Présentation de l’intervention
Présentation des principales structures porteuses
La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) assure la prise en charge judiciaire des mineurs, et exerce à ce titre des missions d’action éducative dans le cadre pénal[1]. Il s’agit d’éduquer, de protéger et de favoriser l’insertion de ces mineurs en conflit avec la loi. Elle assure leur prise en charge dans différents services éducatifs, en établissements (de la PJJ ou du secteur associatif habilité) comme en milieu ouvert.
Issu d’expériences antérieures en Bretagne, le dispositif T.A.C. fait partie du lot de 6 actions du programme PJJ Promotrice de Santé intitulé « Action de prévention des addictions par le développement des compétences psycho-sociales des jeunes pris en charge par la PJJ en Grand Ouest » créé et porté à partir de 2016 par la Direction Interrégionale de la PJJ Grand Ouest (DIRPJJ GO) avec l’IREPS Pays de la Loire, mis en œuvre grâce au soutien de la MILDECA.
Les outils et les contenus du module du dispositif T.A.C. ont été élaborés en partenariat avec un opérateur de prévention, partenaire de longue date de la PJJ dans le territoire de l’Ille-et-Vilaine : l’association Liberté Couleurs, qui intervient dans le domaine de la prévention des conduites et comportements à risques chez les jeunes en Bretagne[3].
Chaque dispositif T.A.C. est mis en œuvre conjointement par une structure PJJ locale, soit une unité éducative en milieu ouvert (UEMO) ou un établissement[4], et un opérateur de prévention ou de santé. Il s’agit d’un opérateur implanté localement, qui aujourd’hui n’est plus systématiquement Liberté Couleurs et peut être un CSAPA (Centre de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie), un CJC (Consultation Jeune Consommateur), une association de prévention (Addictions France, etc.), etc.
Contexte
Les mineurs suivis par la PJJ sont confrontés, comme l’ensemble des jeunes adolescents français, « ni plus ni moins » selon T. Guiheneuc de Liberté Couleurs, à différentes problématiques liées à leurs consommations d’alcool, de cannabis et de tabac[5]. Les éducateurs de la PJJ travaillent ainsi régulièrement sur cette thématique avec les jeunes, « qui fait partie intégrante du travail à la PJJ » selon S. Rousselet. Le développement d’actions de prévention autour des conduites addictives au sein de la PJJ répondait ainsi à une problématique très présente sur le terrain.
Par ailleurs, plusieurs difficultés étaient repérées dès le début des années 2000 quant à l’accès des jeunes de la PJJ à la prévention et aux structures d’addictologie en Bretagne. Au-delà des freins liés aux représentations des jeunes sur les usages et/ou le soin en addictologie (refus d’envisager un recours au motif de ne pas être « un toxico »), d’importantes disparités territoriales existaient au niveau de l’offre. De plus, selon les territoires, les relations entre services de PJJ et acteurs de prévention étaient inégalement structurées, ce qui pouvait aboutir, en l’absence de partenariat établi, à des difficultés de parcours pour les jeunes (sans aller-vers des structures d’addictologie par exemple) ou de communication entre structures (au motif de la confidentialité). L’élaboration du dispositif de prévention a permis de travailler le lien entre les 2 secteurs dans différents contextes à l’échelle de la région.
Objectifs
L’objectif du dispositif T.A.C. est de déclencher chez les jeunes participants un processus de réflexion sur leurs consommations de tabac, alcool et cannabis, un processus de responsabilisation et une réflexion autour de la réduction des risques vis-à-vis de ces produits. Une finalité supplémentaire pour les professionnels PJJ est que le dispositif permette de renforcer le suivi éducatif du jeune.
En impliquant les professionnels de la PJJ dans la coanimation, le dispositif T.A.C. permet également de faire monter en compétence les éducateurs dans les champs de la promotion de la santé et de l’animation collective. En cela, le déploiement du dispositif T.A.C. contribue à transformer les pratiques et les postures des professionnels PJJ.
Ces 2 niveaux seront explorés dans le cadre de cette fiche, à travers une double question de capitalisation. D’une part, en étudiant comment le dispositif T.AC permet de renforcer un processus de responsabilisation des jeunes suivis par la PJJ, notamment vis-à-vis des consommations de produits, puis en restituant le processus d’élaboration puis de déploiement du dispositif au sein de l’interrégion Grand Ouest.
Calendrier et principaux acteurs
Principaux éléments saillants
Caractéristiques du dispositif T.A.C.
