IDEO – Informer, déstigmatiser, évaluer, orienter

Afin de répondre au manque d’information et à la persistance de la stigmatisation autour de la santé mentale, l’équipe d’IDEO a décidé de franchir les murs de la pédopsychiatrie pour aller à la rencontre des lycéens et des professionnels des structures d’enseignement. Avec pour objectifs d’informer, déstigmatiser, évaluer et orienter, IDEO s’appuie sur des liens de partenariat forts avec les acteurs de différents secteurs. Résultat : le projet touche aujourd’hui la totalité des élèves de 15 ans du département de l’Aube de seconde technologique, générale, professionnelle et CAP. Explorez comment les acteurs d’IDEO ont développé et entretiennent ce réseau, et la manière dont les différents partenaires ont contribué à faire évoluer le projet. Vous découvrirez également les principaux leviers d’intervention qu’ils mobilisent pour contribuer à l’évolution des croyances sur la santé mentale et les troubles psychiques.

05/04/2024

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IDEO

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Dr Chrétien Pierre
Médecin psychiatre Établissement public de santé mentale de l’Aube (EPSMA) - https://epsm-aube.fr/
pierrick.deniaud@hcs-sante.fr

Deniaud Pierrick
Infirmier coordonnateur Établissement public de santé mentale de l’Aube (EPSMA)

Noell Cathy
Responsable Territoriale Aube / Haute-Marne pour l’Ireps Grand Est https://ireps-grandest.fr/
c.noell@ireps-grandest.fr

Cette fiche de capitalisation a été produite dans le cadre d’un projet initié et financé par la Fondation de France et coordonné par la Société Française de Santé Publique.

Présentation de l’intervention

L’établissement public de santé mentale de l’Aube (EPSMA)

Les établissements publics de santé mentale sont des structures de prévention, de soins (intra ou extra-hospitaliers) et de suivi en santé mentale. L’EPSMA est divisé en un pôle de psychiatrie adulte qui couvre quatre secteurs, et un pôle de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent accueillant les patients de 0 à 17 ans. Pierre Chrétien, porteur du projet IDEO, est médecin psychiatre responsable de l’unité d’hospitalisation pour mineurs (UHM) de l’EPSMA depuis 2018, et exerce au CMP adolescents de Troyes. Son collègue Pierrick Deniaud, qui coordonne le projet, est infirmier depuis 2017, d’abord à la clinique psychiatrique de l’Aube puis au sein de l’UHM.

C’est à la sortie d’un colloque sur la prise en charge précoce des pathologies psychiatriques chez les adolescents qu’est née l’idée du projet IDEO. Repérer les premiers signes et prendre en charge le plus rapidement possible les troubles tels que la bipolarité, la schizophrénie, mais également la crise suicidaire est essentiel. L’intervention précoce permet en effet d’améliorer le rétablissement, de diminuer les symptômes et de favoriser l’autonomie des personnes[1].

Mais comment faire pour amener les jeunes à consulter dès l’apparition de signes précurseurs ? Et comment, plus globalement, permettre aux adolescents et à leur entourage de reconnaître ces signes et de solliciter les structures adaptées sur leur territoire ? Quels leviers activer pour combattre les idées reçues sur la santé mentale et les professionnels de la psychiatrie, encore parfois considérés comme des « docteurs pour les fous » ?

En 2019, pour tenter d’apporter des réponses à ces difficultés, Pierre Chrétien et Pierrick Deniaud ont souhaité créer le projet IDEO et mettre sur pied une équipe qui sorte de l’hôpital pour aller à la rencontre des adolescents au sein de leurs lycées. Ils ne le savent pas encore, mais la crise liée au Covid-19 va survenir quelques mois plus tard et accélérer l’implantation du projet au sein des structures d’enseignement.

Une dégradation de la santé mentale des jeunes depuis la crise sanitaire

Les acteurs travaillant auprès des adolescents s’accordent sur l’impact préoccupant de la crise sanitaire liée au covid-19 sur la santé mentale des jeunes. Dès la sortie du confinement, enseignants et professionnels de la psychiatrie ont alerté sur une forte augmentation des situations de décrochage scolaire, d’anxiété et de repli sur soi, notamment. Le système de surveillance de Santé publique France (SPF) mis en place pendant le premier confinement pour suivre les passages aux urgences pour troubles de l’humeur et crises suicidaires, notamment, a confirmé leur augmentation. Ils se situent toujours à des niveaux élevés et restent même en légère hausse en 2023. Se trouvant en difficulté pour faire face à cette situation et ayant souvent peu de relais pour orienter les adolescents, les acteurs de l’éducation ont accueilli le projet IDEO avec un fort intérêt.

