Présentation de l’intervention
Contexte
Les cancers (sein, colorectal, col de l’utérus) font l’objet d’une attention particulière car leur dépistage réduit les risques de mortalité. Même si les taux de participation au dépistage sont stables depuis plusieurs années, la Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) est une des régions de France ayant les taux les plus faibles[1]. Les publics vulnérables du fait de leur situation (handicaps, incarcération, précarité) sont plus à même d’avoir une perte de chance en matière de dépistage. Le projet s’inscrit dans le cadre du Plan Cancer 2014-2019 dont l’une des actions (1.7) est de lutter contre les inégalités d’accès et de recours aux programmes de DO[2].
Présentation des acteurs : Le promoteur principal
Le Comité Départemental d’Education pour la Santé du Var – CODES 83 – (association loi 1901) est membre de la FNES (Fédération Nationale d’Éducation et de promotion de la Santé). Il a pour mission d’être relais sur son territoire des programmes nationaux d’éducation pour la santé, en adéquation avec les problématiques territoriales, d’être un espace ressource pour les professionnels de son territoire mettant en œuvre des actions, de participer à l’expertise de terrain en matière de besoins de santé des populations en concordance avec les évaluations territoriales institutionnelles, de favoriser la concertation entre les acteurs et de coordonner le déploiement d’actions.
Présentation des acteurs : Les partenaires associés
Le CRCDC SUD PACA – Antenne du Var
L’antenne du Var du CRCDC[3] SUD PACA (ex-association ISIS 83), a en charge l’organisation des programmes de dépistages des cancers sur le département. Ses missions se caractérisent par la sensibilisation et l’information des publics concernés par les différents DO, l’information des professionnels sur leur mise en œuvre et assurer de manière qualitative leur déploiement. L’objectif est d’augmenter la participation des publics à ces DO en vue de réduire la mortalité de cette problématique de santé. L’antenne du Var est membre du comité de pilotage sur le 3 projets.
L’Unité Sanitaire en Milieu Pénitentiaire (USMP)
Les USMP ont pour missions la mise en œuvre de l’offre de soins et l’organisation de la prise en charge sanitaire des personnes détenues, conformément au code de la santé publique[4]. Ils sont rattachés aux établissements publics de santé. L’USMP du Centre Pénitentiaire de Toulon/La Farlède (CPTLF) est membre du comité de pilotage en vue de développer le projet au sein de son établissement pénitentiaire. L’USMP intervient sur la partie dédiée aux personnes détenues.
Les autres partenaires
D’autres partenaires sont mobilisés en fonction des publics cibles :
- L’administration pénitentiaire du CPTLF, pour ce qui relève des personnes détenues.
- Des maisons d’accueil spécialisées (MAS), des Foyers d’Accueil Médicalisé (FAM), des établissements ou services d’aides par le travail (ESAT), des foyers d’hébergement (FH) ou occupationnels (FO), pour ce qui relève des personnes en situation de handicap.
- Des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS), des centres sociaux, des pensions de famille, des résidences sociales, des associations, pour ce qui relève des personnes en situation de précarité.
Architecture du projet
Le CODES 83 organise ses actions en fonction des différents publics en situation de vulnérabilité[5].
- Un « volet » dédié à la santé en milieu carcéral, auprès des personnes détenues, sur des thématiques comme les troubles psychiques, le pouvoir d’agir en santé, le sport.
- Un « volet » dédié à la santé des personnes en situation de précarité abordant notamment l’équilibre alimentaire.
- Un « volet » dédié à la santé des personnes en situation de handicap, abordant les questions de nutrition, de parcours de soins, de loisirs et de vie affective et sexuelle.
Dans chacun de ses volets, des actions dédiées au DO des cancers sont menées.
Objectifs, cibles & stratégies
Principaux éléments saillants
Émergence du projet
En 2009, une étude du Centre Régional d’Etudes, d’Actions et d’Informations[6] en faveur des personnes en situation de vulnérabilité a mis en évidence la sous-utilisation des outils de dépistage au sein des ESMS. Une enquête du Comité Régional d’Education pour la Santé (CRES) auprès des publics en situation de précarité identifiait des problématiques spécifiques : complexité de l’accès au dépistage, barrière de la langue, nécessité d’utiliser des outils adaptés, etc. En 2012, les deux structures (CODES 83 et ISIS 83) ont donc répondu conjointement aux appels à projets de l’ARS PACA.