Le dispositif TAC s’intègre à la prise en charge globale du mineur. Pour S. Rousselet, T.A.C. a bien l’ampleur d’un dispositif, car il consiste en un « système de ressources qui s’articulent », à savoir :
- un module en 4 étapes, articulant 2 séances collectives et 2 étapes de suivi individuel entre un jeune et son éducateur référent, auquel peuvent participer une dizaine de jeunes par groupe.
- des documents pédagogiques, outils et supports d’animation : ils peuvent être appropriés et adaptés dans différents contextes par les animateurs du module, et peuvent également être repris par les acteurs de la PJJ comme outils en dehors du module (« Où en-es-tu ? »). Pour Thomas Guiheneuc, les outils proposés par T.A.C. sont des « suggestions de médias d’intervention ». Ainsi, les objectifs de chaque étape peuvent être atteints sans mobiliser les outils si le contexte s’y prête et/ou que les professionnels sont expérimentés.
- une ingénierie de projet et de formation, afin que le déploiement de T.A.C. s’appuie sur la formation-action de binômes PJJ – opérateurs de prévention, qui seront les futurs animateurs des séances collectives. Ce volet sera détaillé dans la partie suivante.
Jusqu’à 3 sessions du dispositif peuvent être organisées par an dans une structure donnée.
Trois acteurs portent la mise en œuvre du dispositif dans une structure PJJ. T.A.C. est coanimé par un binôme composé d’un professionnel PJJ référent T.A.C. et d’un professionnel travaillant pour un opérateur de prévention. Au sein de la PJJ, les éducateurs référents des jeunes sont également mobilisés afin d’orienter les jeunes suivis vers le dispositif TAC et assurent les étapes 1 et 4 du dispositif. Il est intéressant que l’éducateur PJJ coanimateur ne soit pas aussi le référent des jeunes du groupe, afin de ne pas jouer plusieurs rôles lors de l’animation collective. Le dispositif repose ainsi sur 2 principes forts :
- animer T.A.C. en binôme, en mutualisant l’expérience éducative de professionnels de la PJJ et celle des opérateurs de prévention (qui ont notamment une expérience d’animation d’ateliers).
- permettre aux professionnels de la PJJ d’être investis dans la coanimation des séances et de participer aux interactions durant ces séances, en étant formés et outillés.
De plus, le dispositif a été élaboré en visant à placer les jeunes en position de réfléchir et d’agir sur leurs propres conduites, en les considérant comme des sujets actifs. Cette posture, ancrée dans les approches de promotion de la santé, marque une rupture avec des approches antérieures plus passives (interventions magistrales) et plus descendantes en matière de prévention auprès des jeunes.
Outils mobilisés dans l’accompagnement individuel des jeunes (étape 1 et 4)
L’outil « Où en es-tu ? » est une pierre angulaire du dispositif T.A.C. et permet de faire avec le jeune un bilan de sa situation personnelle.
Il est conçu sous forme d’une grille que le jeune parcourt et complète seul, en présence de son éducateur référent mais sans passation d’entretien descendant. Quatre volets thématiques sont explorés : 1/ son état de bien-être physique et mental actuel (sommeil, alimentation, estime de soi, etc.), 2/ ses relations familiales, sociales et affectives, 3/ ses consommations (tabac, alcool, cannabis mais aussi produits, écrans etc.) et enfin 4/ sa place dans la société. Ce dernier item permet d’aborder différents sujets en lien avec des problématiques au cœur de l’action éducative menée à la PJJ : le rapport à la loi, à l’argent, l’engagement citoyen, etc. Après l’auto-diagnostic, un échange avec l’éducateur référent permet de confronter l’appréciation faite par le jeune avec celle du professionnel, de mettre en évidence les liens entre les observations faites sur les différents volets, d’identifier d’éventuelles interdépendances et de formuler avec le jeune une entrée sur laquelle travailler en priorité. Cela peut-être, par exemple, le lien entre des consommations et des problèmes affectifs.
L’outil est mobilisé à 2 étapes du dispositif : en amont des séances collectives, afin de confirmer l’orientation du jeune vers ce dispositif (évaluer s’il existe des difficultés majeures à son intégration dans des ateliers collectifs, cf. principaux enseignements) et à la toute fin du parcours, afin de faire le point sur son évolution.
L’outil « Qu’en dis-tu ? » est un questionnaire qui comporte 15 items, qui peuvent être adaptés à tout produit, et aborde les pratiques de consommation (fréquence, modalités et situations), les effets recherchés de ces consommations et l’analyse du rapport au produit (risques et dommages, dépendance, etc.). Il vise à qualifier la réalité des consommations mais aussi l’aptitude du jeune à participer au dispositif T.A.C. (sincérité vis-à-vis des déclarations, maturité suffisante) et contribuer positivement au groupe. Il a été élaboré à partir du questionnaire module cannabis (voir partie suivante) et du « Guide pratique Cannabis OFDT » (3).