Un projet, quatre objectifs

IDEO s’inscrit dans la lignée du mouvement « antipsychiatrique », né dans les années 1960 et visant à mettre en avant la liberté des patients, à ouvrir les services de psychiatrie vers l’extérieur et à prendre en compte la dimension sociale des troubles psychiques. S’inspirant notamment de l’intervention YAM (Youth  Aware of Mental Health)[2], les porteurs ont construit un projet dont l’ambition était de toucher l’ensemble des adolescents de 15 ans (en seconde et CAP) du département de l’Aube. C’est en effet un moment propice pour intervenir, puisqu’il correspond à la classe d’âge où surviennent fréquemment les premiers signes de troubles psychotiques. Le projet s’articule autour de quatre objectifs clés :

  • Informer les jeunes sur la santé mentale,
  • Déstigmatiser la psychiatrie et combattre les stéréotypes et idées reçues,
  • Evaluer en transmettant des outils simples d’auto-évaluation de leur santé mentale par les jeunes,
  • Orienter vers les structures adaptées existant sur leur territoire.

Un développement rapide, mais par étapes

 Le calendrier du projet montre qu’il s’est développé de manière rapide sur le territoire : il s’est passé seulement quatre ans entre l’idée du projet et son implantation dans l’ensemble du département. Les deux années scolaires de montée en charge ont toutefois été essentielles pour ajuster progressivement l’intervention.

Figure 1 – Étapes de développement du projet IDEO

Le projet IDEO actuel en un regard

Figure 2 – Synthèse des activités du projet IDEO

Focus sur les séances d’animation auprès des élèves :

Figure 3 – Synthèse du déroulé et des contenus de l’intervention auprès des jeunes. Source : IDEO

Principaux éléments saillants

Des liens partenariaux solides

Même si les prémices d’IDEO ont été posées dès 2019, c’est bien le travail commun avec les partenaires de différents secteurs qui a permis au projet d’évoluer pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Pour les porteurs, intervenir en dehors des murs de l’hôpital a impliqué plusieurs défis. Ils ont en effet négocié la place du projet dans les établissements d’enseignement et mobilisé une variété de financeurs, ainsi que de nombreuses structures ressources du territoire. Qui sont les partenaires impliqués dans IDEO ? Quels leviers les acteurs du projet ont-ils mobilisés pour construire ce réseau de professionnels issus de différents secteurs ? Comment ces derniers ont-ils contribué à modeler le projet ?

Cartographie des différents partenaires

Figure 4 – Partenaires du projet IDEO

*DASEN : Direction académique des services de l’Éducation nationale
** DIDEC : Direction interdiocésaine de l’enseignement catholique
*** CNEAP : réseau de cinq établissements agricoles privés catholiques sous contrat avec le ministère de l’Agriculture

Un projet coconstruit avec l’Ireps Grand Est

Lorsque les porteurs ont présenté IDEO à l’ARS, celle-ci s’est tout de suite montrée intéressée par le projet, tout en proposant aux acteurs un accompagnement méthodologique par l’Ireps Grand Est. L’Ireps propose en effet un appui aux porteurs dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de leurs projets de promotion de la santé. Grâce à leur expertise dans ce domaine et l’appui sur des données probantes, les professionnels conseillent, accompagnent, forment et mettent à disposition des acteurs de la documentation et des ressources pédagogiques.

 Cathy Noell, Responsable Territoriale Aube / Haute-Marne pour l’Ireps Grand Est, a ainsi accompagné le coordonnateur et les intervenants d’IDEO avant la mise en œuvre de l’action auprès des jeunes. L’accompagnement a donné lieu à de nombreuses rencontres et trois dimensions ont été travaillées :

  • les objectifs du projet,
  • les indicateurs d’évaluation de l’atteinte de ces objectifs,
  • la construction d’un protocole d’animation : objectifs pédagogiques, déroulé, outils et posture de l’animateur.