Pour le milieu carcéral, le CODES 83 intervenait déjà avec ISIS 83 sous la forme d’ateliers sur différentes thématiques. Leur état des lieux avait indiqué que le taux de recours au dépistage du cancer colorectal y était très faible (3%). Une des problématiques était l’accès au kit de dépistage. En 2014, la construction du projet en milieu carcéral s’est alors faite à 3 voix (CODES 83/ISIS 83/USMP) dans le cadre d’un appel à projets de l’Institut National du Cancer (INCa) financé sur 3 ans[7].
Élaboration du projet
Le projet sous sa forme actuelle est donc la conséquence d’un long processus alliant à la fois la mise en œuvre d’actions, des bilans produits par les acteurs les mettant en œuvre, des expertises externes, une volonté interne ou inter partenariale d’aller plus loin. Les temps de réponse aux appels à projets ou de financement (INCa ou CPO de l’ARS PACA) ont été l’occasion pour les acteurs, en concertation avec les partenaires financiers, de faire le bilan des activités produites et de déterminer les stratégies à mettre en œuvre. Cette formalisation a permis d’augmenter la lisibilité des rôles de chacun.
Stratégies mises en œuvre
Des ateliers auprès des publics
Les ateliers animés conjointement (CODES 83 / Antenne du VAR-CRCDC) se déploient comme suit :
En fonction des publics rencontrés, des éléments sont spécifiques à la poursuite de ces ateliers : Les personnes détenues rencontrées dans l’atelier sont orientées vers l’infirmier de la structure pour récupérer le kit de dépistage afin de pouvoir le réaliser. Une fois fait, celui-ci est remis au professionnel de santé et est transmis au laboratoire d’analyse. Les personnes rencontrées dans le cadre des sessions en CHRS peuvent demander, à l’issue des ateliers, qu’une invitation au dépistage leur soit imprimée. Pour les ESMS, l’intervention se fait uniquement au niveau des professionnels de la structure. Si un travail sur les représentations a lieu, un apport complémentaire sous forme de diaporama est exposé, avant d’ouvrir les échanges sur les modalités organisationnelles du dépistage dans les établissements. Le modèle de courrier et le kit de dépistage sont aussi présentés avec pour but de permettre aux professionnels de savoir de quoi il est question afin d’orienter au besoin.
Tous les participants aux ateliers sont interrogés avant et après les ateliers afin de participer au processus d’évaluation (outil visuel ou questionnaires détaillés en fonction du public) permettant d’identifier les marges de progrès. Les échanges formels ou informels à l’issue des ateliers apportent aussi des éléments pour les ajustements de l’activité.
La préparation de l’environnement pour soutenir les objectifs de l’action
Différentes actions sont mises en œuvre en amont ou en aval des ateliers. Elles ont pour objet de rendre l’environnement facilitant pour que les personnes s’engagent dans les démarches de DO.
Dans le cadre carcéral, l’USMP est une clé d’entrée pour le CODES 83/Antenne du Var du CRCDC SUD PACA : de manière logistique (mise à disposition des salles, localisation des ateliers, identification des publics cibles) et de relais (entretien individuel avec l’infirmière référente). Cela permet aux animateurs des deux structures d’être au plus proche de la population, d’adapter discours, contenus et outils à utiliser. Le CODES 83 s’assure également, quand il y a des résultats positifs, que le lien USMP/CRCDC puisse s’organiser, qu’il y ait aussi du lien entre l’USMP et le service de gastroentérologie de l’hôpital pour que les examens complémentaires puissent se faire dans des temps impartis (notamment en lien avec la période d’incarcération pour éviter les perdus de vue).
Pour chaque ESMS, une identification des professionnels pouvant être relais sur les questions de dépistage est réalisée (par exemple : quels sont les médecins généralistes des personnes de l’établissement). Un temps de formation/sensibilisation est proposé aux personnels des établissements pour qu’ils aient connaissance des démarches. Un état des lieux est fait : Des kits de dépistage sont-ils à disposition ? Une campagne groupée doit-elle être effectuée ? Si oui, les lettres d’invitation peuvent-elle être mises à jour ? Quelles pourraient-être les motifs d’exclusion potentielles ? Le chargé de mission du CRCDC SUD PACA (antenne du Var) s’occupe d’approvisionner l’établissement et de faire le lien entre professionnels (de santé, référents externes à l’établissement et sociaux de ce dernier).