L’outil « Qu’en gardes-tu ? » sert à évaluer l’évolution personnelle du jeune et les apports des séances collectives (apports d’informations sur les produits, leurs effets, la loi, obtention d’informations utiles pour changer, prise de contacts et rencontres utiles).
Séances collectives : supports d’animation et posture des animateurs (étapes 2 et 3)
Les séances collectives (étapes 2 et 3) sont coanimées par un binôme PJJ/opérateur de prévention. Le support d’animation « Qu’en penses-tu ? » se compose d’un jeu de 10 cartes qui permettent de travailler sur les représentations sociales liées aux produits et aux consommations avec les jeunes : leurs représentations autour de la toxicité ou la nocivité des différents produits, les normes sociales associées, de leurs effets sur l’organisme, sur les normes sociales associées. L’outil « Que fais-tu ? » vise à aborder la notion de responsabilité avec les jeunes, à travers 7 situations toujours en lien avec les produits ou leur consommation. La médiation par les cartes permet aux jeunes d’aborder des situations sans parler d’eux directement.
Qu’en penses-tu ? Chacune des cartes propose au recto une phrase formulant une affirmation et au verso des outils pour l’animateur : rappel de l’objectif, mots-clés et pistes d’échanges avec les jeunes lors de l’animation. Les 10 thèmes abordés sont : 1. « Les cigarettes classiques sont moins nocives que les roulées » 2. « Le cannabis ne provoque pas de dépendance » 3. « Plus on boit et mieux on tient » 4. « On s’amuse mieux dans une fête quand il y a de l’alcool » 5. « On drague mieux quand on a bu de l’alcool » 6. « L’herbe c’est naturel, c’est donc moins dangereux que le shit » 7.« On peut faire une overdose de cannabis » 8. « Un joint, ça ne se refuse pas » 9. « Le shit, c’est pas plus mauvais que l’alcool » 10. « Avec de la volonté, on peut facilement s’arrêter de fumer » |
Que fais-tu ? Ces cartes présentent une illustration évocatrice d’une situation pour amorcer un échange. Les 7 situations proposées concernent : – l’influence sur et la responsabilité vis-à-vis des plus jeunes, à travers 2 cartes mettant en scène des enfants à qui l’on tend une cigarette ou un jeune frère qui roule un joint. – la responsabilité vis-à-vis des personnes en danger, à partir de 2 illustrations, l’une mettant en scène une jeune fille assoupie une bouteille à la main, manifestement ivre et inconsciente (que faire, la suivre ou pas ? intervenir si d’autres la suivent ?) ou une illustration évoquant une overdose. – les conséquences des consommations (et éventuellement de la détention de produits etc.) sur l’entourage. – le rôle du groupe et de la pression sociale sur les consommations. – les conséquences sur les relations sociales ou affectives (carte illustrant des tensions au sein d’un couple). |
Travailler sur les 3 produits (tabac, alcool et cannabis) permet d’aborder avec le tabac les notions de dépendance ou de responsabilité en dehors des enjeux liés aux effets psychoactifs des substances (modification de conscience, effets des produits) ou des enjeux de posture (rébellion, rapport à la loi, etc.). De plus, les séances collectives du module ne traitent pas spécifiquement de l’enjeu judiciaire (peines encourues, suivi judiciaires des jeunes, etc.), pour les consommations d’alcool et de cannabis.
Le déroulé d’une séance collective est souple et dépend de la façon dont les professionnels choisissent de s’en saisir, mais aussi de ce qu’apportent les jeunes. La possibilité de choisir des cartes sans lien avec des infractions pénales (ou au contraire en lien avec un délit) permet aux animateurs une meilleure gestion de la dynamique des échanges en fonction de leurs objectifs de travail et de la situation du groupe de jeunes. Ainsi, à ces 2 étapes, les jeux de cartes ont vocation à être un support d’animation : les professionnels peuvent choisir de quelles cartes se saisir en fonction des besoins exprimés par le groupe, des besoins repérés par les éducateurs référents et communiqués en amont, et de l’appétence et/ou de la confiance de ces professionnels à traiter une problématique plutôt qu’une autre (ne pas aborder certaines cartes plus « fortes », comme celle ouvrant à des échanges sur le viol par exemple).
Postures et compétences mobilisées
Une grande attention est portée au rôle et à la posture de chacun des membres du binôme d’animation. Laposture doit être confortablement partagée entre les 2 animateurs.