 En repartant des déterminants de la santé mentale, l’équipe IDEO a ainsi pu clarifier ceux sur lesquels elle souhaitait agir. Le schéma ci-contre résume les points clés travaillés au cours de l’accompagnement.

Figure 5 – Points clés de l’accompagnement méthodologique d’IDEO par l’Ireps Grand Est

Le protocole d’intervention auprès des adolescents a ainsi été entièrement co-construit à partir d’un partage de connaissances entre les professionnels de l’EPSMA – qui ont apporté leur expertise sur la santé mentale et les troubles psychiques des adolescents – et la professionnelle de l’Ireps – qui a amené la sienne sur les principes et la méthodologie de projet en promotion de la santé. Si ce travail a demandé un important pas de côté aux professionnels de l’EPSMA, ils ont toutefois été très ouverts à l’approche de promotion de la santé.

Les leviers du partenariat intersectoriel

Le partenariat intersectoriel est central et multiforme dans le projet IDEO. Plusieurs leviers semblent déterminants dans le tissage du réseau qui a permis son enrichissement et son large déploiement :

  1. « Aller-vers » et plaidoyer : les acteurs d’IDEO sont très engagés et ont développé un solide argumentaire autour du projet. Ils se saisissent de nombreuses occasions pour le présenter et susciter l’intérêt. De leur côté, les acteurs d’autres champs ont parfois des difficultés à collaborer avec la psychiatrie, souvent perçue comme opaque et difficile d’accès. Ils apprécient donc beaucoup que des professionnels de l’EPSMA franchissent les portes de l’hôpital pour venir à leur rencontre.
  2. Disponibilité et accessibilité du coordonnateur et du porteur : se montrant réactifs aux sollicitations des partenaires, ils partagent leurs connaissances de la santé mentale de manière compréhensible et adaptée à leurs interlocuteurs, sans se positionner comme « sachants ».
  3. Reconnaissance des compétences de chaque acteur et ouverture d’esprit : pour se comprendre et travailler ensemble, il est nécessaire d’être convaincu de l’aspect complémentaire de ce que chaque partenaire apporte. Le projet peut ainsi être modelé et enrichi par les apports de chacun. Par exemple, la Maison de l’Adolescence de l’Aube apporte sonexpertise de l’adolescenceet de ses enjeux ainsi que sa connaissance des structures. L’ARS a aussi contribué à l’évolution d’IDEO au-delà de son financement, en promouvant sa montée en charge progressive, notamment.
  4. Prise en compte des contraintes de chacunetapproche « gagnant-gagnant ». Un réseau de partenaires, surtout lorsqu’il implique des secteurs qui peuvent rencontrer des difficultés à collaborer comme la santé et l’éducation, n’est jamais figé et évolue au fil de négociations et consensus[3]. Au départ, la DASEN aurait souhaité que le projet soit centré sur la formation des enseignants uniquement. C’est parce qu’ils ont proposé un format d’intervention court et accepté de sensibiliser également les professeurs que l’Éducation nationale a ouvert ses portes à IDEO.
  5. Liens interpersonnels positifs : au-delà des aspects institutionnels, il ne faut pas négliger l’importance de ces liens et des échanges informels, en marge de réunions par exemple. Ils permettent parfois d’accélérer des procédures ou de donner un accès plus aisé à certaines instances. Des échanges de services, comme relayer un événement ou une offre d’emploi dans son réseau, contribuent également à renforcer les liens.

La figure suivante synthétise les leviers clés qui ont pu jouer un rôle dans la réussite du partenariat avec l’Éducation nationale en particulier.[4]

Figure 6 – Principaux leviers du partenariat entre IDEO et l’Éducation nationale

Les stratégies mobilisées

Figure 7 – Stratégies d’intervention du projet IDEO  

1- Un renforcement des connaissances et des compétences basé sur les représentations des adolescents

Explorer et faire évoluer les représentations

L’un des défis d’IDEO est de faire évoluer les croyances et idées reçues des adolescents autour de la santé mentale. L’enjeu de la déstigmatisation est double : il concerne à la fois les pathologies psychiatriques et les personnes qui vivent avec celles-ci ; et les structures et professionnels qui œuvrent dans ce domaine. À l’aide d’un quizz vrai/faux basé sur l’arbre des idées reçues, les représentations et croyances autour de cinq troubles sont travaillées : les addictions, la dépression, la bipolarité, la schizophrénie et les troubles anxieux, ainsi que les scarifications.

