imp’Actes (phase de pérennisation)

Le produit alcool a désormais été inclus dans l’ensemble des activités de réduction des risques portées par le CAARUD, de façon indifférenciée. La RDRDA est ainsi portée :

  • au niveau des maraudes indifférenciées menées par le CAARUD, qui incluent désormais d’aller vers des usagers d’alcool et la distribution possible durant toute maraude du kit alcool (voir encadré)
  • au niveau de l’accueil des usagers consommateurs d’alcool au CAARUD, ceux-ci étant accueillis comme tout autre public consommateur de substance psychoactive et/ou polyconsommateur.
  • au niveau des temps d’accueil collectif, par l’autorisation de consommer de l’alcool pour les personnes qui le souhaitent durant ce temps.

FOCUS : Distribution de « Kits alcool » en maraude

Tous les objets qui composent le kit alcool ont vocation à la fois de servir directement à l’usager, pour améliorer son quotidien tout en servant de support à la transmission de messages éducatifs visant à réduire les risques liés à la consommation. Les objets du kit sont « associés aux conseils que l’on donne » (M. Château). Le « Kit alcool » contient les éléments suivants :

  • 1 verre rétractable, afin d’inciter à se poser pour boire dans un verre et également afin d’éviter de partager sa bouteille et de transmettre des maladies ;
    • 1 bouteille d’eau pour éviter la déshydratation ;
    • 1 couverture de survie pour éviter les hypothermies ;
    • 1 paquet de produit salé type chips pour s’alimenter durant les consommations ;
    • Une réglette « alcool » : elle donne des informations sur la vitesse d’absorption des quantités bues, ce qui est un support d’échange sur les effets recherchés de la consommation (quel état l’usager vise, de quelle consommation il a besoin pour l’atteindre, etc.).
    • Un flyer rappelant les messages de prévention avec l’adresse et le numéro de téléphone du CAARUD ;

Il ne contient pas d’éthylotest, inadapté vu le mode de vie et le niveau de consommation des usagers.

« En fait, les équipes se sentaient démunies tant sur le plan du discours que sur le plan du matériel. D’habitude, ils avaient du matériel à distribuer, et là il n’y avait pas de média à la relation, Ils avaient du mal à trouver aussi quoi leur dire sur l’alcool, parce qu’anciennement ils étaient plutôt formés usage de drogues. Le kit est venu après la formation, en se disant que puisqu’on voulait un média à la relation, on allait créer un kit qui soit adapté au discours RDRDA et qui facilite l’entrée en relation. »

Marine Farvaque, Chargée de mission

Principaux enseignements de la phase exploratoire :

  • La principale difficulté rencontrée en maraude est quand les personnes sont suralcoolisées : elles deviennent alors « inaccessibles », ce qui empêche tout échange et expose les intervenants à des comportements difficiles à gérer. Le kit n’est alors pas adapté pour pallier ces difficultés.
  • Il n’y a pas de protocole fixe quant au kit : les intervenants peuvent le distribuer ou non, ils n’ont pas de script à dérouler à son sujet. Il sert vraiment de support à l’échange avec chaque individu rencontré, en fonction de ses besoins.

La RDRDA au quotidien

A l’issue de l’expérimentation, il a été convenu de mettre en place le fonctionnement suivant : « toute personne même alcoolisée sera accueillie et pourra consommer de l’alcool au sein du local. Dans le souci d’éviter l’infantilisation du consommateur (« on voit que tu es alcoolisé donc tu ne peux plus boire »), le discours tendra à valoriser leur comportement et leur gestion de leur consommation (« tu connais tes limites, tu peux boire si tu en as besoin ») »[6].

Selon Marine Farvaque et Muriel Château, la principale évolution qu’a apporté le projet Maraudes passerelles est que désormais, « la consommation d’alcool, on en tient compte au CAARUD». Cela signifie qu’au-delà d’accueillir ce nouveau public, l’équipe est à présent formée pour repérer, questionner et accompagner tous les usagers du CAARUD sur leurs consommations d’alcool.

Ces consommations ont par exemple plus de place désormais dans le questionnaire d’entrée (dans lequel on interroge la quantité bue, les horaires et autres modalités de consommation, les effets recherchés par les usagers). Ces questions étaient déjà présentes dans les questionnaires administrés au CAARUD, mais il ne s’agissait pas de questions sur lesquels l’équipe rebondissait régulièrement. Tenir compte de l’alcool signifie ainsi prendre au sérieux l’usage de ce produit alcool comme les autres produits, sans banaliser, ignorer ou minimiser l’impact de son usage.