Le professionnel PJJ référent du dispositif participe à l’animation des séances collectives au même titre que le professionnel expert de la prévention. Cette posture d’animation d’atelier n’est pas habituelle pour l’ensemble des professionnels de la PJJ, les fonctions de certains d’entre eux (notamment des éducateurs) étant davantage tournées vers des entretiens individuels. Ce professionnel a accès à des informations détaillées sur les jeunes qui participent (histoires personnelles, points clés du suivi éducatif, points de vigilance repérés par leurs éducateurs référents, etc.), remontées des collègues de la structure PJJ dans le respect du secret professionnel, ce qui lui permet de préparer les objectifs, le choix des thématiques et d’adapter le déroulé des séances avec le partenaire. Il assure aussi le rôle de coordinateur du dispositif, assure le montage d’une session, coordonne le recrutement des jeunes, supervise les aspects logistiques de leur participation (transports, etc.) avec les professionnels du service ou de l’établissement.
La juste posture de l’opérateur de prévention est également cruciale : il s’agit de ne pas reproduire une posture d’intervenant extérieur, qui vient présenter une information qu’il délivre seul avec un discours d’expert, descendant, et où son binôme PJJ serait cantonné à un rôle de gardien de la discipline.
Enfin, la place des éducateurs référents de chaque jeune est confortée et renforcée, puisqu’ils sont impliqués en amont et en aval des séances collectives, ce qui permet de créer une continuité dans le suivi.
Mobilisation du public
La participation se fait sur la base du volontariat, qui est forcément complexe à la PJJ puisque l’ensemble des mineurs sont suivis sous mandat judiciaire. Dans le cadre du dispositif T.A.C., l’éducateur travaille à l’implication du jeune, à sa motivation. Les jeunes inscrits ne sont pas forcément suivis par la PJJ pour des faits liés aux produits (consommation, trafic, etc.). L’orientation vers T.A.C. est appréciée avec l’éducateur référent d’un jeune et ne résulte pas nécessairement d’une décision judiciaire : elle s’inscrit dans le travail du service éducatif, en pluridisciplinarité (éducateurs, psychologue, assistant de service social, etc.), afin de construire la réponse adaptée à la situation singulière du jeune.
Veiller à bien composer le groupe est un levier de réussite du dispositif. Cela consiste notamment à recruter un groupe pas trop nombreux, composé de jeunes d’âge ou de niveau de maturité proches, à la personnalité ouverte aux échanges, coopérative et sans que leurs différentes histoires personnelles ne soient sources de conflits. Le travail à l’étape 1. doit permettre d’explorer ces différentes dimensions, et fait l’objet d’un partage entre l’éducateur référent du jeune et l’éducateur coanimateur du dispositif T.A.C.
Plusieurs éléments renforcent la mobilisation des jeunes, comme l’ont montré les retours satisfaits des jeunes jusqu’à présent : leur participation active, le fait « d’être considérés comme des êtres qui pensent » selon le retour d’expérience rapporté par T. Guiheneuc, la garantie de la discrétion des échanges, essentielle pour lutter contre des effets de réputation et à laquelle veille le coanimateur PJJ, etc.
Articuler objectifs éducatifs et objectifs de promotion de la santé
La notion de responsabilité, apportée par le champ de la prévention, permet de travailler positivement avec les adolescents. L’approche par la responsabilité permet de restaurer la personne en situation de culpabilité selon le cadre pénal. Ainsi, travailler la notion de responsabilité à partir de situations fictives permet de développer les compétences d’analyse et d’expression des jeunes (compétences psycho-sociales), sans que les échanges ne deviennent un groupe de parole.
En pratique, le binôme d’animation travaille au renforcement des CPS en sélectionnant des objectifs spécifiques à un groupe donné (choix des thématiques et des cartes traitées etc.). Il s’agit notamment pour l’animateur PJJ de trouver un équilibre entre les objectifs éducatifs individuels de chacun des jeunes, dont lui a connaissance, et l’objectif du groupe dans l’animation.
Élaboration et déploiement du dispositif T.A.C. au sein de la PJJ Grand Ouest
Bilan des expériences antérieures
Le dispositif T.A.C. est issu d’une longue démarche d’élaboration itérative et participative. Plusieurs expériences à partir du sujet du cannabis ont ouvert la voie à plusieurs modules et expérimentations abordant les questions de prévention et de conduites addictives avec les jeunes de la PJJ dans le territoire de Bretagne, plus précisément de l’Ille-et-Vilaine (cf. Tableau 1).