Pour les acteurs du projet, la « désacralisation » de la santé mentale et des professionnels passe aussi par le fait de passer un moment agréable et convivial à leurs côtés le temps de l’intervention. Dans ce but, une pause avec une collation est proposée au bout d’une première heure d’intervention, lorsque la concentration commence à diminuer.

L’humour est aussi un levier manié par les intervenants pour aborder des sujets complexes et émotionnellement difficiles comme le harcèlement ou les addictions, avec cette ligne : « dédramatiser sans banaliser ». L’objectif est bien de travailler sur les représentations autour de la santé mentale des adolescents, sans pour autant créer d’angoisse.

Renforcer les connaissances et les compétences sur la santé mentale

L’un des enjeux de l’intervention IDEO auprès des jeunes est de leur apporter un grand nombre d’informations sur la santé mentale en favorisant leur appropriation en un temps limité. Il s’agit ainsi pour les intervenants de :

  • favoriser la prise de conscience et l’expression des connaissances déjà acquises ;
  • permettre au groupe de construire collectivement des réponses ;
  • transmettre des connaissances complémentaires surla santé mentale et ses déterminants, et sur le rôle des différents professionnels de ce domaine ;
  • amener les jeunes à identifier et comprendre le rôle des structures ressources accessibles sur leur territoire et les cas dans lesquels les solliciter ;
  • prendre en compte les préoccupations des jeunes en répondant aux questions qu’ils posent et en s’appuyant sur les situations qu’ils peuvent vivre ;
  • transmettre des compétences et messages clés à retenir, notamment :
    • savoir reconnaître les signes de mal-être chez soi-même ou ses proches et évaluer leur intensité et leur durée ;ne pas rester seul ;
    • identifier et solliciter un adulte de confiance si besoin (stratégie des « 3 cercles » : Qu’est-ce que je peux faire moi ? Sur qui je peux m’appuyer autour de moi ?  Quels professionnels je peux solliciter ?).

Pour favoriser la construction et l’appropriation des connaissances, les intervenants mobilisent l’approche socratique. Elle repose sur un dialogue ouvert, en admettant que l’autre peut avoir une pensée différente, dans un objectif de consensus du groupe. Cette méthode favorise la réflexion et le raisonnement à partir de l’expérience concrète des participants[5]. Elle permet l’élaboration et la structuration de la pensée, évitant un transfert de connaissances « descendant ». Pour cela, les vignettes sont un outil privilégié : à partir d’exemples fictifs mais très concrets et issus de la vie courante (évaluations scolaires, rendez-vous amoureux, etc.), elles permettent aux jeunes de participer activement en proposant des solutions aux problèmes évoqués. Celles-ci font l’objet d’échanges dans le groupe, l’intervenant facilitant la parole et apportant des contrepoints et informations complémentaires.

2- L’adoption d’une posture éducative

Pour mobiliser cette approche et favoriser la participation des jeunes et l’appropriation des messages, les animateurs adoptent une posture que l’on peut qualifier de « posture éducative » en promotion de la santé. Il s’agit d’une posture empathique, non jugeante et authentique qui permet la construction d’une réflexion individuelle et collective. S’éloignant d’une relation de « sachants » à « profanes », ils favorisent une certaine symétrisation des rapports de savoirs, évitant à tout prix d’apparaître comme « donneurs de leçon ».

Cette posture implique notamment l’instauration d’un cadre clair durant l’intervention. Celui-ci doit permettre de concilier convivialité, bienveillance, liberté d’expression, respect et sécurité de chacun. Il est explicité dès le départ et reste ferme, bien que sensiblement différent du cadre scolaire habituel. La posture éducative adoptée relève en effet de l’éducation pour la santé et diffère de la relation enseignants-élève. Le fait que les séances soient assurées par des animateurs extérieurs et en l’absence des personnels de l’établissement est à ce titre un élément important. La variation de la posture par rapport au cadre habituel est marquée par des nuances, des possibilités de négociations, comme l’autorisation de consulter son portable entre les séquences ou d’utiliser un langage plus familier. Se crée ainsi un espace de prévention permettant une parole et une représentation de soi qui peut être différente du reste du temps scolaire. 