Cette nouvelle prise en compte de l’alcool se fait « dans une logique de RDRD », c’est-à-dire avec pour objectif d’aider un usager à mieux gérer ses consommations au quotidien, que ce soit à travers des échanges durant les maraudes, au CAARUD ou les outils distribués dans le kit. Pour Muriel Château, cela conduit à s’interroger avec la personne sur « comment avoir, avec sa consommation, le moins d’impact sur sa santé, mentale et physique, et sa vie quotidienne ». Cela peut consister par exemple : à interroger un usager sur les horaires de consommation, sur « ce que ça provoque dans sa vie », à discuter avec lui de comment anticiper ses besoins et de l’approvisionnement adéquat en alcool pour y répondre, de comment « gérer » ses consommations vis-à-vis de problèmes de logement ou d’obligations en lien avec la justice, etc. Un accompagnement à la gestion et la réduction des consommations (travailler sur l’identification de facteurs déclencheurs de consommation) peut également être proposé lors de l’accueil au CAARUD, si c’est le souhait de l’usager.  

Initialement, une des conditions du projet d’accueil collectif RDRDA était que « la personne soit prête à élaborer / parler de sa consommation ». Or, il a été constaté que cela pouvait être un frein d’accès au CAARUD pour des personnes qui entretiennent un lien fort avec l’alcool et sur lequel il n’est pas évident de s’exprimer d’emblée avec un professionnel. Afin de permettre une réelle inconditionnalité de l’accueil, l’obligation d’être dans une démarche individuelle active quant à sa consommation d’alcool a été levée. Le CAARUD est présenté comme lieu ressource où les usagers pourront boire en sécurité, venir se poser, sans conditions ni contraintes de non-consommation, dans une logique de RDRD. L’enjeu pour les professionnels qui interviennent sur le temps de l’accueil est de créer du lien avec les consommateurs afin de pouvoir éventuellement faire émerger une démarche de travail voire de soins sur les consommations. L’équipe peut à présent différencier les usagers en demande de cet accueil inconditionnel et qui souhaitent boire tranquillement et ceux en recherche d’un accompagnement dans la maitrise de leurs consommations.

Principaux enseignements

Résultats observés

Entre juillet 2020 et mars 2021, les données recueillies pour le suivi de la phase d’expérimentation font état de :

  • La réalisation de 65 maraudes spécifiques « alcool » entre juillet 2020 et février 2021, puis 10 maraudes indifférenciées entre février 2021 et fin mars 2021, qui ont permis de rencontrer 159 personnes au moins une fois (dont 35 personnes au profil « polyconsommateurs » et 124 « consommateurs d’alcool uniquement »).
  • L’ouverture de 65 accueils spécifiques, puis 12 accueils indifférenciés au CAARUD, qui ont conduit à 187 passages (pour 37 usagers, dont 8 au profil « consommateurs d’alcool uniquement »). Seule une dizaine de nouvelles personnes sont venues sur l’accueil suite à une rencontre en maraude.

Sur la même période, le CAARUD a également accueilli une quarantaine d’usagers durant les accueils « usagers de drogues », qui pour moitié sont des usagers au profil de « polyconsommateurs » qui ont pu bénéficier de la compétence d’accompagnement RDRDA se développant au sein de l’équipe.

A l’issue de cette phase d’expérimentation, il a été conclu que « la [fonction de] passerelle [de la maraude] n’a pas joué son rôle : peu des nouvelles personnes rencontrées en maraude (qui n’étaient jamais venues au service avant la mise en place de la RDRDA) sont venues au local. »[7] Les maraudes apparaissent davantage comme un mode d’intervention complémentaire à l’accueil, qui permet d’aller-vers un public sinon exclu des autres dispositifs en raison de la barrière de la langue, de leur consommation ou de l’éloignement géographique du CAARUD.

Le suivi quantitatif assuré par la chargée de mission du projet a été complété par une évaluation[8] qualitative réalisée par l’ADRAP en 2021, avant la clôture de la phase de pérennisation. L’impact final sur les personnes à la rue est difficile à estimer. Mais, l’évaluation de l’ADRAP a permis d’établir que le dispositif des maraudes et le CAARUD Imp’Actes étaient connus des usagers dans la rue.

Les principaux effets observés pour la structure à l’issue de l’expérimentation sont :

  1. La pérennisation de maraudes et d’un accueil indifférencié au CAARUD en direction d’usagers de drogues, de consommateurs d’alcool ou polyconsommateurs. Le projet a donc permis un élargissement des missions du CAARUD et la mise en place d’une offre nouvelle d’accompagnement des usagers consommateurs d’alcool à Nice.
  2. L’ancrage d’un changement de pratiques au sein de l’équipe du CAARUD : travailler sur le produit alcool comme n’importe quelle autre substance est désormais intégré dans le fonctionnement habituel du CAARUD, tant au niveau des outils (outils créés durant l’expérimentation définitivement adoptés) que dans les mœurs de l’équipe (approche adoptée et intégrée par les nouveaux salariés).
    Cela a conduit également à améliorer l’accompagnement proposé aux polyconsommateurs dans toute leurs consommations, alcool inclus.
  3. Le développement de l’approche RDRDA au sein de la Fondation de Nice et de son réseau partenarial.

En effet, d’autres structures comme la Halte de nuit (service géré également par la Fondation de Nice) réfléchissent également à modifier leurs pratiques. L’expertise du CAARUD en matière de RDRDA est désormais reconnue, et peut être sollicitée en interne. Une « philosophie de l’accompagnement des consommations », visant à travailler avec et non plus contre celles-ci, se développe.