Module Cannabis 2002 – 2012 Structure : Services PJJ Ille-et-Vilaine Pilotage PJJ : Milieu ouvert Ille-et-Vilaine | Sujet : Cannabis principalement Format : Animation de 3 séances collectives par un médecin du CSAPA. |
// | Enseignements tirés : plusieurs problèmes de conception du module sont relevés : – Manque d’interactivité : le module et la posture du médecin, informative et descendante, peu adaptée aux jeunes. – Mobilisation des jeunes : assiduité des jeunes difficile à maintenir dans la durée pour 3 séances et manque de préparation des jeunes. – Partenariats : volonté d’associer des CJC et CSAPA à la troisième séance pour faire connaitre les structures mais difficultés dans le partenariat pour concrétiser leur présence. – Place des éducateurs PJJ : présence d’un éducateur lors des séances, mais dont le rôle se limite à faire la discipline. Aucune place pour les éducateurs référents des jeunes Bilan : L’intervention reposait sur les savoirs et outils des intervenants extérieurs qui déroulaient le programme essentiellement descendant. L’articulation insuffisante entre les différents acteurs conduit à un délitement de l’action, faute de véritable « logique de partenariat ». |
Module « Puisqu’on le dit ! » 2013 – 2016 Structures : – UEMO de Saint-Malo – Foyer de Lorient Pilotage PJJ : DT Ille-et-Vilaine / Côtes d’Armor | Sujet : ensemble des conduites addictives, dans l’objectif non plus seulement de transmettre des informations, mais de faire se confronter les représentations autour des consommations. Format retravaillé : coanimation avec le partenaire de prévention Liberté Couleurs Basculement au format de 2 séances collectives Investissement du suivi individuel en amont et aval des séances collectives avec les éducateurs référents des jeunes Intégration d’une séance collective sur le thème « responsabilité en situation de risque » Création de l’outil « Où en es-tu ? » Transformation de l’outil « puisqu’on le dit ! » en « qu’en penses-tu ? » |
// | Le déploiement de « Puisqu’on te dit » a été facilité à l’UEMO Saint-Malo du fait de l’expérience précédente. Enseignements tirés : les évolutions apportées par rapport au module précédent sont évaluées positivement. Toutefois : – Persiste un problème de partenariat avec les acteurs du soin (pour des orientations et/ou une prise en charge à l’issue du temps passé avec les jeunes de la PJJ). De plus, le constat est fait de grandes disparités d’accès à ce type de structures entre territoires en Bretagne.Dès 2017, T. Guiheneuc observait que les éducateurs de la PJJ étaient en demande d’une place plus importante dans l’animation et que simultanément, « les intervenants en promotion de la santé ne souhaitaient pas ou plus être dans la posture de seuls détenteurs du savoir ». |
Laurent Goislard, conseiller technique à la Direction Territoriale de la PJJ en Ille-et-Vilaine, a participé à l’élaboration et l’évolution de plusieurs de ces expériences antérieures et en est le « témoin historique ». Au tournant des années 2000, les ateliers collectifs restaient une modalité d’intervention peu connue et pratiquée à la PJJ. De plus, « travailler sur les « CPS », les compétences psychosociales, des jeunes ne voulait pas dire grand-chose pour les professionnels de la PJJ à l’époque » rappelle L. Goislard. L’intervention en train de prendre forme constitue donc une innovation importante, dans un champ nouveau pour la PJJ, celui de la promotion de la santé. Ces expériences ont permis de constituer un capital sur lequel s’est appuyé le travail d’élaboration du kit pédagogique et du dispositif T.A.C.
Élaboration et déploiement du dispositif T.A.C.
En 2016, le comité de pilotage régional “PJJ Promotrice de Santé“ en Bretagne valide l’élaboration d’un kit pédagogique d’animation pour le dispositif T.A.C., issu des expériences antérieures.