La demande aux établissements d’une salle dédiée à l’intervention permet de matérialiser cet espace. Son changement de disposition par rapport à une salle de classe, avec une modalité « en U » par exemple, où chacun peut voir tout le monde, participe de cet objectif et permet de maintenir le lien tout au long des séances.

Le langage mobilisé par les animateurs d’IDEO est aussi un élément constitutif de la posture dans laquelle ils se placent. Certains ponctuent par exemple leur intervention d’éléments plus familiers ou quotidiens, tel un « coup de tonnerre dans le discours » qui permet d’introduire un certain niveau d’égalité à travers la parole. Il s’agit pour eux de se mettre symboliquement à hauteur des adolescents rencontrés, d’instaurer une relation authentique favorisant un discours « à cœur ouvert », sans pour autant « jouer le jeunisme ».

3- Une collaboration interprofessionnelle dans l’animation

 En 2021 et 2022, les interventions étaient assurées par une psychologue et deux infirmier(ères). Avec la montée en charge du dispositif, une nouvelle équipe composée d’une aide-soignante, d’une infirmière et d’une psychologue a été mise sur pied en 2023. Le binôme est essentiel, car il permet d’animer tout en étant attentif aux réactions de chacun. L’un des deux intervenants peut éventuellement sortir de la salle avec un élève s’il en ressent le besoin. Dans les faits, contrairement à ce que craignaient les porteurs, cela arrive rarement et traduit simplement le besoin d’exprimer une émotion hors du groupe.

La collaboration interprofessionnelle au sein du binôme permet d’associer des compétences variées. Si chaque binôme comprend un professionnel aguerri à la pédopsychiatrie pour pouvoir agir en cas de crise, l’appartenance professionnelle n’apparaît toutefois pas déterminante dans le recrutement. Sont davantage recherchées les expériences professionnelles auprès d’adolescents et la capacité à communiquer et à créer des liens avec eux.

La coanimation permet également une distribution plus ou moins formelle des rôles entre les deux intervenants. Par exemple, l’un pourra être plus direct et reposera facilement le cadre, tandis que l’autre apportera une dynamique plus douce.

4- Des actions sur l’environnement des jeunes

Sensibiliser les enseignants

Former les enseignants est un levier clé pour que les effets de l’action perdurent après le départ des intervenants. Les professionnels de l’éducation peuvent être les premiers interlocuteurs d’un lycéen en souffrance et sont parfois démunis face à ces situations. Initialement basé sur le volontariat des professeurs, le temps de formation proposé par IDEO se présente aujourd’hui comme une journée entière de sensibilisation, inscrite au Plan académique de formation (PAF).

Coconstruite avec l’Ireps et adaptée à un grand nombre de participants (200 places prévues au cours de 3 sessions en 2023-2024), cette sensibilisation s’appuie sur un référentiel de l’Éducation nationale[6] et comprend des apports théoriques sur le développement de l’adolescent, les principaux troubles psychiques et leur traitement ; ainsi que des jeux de rôle à partir de cas concrets. Les jeux de rôle facilitent les apprentissages et permettent aux professionnels de faire évoluer le regard qu’ils portent sur les jeunes concernés en jouant « un autre que soi, tout en éprouvant ce que la situation simulée amène d’affects et de tensions[7] ».

Figure 8 – Messages clés transmis aux professionnels éducatifs

Les infirmières scolaires : un rôle clé

Les infirmières représentent souvent une « figure de confiance au sein du lycée ». Bien qu’elles ne soient pas présentes durant les séances auprès des élèves, il est important d’opérer un relais avec elles. Les intervenants les informent notamment qu’elles peuvent connaitre un léger pic d’affluence après l’intervention.

En outre, les infirmières scolaires ont pu exprimer lors d’une rencontre collective au démarrage du projet qu’elles rencontraient de grandes difficultés pour orienter les élèves en souffrance vers les services de pédopsychiatrie. Un besoin de communication a été identifié et des temps collectifs d’échange de pratiques, animés par le Dr Chrétien sont désormais mis en place (4 demi-journées par an). L’objectif est d’aborder les situations difficiles rencontrées et d’apporter des connaissances complémentaires sur le diagnostic et la prise en charge, afin d’étayer et de réassurer ces professionnelles.