Le projet s’inscrit par ailleurs dans un mouvement de fond au sein de la Fondation, qui cherche à développer l’aller-vers les personnes en grande précarité sous des modalités variées : travail de rue avec les maraudes, déplacement à domicile, accompagnement sur des lieux extérieurs d’usagers, etc. « C’est une vraie stratégie dans tous les services de la Fondation [de Nice] de développer l’aller-vers où que soient les personnes : dans la rue, à domicile, dans des squats, etc. » souligneA-C Nérot, responsable des activités Santé et Addictions en 2021.

Freins et leviers

« Les maraudes alcool, au départ, ça n’a fait que débat ! »

Muriel Château, Cheffe de service du CAARUD

Il s’agissait de la première fois qu’une expérimentation était menée au sein de la Fondation ainsi que la première fois qu’une équipe était « accompagnée sur un changement de mission, en tout cas de public » (A-C Nérot). Au départ de l’expérimentation, l’obtention du financement ARS a précipité un processus de changement qui a compliqué la gestion de la conduite du projet. « C’est allé trop vite », se rappelle M. Château, car l’équipe était intéressée par la possibilité de lever l’interdit de consommation d’alcool au CAARUD mais pas d’aller à la rencontre avec les maraudes de nouveaux usagers d’alcool ou de les accueillir au CAARUD. L’enjeu principal a été de réussir « à obtenir l’adhésion de l’équipe dans l’obligation », et pour cela « il a fallu expérimenter, il a fallu réajuster, il a fallu l’équipe qui était quand même très réticente à la mise en place d’un accompagnement auprès des personnes consommatrices d’alcool laisser tester des choses ». 

Différents éléments ont contribué à la réussite de l’expérimentation, listés ci-dessous :

Schéma 1. Principaux leviers de réussite du projet identifiés par l’équipe

La formation dispensée par Santé ! à l’équipe apparaît également comme condition nécessaire du projet, car la question de l’alcool, et a fortiori de la RDRDA, est très peu présente dans la formation initiale des éducateurs spécialisés, ainsi que des équipes des CAARUD. Afin de renforcer les compétences de l’équipe, une formation a été organisée en 2021 pour l’équipe sur l’aller-vers.

Différents freins ont été rencontrés tout au long de l’expérimentation : refus essuyés de la part d’associations gérant les maraudes (en lien avec la compétition entre structures dans l’accès aux financements pour ces dispositifs) ; barrière de la langue pour une part importante du public cible ; craintes des professionnels vis-à-vis de leurs capacités ; craintes vis-à-vis du risque d’un effet pervers où les consommateurs  d’alcool vont faire fuir les usagers de drogue (représentations de certains professionnels au départ), etc. La majorité de ces freins a pu être levée durant l’expérimentation, mais pour certains ils constituent des enjeux qui perdureront sur le long terme pour le CAARUD :

  • Les difficultés de communication rencontrées avec les publics allophones (notamment d’Europe de l’Est) : le recrutement d’un intervenant (éducateur spécialisé) parlant la langue russe pourrait lever ce frein, mais ne permettrait pas de résoudre cette difficulté pour l’ensemble des populations rencontrées (multiples langues).
  • Le manque de visibilité et d’accessibilité du CAARUD : Comme cela a été souligné dans le bilan de l’expérimentation, le local en 2021 est « loin du centre » et « peu visible » car il ne bénéficie d’aucune signalétique permettant de l’identifier facilement par rapport à une autre entrée d’immeuble par choix de la Fondation de Nice pour éviter des tensions avec le voisinage. En 2022, un emménagement du CAARUD avorté en centre-ville en raison d’une mobilisation des riverains s’opposant au projet, témoigne à nouveau d’un contexte local défavorable pour toute structure de RDRD ou d’accueil bas seuil.

[1] Pour en savoir plus : https://www.fondationdenice.org/caarud/

[2] Pour en savoir plus : https://www.fondationdenice.org/

[3] https://www.groupe-sos.org/structure/caarud-lou-passagin/

[4] Pour en savoir plus : https://www.sante-alcool.fr

[5] Voir : https://www.capitalisationsante.fr/capitalisations/reduction-des-risques-lies-a-lalcool-a-lespace-marcel-olivier/

[6] Extrait du « Guide d’expérimentation – Approche spécifique Réduction des Risques et des Dommages liés à l’alcool auprès des personnes sans domicile fixe (RDRD alcool et aller-vers », disponible sur demande auprès de l’équipe.

[7] Extrait du « Guide d’expérimentation – Approche spécifique Réduction des Risques et des Dommages liés à l’alcool auprès des personnes sans domicile fixe (RDRD alcool et aller-vers », disponible sur demande auprès de l’équipe.

[8] Pour mener cette évaluation prévue dans le cadre de l’expérimentation, l’ADRAP a observé 2 maraudes et mené des entretiens auprès d’usagers pour mesurer leur connaissance et leur usage du dispositif.