Création du T.A.C. 2016 – 2019 Pilotage : DT Ille-et-Vilaine / Côtes d’Armor DIRPJJ Grand Ouest | La formalisation du kit pédagogique est lancée avec des groupes de travail pluriprofessionnels, associant les professionnels des premières expériences (PJJ et acteurs de la prévention) et les conseillers techniques de la PJJ. N’ont pas participé ce groupe de travail de jeunes de la PJJ. Le kit d’animation a été édité en 2019. L’élaboration du kit s’est accompagnée du développement d’une ingénierie de projet afin de déployer le dispositif sur d’autres structures PJJ, portée par la direction inter-régionale Grand-Ouest. |
Déploiement du T.A.C. À partir de 2019 Pilotage : Equipe projet du T.A.C. DIRPJJ Grand Ouest Liberté Couleurs | Création d’un dispositif de formation et de sensibilisation pour implanter le dispositif, animé en partenariat par Liberté Couleurs et la DIRPJJ Grand-Ouest. La formation est ouverte à des binômes déjà constitués, composés d’un ou 2 professionnels d’une même structure PJJ et d’un partenaire de prévention, afin de pouvoir mettre œuvre rapidement un dispositif TAC dans la structure (interconnaissance avec le partenaire pendant la formation, soutien hiérarchique, professionnels volontaires, inscription de l’action dans une dynamique de service). Le kit est libre d’usage pour les structures qui se forment, y compris pour les opérateurs de prévention. |
// | Déploiement de la formation tout d’abord à l’échelle du bassin de Saint-Malo, puis en Bretagne, puis Grand Ouest (2020-2021). Ouverture à l’échelle nationale à partir de 2022. Implantation nécessitant une mobilisation à différents niveaux : professionnels de terrain de la PJJ, cadre de la structure (garant de la programmation de l’action), direction territoriale / conseiller technique en promotion de la santé (facilitateur de partenariat de prévention, financement) etc. Enseignements tirés : – Milieu ouvert ou établissement : l’organisation du T.A.C. dans un établissement de placement éducatif (EPE) à Lorient, i.e. une structure avec hébergement des jeunes placés, a mis en lumière plusieurs difficultés. Le groupe constitué de l’ensemble des résidents incluait des jeunes qui n’étaient pas prêts ou n’adhéraient pas à la dynamique de T.A.C. (participation contrainte). L’animation des séances collectives a été tributaire de la météo générale de l’établissement, d’autres enjeux liés à la vie en communauté sur site venant parasiter les échanges prévus aux étapes 2 et 3. De plus, les échanges étaient très vite personnalisés (consommations et deal de certains jeunes, connus de tous) et les objectifs de T.A.C. étaient alors dévoyés. A contrario, deux autres expériences ultérieures dans un centre éducatif renforcé (CER) et une unité éducative d’hébergement collectif (UEHC) en Haute Normandie ont été fructueuses. Dans ces structures avaient été recréée une liberté de constitution de groupe, permettant d’exclure certains jeunes de l’établissement du groupe constitué pour le dispositif, voire d’accueillir des jeunes extérieurs pour les séances collectives (d’autres établissements ou du milieu ouvert). – Mobilisation de l’ensemble des équipes : les expériences d’implantation du dispositif montrent que les éducateurs référents hors du binôme d’animateurs jouent un rôle primordial à la fois dans la constitution du groupe de jeunes, la facilitation de leur participation (gestion des déplacement, rappel des rendez-vous etc.) et la prise en considération des acquis du dispositif dans la suite de la prise en charge du mineur (étape 4, accompagnement éventuel vers un partenaire etc.). Afin de faciliter la connaissance du dispositif par les membres des équipes, une vidéo de présentation du TAC a été créée en 2022 pour sensibiliser les équipes. |
La stratégie de déploiement du dispositif T.A.C. est la suivante :
- Une formation conjointe en binôme (ou en trinôme) des futurs animateurs du dispositif T.A.C. dans une structure locale donnée. L’opérateur de prévention partenaire localement d’une structure de PJJ où s’implante le dispositif participe ainsi à une session en même temps que 1 à 2 éducateurs. Ce temps de formation permet l’appropriation du dispositif et l’interconnaissance des acteurs.
- La construction d’un partenariat rapproché et de long terme entre les structures de la PJJ dans lesquelles s’implante le dispositif T.A.C. et les opérateurs de prévention propres à chaque structure.
- La mobilisation des équipes de la structure PJJ en amontde T.A.C., à la fois en amont de l’implantation de T.A.C. dans cette structure et en amont de l’organisation d’une session du dispositif, en sensibilisant l’ensemble des professionnels à l’existence et l’intérêt éducatif de T.A.C en amont de son implantation et à la possibilité de proposer aux jeunes une participation au dispositif T.A.C. parmi l’éventail d’actions éducatives possibles et de leur présenter des outils qu’ils pourront s’approprier.
La formation au dispositif T.A.C.
Voici ses principales caractéristiques :
Inscriptions : Il est demandé que les professionnels s’inscrivent par trinôme à la formation : 2 professionnels PJJ (ce qui permet de ne pas être isolé dans le service pour explique le dispositif aux collègues etc.) et 1 partenaire de prévention. L’animation des séquences collectives se réalise par binôme (les retours d’expérience montrent que certains professionnels animent les séquences collectives en trinôme, en particulier lorsque des enjeux particuliers sont présents dans la gestion du groupe de jeunes).