Des affiches de communication créées par les adolescents, pour les adolescents

À la fin de la seconde session, les élèves sont invités à participer d’une manière différente. À partir d’une base d’affiche, ils sont séparés en deux groupes et élaborent un message de prévention en lien avec la santé mentale. Les intervenants les amènent à ne pas se focaliser sur la forme pour proposer des messages percutants, mais ayant aussi un réel sens pour eux et leurs pairs. Les supports créés sont ensuite affichés dans l’établissement, avec un QR code permettant d’accéder au flyer de présentation des structures ressources.

Cet espace d’expression créative permet d’ancrer l’appropriation des apports de l’intervention et de s’assurer de la compréhension des messages. Il s’agit aussi de favoriser une communication de pair-à-pair, dont on sait qu’elle peut être plus efficace. Grâce à un partenariat avec la municipalité de Troyes, certaines de ces affiches sont exposées pendant plusieurs semaines par an sur les panneaux publicitaires numériques de la ville. L’Ireps a créé une grille d’analyse basée sur les critères de la littératie en santé pour objectiver le choix des posters. Parmi ceux présélectionnés, les lycéens ont ensuite voté pour leur poster préféré. Cette manière d’investir l’espace public a été très valorisante et appréciée par les adolescents. 

Figure 9 – Exemples de posters créés par les élèves Source IDEO

Des supports adaptés à chaque territoire pour rendre l’information accessible même après la fin de l’intervention

Le parti pris d’IDEO est de fournir une liste à jour de structures ressources en santé mentale des adolescents gratuites, facilement accessibles, et proposant un premier contact pouvant être anonyme. Différents supports sont transmis aux jeunes et aux professionnels, leur permettant de retrouver facilement les informations après l’intervention :

  • Des flyers : aujourd’hui, quatre flyers différents ont été créés en fonction des territoires d’intervention. Ils présentent chacun huit structures locales et deux numéros nationaux : Fil santé jeune et le 3114 (Numéro national de prévention du suicide). Un format « carte de crédit » a récemment été ajouté, afin que les lycéens puissent la conserver dans leur portefeuille ou la coque de leur portable.
  • Un site internet : en plus des informations générales sur la santé mentale, les adolescents peuvent y retrouver les coordonnées des structures. Il est également utile aux professionnels qui recherchent des informations et les coordonnées à jour des partenaires, alors qu’il est parfois difficile d’appréhender l’organisation territoriale des acteurs et le rôle de chacun.

Principaux enseignements

Résultats observés

Satisfaction des élèves

Au cours de l’année 2022-2023, 1 663 élèves ont participé à l’intervention (ils seront environ 3 600 en 2023-2024) et 253 professionnels ont été sensibilisés. L’analyse des questionnaires anonymes avant/après l’intervention montre que les élèves sont majoritairement satisfaits ou très satisfaits de l’intervention (93 % des élèves en seconde professionnelle et CAP et 95 % des élèves en seconde générale et technologique). Les intervenants observent que la majorité des jeunes se montrent intéressés et font preuve de bienveillance durant les séances.

Évolution des connaissances et perceptions

La connaissance des structures ressources augmente de façon importante après l’intervention : par exemple, le pourcentage de jeunes de seconde professionnelle et CAP déclarant connaitre le Centre de planification et d’éducation familiale est passé de 26 % à 42 %. Concernant la stigmatisation, les résultats montrent également une évolution des perceptions. Le pourcentage d’élèves de seconde professionnelle et CAP répondant « faux » à l’affirmation « Les schizophrènes sont violents et dangereux » a ainsi évolué de 21 % à 56 %. De même, le pourcentage de lycéens de seconde générale et technique répondant « faux » à l’affirmation « Les bipolaires changent tout le temps d’humeur : ils sont en pleine forme et dans l’heure qui suit ils sont très mal » est passé de 25 % à 68 %.