Format : Elle consiste en 2 x 3 jours de formation (2 x 4 demi-journées au total) et s’organise en 3 temps :1/ Première séquence : mise en immersion et expérimentation de la coanimation du dispositif en trinômes.2/ Expérimentation du dispositif par chaque trinôme dans leur structure 3/ Seconde séquence : retour d’expériences (ex : analyse des interactions qui ont eu lieu avec les jeunes, etc.) et réflexions sur les facteurs de réussite pour l’implantation de l’usage du dispositif T.A.C. par ce trinôme dans cette structure.
Elle peut accueillir et former jusqu’à 6 structures ou binômes par session.
Objectifs : la formation ne vise pas à transmettre des connaissances sur le tabac ou les autres produits, il s’agit d’un prérequis attendu de l’opérateur de prévention qui apportera cette expertise dans la coanimation.La formation permet :
– de développer une culture commune autour de la prévention/promotion de la santé et des problématiques des jeunes PJJ
– de développer l’interconnaissance entre futurs coanimateurs
– de découvrir le kit et d’apprendre à le manier, en développant des compétences d’animation collective
– de s’approprier le kit et discuter ensemble des points forts et des points faibles de chacune des cartes proposées pour l’animation collective, au regard d’objectifs identifiés pour un groupe donné (par exemple, quelle fiche permet de parler des prises de risques en soirée ou des enjeux familiaux, etc.) et au regard des appétences des animateurs (anticiper qu’une carte/une thématique peut mettre en difficulté un des animateurs).
Se former ensemble permet d’élaborer les objectifs d’une session, articulant objectifs de prévention et objectifs éducatifs.Se former ensemble permet également aux professionnels de travailler leurs postures :acquisition detechniques d’animations collectives pour les uns, posture de co-animation pour l’autre.
Principaux enseignements
Résultats observés
La PJJ n’évalue pas l’impact de la participation à T.A.C. des jeunes sur leurs comportements de santé ou vis-à-vis des produits, une évaluation des évolutions à moyen terme étant de toute façon impossible au regard du temps du mandat judiciaire et du suivi PJJ.
Les professionnels de la PJJ observent davantage son impact en matière de responsabilisation des jeunes participants : la participation au dispositif a-t-elle permis d’amorcer un travail réflexif du jeune ? L’éducateur référent peut-il constater des effets positifs dans le comportement du mineur (prise de recul sur ses consommations, prise de conscience de leurs impacts sur différents pans de sa vie personnelle ou affective, appétence pour un changement, etc.) ? Un parcours illustratif d’une participation réussie est celui d’un jeune, sous mesure de suivi PJJ pour des faits de violence (complicité d’agression), à qui T.A.C. a permis de réfléchir au rôle de l’alcool vis-à-vis des dynamiques de groupes auxquelles il participe et selon son référent, de faire évoluer son rapport aux faits reprochés, vers une empathie pour la victime. Les éducateurs constatent également que la participation à T.A.C. permet une libération de la parole dans les suivis et renforce leur aisance à s’exprimer sur ces sujets (comme y contribuent d’autres interventions de développement des CPS). Une participation assidue est également appréciée positivement dans le cadre d’un bilan d’un suivi PJJ.
Les pilotes de l’équipe projet relèvent 2 autres résultats. D’une part, T.A.C. permet aux jeunes de découvrir des structures de prévention ou de santé (CSAPA, etc.), c’est-à-dire des ressources locales qu’ils peuvent solliciter, ou pourront le faire ultérieurement, en cas de difficultés avec leurs consommations. D’autre part, les temps des séances collectives offrent des espaces d’échanges entre jeunes, propices à des discussions de pair à pair sur leurs pratiques et leurs connaissances en addictologie, sur leurs stratégies de réduction des risques. Les effets du dispositif s’inscrivent pleinement dans une perspective de promotion de la santé, qui bénéficieront aux jeunes au-delà du temps passé en suivi PJJ et qui peuvent bénéficier à toutes et tous.
Un dispositif adapté à l’environnement PJJ
Pour S. Rousselet, le dispositif est « adapté aux contraintes de l’environnement [PJJ] », ce qui en fait sa force :
- Le déroulé resserré de 2 séances collectives correspond bien au niveau de disponibilité des jeunes, à la temporalité courte du suivi PJJ, c’est-à-dire à la contrainte du mandat judiciaire, mais également à la disponibilité des éducateurs dans les structures.
- La souplesse d’usage du dispositif, appuyée par la formation des intervenants, permet d’adapter et de personnaliser les objectifs d’une session aux besoins des jeunes participants.
- L’ingénierie de projet développée, et l’appui des conseillers techniques en promotion de la santé des directions régionale et territoriales de la PJJ, permet de mettre en œuvre le T.A.C. dans des contextes variés et de s’adapter à l’hétérogénéité des structures PJJ et des partenaires locaux.
L’expérience des premières années de déploiement de T.A.C. a permis à l’équipe projet d’établir plusieurs points de vigilance pour assurer le bon déroulement du T.A.C. dans une structure (schéma 3.).
T.A.C. : un effet levier pour incorporer outils et approches de promotion de la santé à la PJJ
Certains outils développés avec T.A.C. sont par ailleurs appropriés et mobilisés par des éducateurs de la PJJ pour des usages autonomes. C’est le cas pour l’outil « Où en es-tu ? », pour lequel les retours reçus montrent une diffusion parmi les professionnels PJJ et une utilisation auprès des mineurs indépendamment du dispositif T.A.C. Suzanne Rousselet évoque des « retours importants de collègues » et des demandes d’accès à l’outil indépendamment du dispositif T.A.C. : « des collègues [nous disent] utiliser ce document – qui est tout ‘bête’ mais qui est très efficace – de façon totalement autonome pour faire le point avec les jeunes, quand ils débutent un accompagnement éducatif. C’est un support qui leur permet de médiatiser l’échange ».
T.A.C. contribue ainsi à une évolution des postures professionnelles au sein de la PJJ et au renforcement des compétences de ces professionnels (animation collective, approches de promotion de la santé, écoute active, etc.) à plusieurs niveaux.
Freins et leviers du déploiement du module au sein de la PJJ
En 2021, 2 sessions de formations à T.A.C. ont été organisées auprès de structures en Grand-ouest, qui ont permis de former 35 personnes sur 9 sites différents. 100% de ces structures ont mis en œuvre des sessions du dispositif T.A.C. entre les 2 sessions de formation.
Implanter T.A.C. dans une structure et constituer un trinôme d’animateurs T.A.C. est un long parcours. Le déploiement de T.A.C. requiert de bien placer le dispositif, c’est-à-dire de veiller que les conditions soient réunies aux niveaux institutionnel et opérationnel. Cela repose sur un travail important de conviction et de mobilisation des équipes, et d’accompagnement de la part des DT PJJ et de la DIRPJJ GO.
Plusieurs leviers facilitant l’implantation du dispositif à l’échelle locale ont été identifiés par l’équipe projet :
Aujourd’hui, l’enjeu pour l’équipe projet du T.A.C. est de continuer à soutenir le déploiement et la mise en œuvre du dispositif en animant un réseau composé des structures formées.
Pour aller plus loin
- Demeulemeester R, Lafitte S, Ferron C. La Protection judiciaire de la jeunesse promotrice de santé. Une
ambition réaliste. Cah Dyn. 2016;70(4):41‑6. - Marchand‑Buttin F. Développer le pouvoir d’agir des jeunes : l’expérience de la Protection judiciaire de la
jeunesse. Santé En Action. déc 2018;(446):24‑5. - OFDT, Fédération Addiction. Guide pratique des principaux outils de repérage de l’usage problématique de
cannabis chez les adolescents [Internet]. 2013 janv [cité 8 juin 2022]. - Une capsule vidéo de présentation du dispositif a été créée en avril 2022
- Présentation du « dispositif TAC (tabac, alcool, cannabis), un outil de prévention et de réduction des risques liés aux consommations des mineurs pris en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) » par S. Rousselet.
- Corneloup M, Contant E, Millot I. Prévenir les addictions auprès des jeunes. Référentiel d’intervention régional partagé. Dijon: ARS Bourgogne Franche-Comté, IREPS Bourgogne Franche-Comté; 2018. 62 p.
[1] Pour en savoir plus : https://www.vie-publique.fr/eclairage/281885-pjj-expertise-educative-prise-en-charge-mineurs-delinquants
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Plaquette_PJJ_A5_HD_web.pdf
[2] Pour en savoir plus : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/La_PJJ_promotrice_de_sante.pdf et références en bibliographie.
[3] Pour en savoir plus : http://www.libertecouleurs.org/
[4] Les UEMO sont les services qui assurent le suivi des jeunes non placés (environ 2/3 des jeunes), tandis que les établissements de placement PJJ sont les structures qui hébergent des jeunes en suivi : établissement de placement éducatif (EPE), centre éducatif fermé (CEF), centre éducatif renforcé (CER), etc.
[5] La dernière enquête de l’INSERM, en date de 2004, pointait une surexposition des jeunes aux conduites addictives, en particulier pour le cannabis : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/054000712.pdf