Il faut toutefois noter que les scores post-intervention restent meilleurs chez les filles, les élèves ayant un indice de position sociale plus élevé et ceux ayant déjà un score pré-intervention élevé. La scolarité en seconde professionnelle était en outre associée à un score post-intervention plus faible par rapport à celui des lycéens de seconde générale ou technologique. Ces résultats sont concordants avec les travaux montrant que les interventions de prévention universelles (qui s’adressent de la même manière à tous) profitent davantage aux catégories sociales plus favorisées[8]. Si IDEO permet de faire évoluer les croyances et d’améliorer la connaissance des structures ressources, il ne peut en effet permettre à lui seul d’agir sur le gradient social de santé.

Liens partenariaux

IDEO permet aux différentes structures du territoire en lien avec la santé mentale des jeunes d’être mieux repérées par les élèves, mais aussi par les professionnels sensibilisés au cours du projet. D’autres éléments sur les orientations vers ces structures pourront compléter cette évaluation dans les années à venir. Les retours des partenaires sont toutefois favorables et les porteurs du projet observent que l’intervention a des effets positifs plus globaux sur l’interconnaissance entre partenaires et sur les liens entre la pédopsychiatrie et les structures médico-sociales et éducatives. Ces liens sont essentiels pour la cohérence du parcours des jeunes et le repérage précoce des troubles psychiques.

Freins et leviers

Figure 10 – Synthèse des leviers, points de vigilance et freins du projet IDEO

Le schéma ci-dessous synthétise les principaux freins, points de vigilance et leviers détaillés au sein de la fiche ou complémentaires.

Perspectives

  • Élargissement : la mise en œuvre du projet dans les collèges, et potentiellement à l’université, est envisagée.
  • Approfondissement : des évolutions sont actuellement réfléchies afin de mieux prendre en compte les spécificités des établissements. De plus, afin de s’inscrire pleinement dans la promotion de la santé et agir sur les inégalités sociales de santé, les acteurs d’IDEO et l’Ireps pourraient envisager d’accompagner les établissements volontaires à se saisir du projet pour agir de manière plus globale, en intégrant la promotion de la santé mentale de manière durable dans leur politique d’établissement.
  • Reproductibilité : plusieurs départements sont intéressés pour mettre en œuvre le projet sur leur territoire, ce qui nécessite de bien décrire les dimensions transférables et celles qui sont à adapter à chaque nouveau contexte de mise en œuvre.

Henri, J.-P et Ramblière, L. Posture éducative et messages en santé en éducation pour la santé. WEBIREPS#3. Promotion Santé Nouvelle-Aquitaine. Webireps #03 Posture éducative et Message en santé en Education pour la Santé – Ireps (irepsna.org)

[1] Malla, A., Roy, M.-A., Abdel-Baki, A., Conus, P. et McGorry, P. (2021). Intervention précoce pour les premiers épisodes psychotiques d’hier à demain : comment relever les défis liés à son déploiement pour en maximiser les bénéfices ? Santé mentale au Québec, 46(2), 391-415. [En ligne]

[2] Kahn J.-P. et Queruel, N. (2019). Démontrer qu’il existe des méthodes efficaces de prévention du suicide. Santé en Action, 450, 31-32. [En ligne]

[3] Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé Auvergne-Rhône-Alpes (IREPS ARA). (2023). Le partenariat en promotion de la santé : ce qu’il recouvre, ce qu’il produit et le faire vivre en pratique. Repères en prévention et promotion de la santé. [En ligne]

[4] Santé publique France. (2022, 17 janvier). Santé mentale des enfants et adolescents : un suivi renforcé et une prévention sur-mesure. Santé mentale des enfants et adolescents : un suivi renforcé et une prévention sur-mesure (santepubliquefrance.fr)

[5] Pullen-Sansfaçon, A. (2010). Réflexion sur la combinaison entre l’intervention de groupe et l’approche socratique en enseignement de l’éthique en travail social. Intervention, 2, 133, 5-13. [En ligne]

[6] Ministère des affaires sociales et de la santé, Fédération française de psychiatrie et Éducation nationale. (2013). Repérage précoce des signes de souffrance psychique et des troubles du développement chez l’enfant et l’adolescent. Guide de repérage. [En ligne]

[7] Patin, B. (2005). Le jeu de rôle : pratique de formation pour un public adulte. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 67-68, 163-17. [En ligne]

[8] Affeltranger B et al. Universalisme proportionné : vers une « égalité réelle » de la prévention en France ? Santé publique. 2018;HS1(S1):13-24