Principaux enseignements
Résultats observés
Concernant le partenariat
Si des modalités contractuelles lient les partenaires, c’est dans la mise en œuvre qu’ils apprennent à faire ensemble et complètent leurs expertises (diagnostic d’action, mise en œuvre, évaluation).
Les acteurs du CRCDC notent également que cette collaboration leur a permis d’accéder à des publics et des établissements qu’ils ne connaissaient pas ou pour lesquels ils n’avaient pas de « clés » d’entrée. De la même manière, la collaboration entre l’USMP, l’administration pénitentiaire du CPTLF et le duo d’animation CODES 83/CRCDC-Antenne du Var, leur a permis d’accéder de manière effective à un espace soumis à des contraintes réglementaires particulières. D’autres leviers ont pu être activés au fur et à mesure du déploiement de l’action, en imaginant des solutions adaptées aux contraintes.
Concernant l’action
Les évaluations spécifiques produites par les promoteurs montrent la plus-value de cette collaboration[8].
- Pour le milieu carcéral, une action coordonnée entre acteurs s’appuyant sur une logique de parcours a permis de faire passer le taux de participation de 3% à 60% entre 2014 et 2019.
- Les évaluations de fin d’ateliers (identification de l’évolution du niveau de connaissance, compétences sur la thématique, des lieux de DO, du « comment » s’inscrire dans le parcours) montrent une volonté positive des publics de s’inscrire dans la démarche de dépistage.
Méthodes déployées face aux difficultés rencontrées
Difficultés/Freins | Leviers/éléments facilitants | |
Liés aux partenariats | Réorganisation des partenaires (régionalisation) : mettant en débat la pertinence des collaborations, les échelles d’intervention (département, région), les missions des acteurs Départ des interlocuteurs privilégiés à l’origine du projet fragilisant les confiances établies Pérennité des financements | – Favoriser la proximité entre les partenaires (emménagement du CODES 83/Antenne du Var du CRCDC dans les mêmes locaux) – Favoriser les rencontres entre acteurs à chaque nouvelle arrivée (invitation de la direction du CRCDC pour présenter le projet) – Augmenter le nombre de rencontres sur les périodes charnières (financement, modification des acteurs) – Elaborer des conventions ponctuelles (ESMS annuellement) ou pluriannuelles (CODES 83/CRCDC/USMP) pour déterminer les rôles et les missions de chacun – Co-rédiger les différents documents par les parties-prenantes (réponse à des appels à projets, bilan d’action, rédaction de la Convention pluriannuelle d’objectifs du CODES 83) |
Liés à l’environnement | Difficultés à dupliquer l’action à d’autres départements (diversité des organisations territoriales, diversité des missions et profils métiers, ancienneté des relations partenariales) Difficultés en fonction des ressources à pouvoir assurer la partie évaluation d’impacts | – Faire la promotion de l’action dans les instances où chacun est[9] – S’inscrire dans les politiques publiques, participer à leur construction – Inviter les référents institutionnels (ARS PACA) aux comités de pilotage (prise en considération de l’action, leur permettre de mieux évaluer les contextes de déploiement, valider des orientations) – Déployer des actions favorisant l’acte de dépistage au-delà de la simple information – Concertation collective pour développer de nouvelles stratégies au regard des évolutions (nouvelles modalités de prises en charge, nouvelles données) |
Liés aux publics et leurs parcours | Barrière de la langue, incompréhension de la lettre d’invitation, appréhension négative du sujet Complexité d’assurer un suivi des publics en situation de précarité du fait des contextes | – Dans les ateliers, aborder la question via les facteurs de risque et de protection et non par le cancer en première intention – S’adapter au contexte d’exercice (vidéo quand le public peut avoir des difficultés avec la langue, format « papier » des outils en prison) – Être concret : utiliser des visuels, avoir les outils avec soi, la lettre d’invitation, le kit de dépistage – Pouvoir éditer la lettre d’invitation au besoin – Animer en duo pour mixer les compétences |
Liés aux professionnels périphériques | Difficultés à mobiliser les professionnels sociaux (hors mission, ne se sentent pas concernés) | – « Aller vers » : inscrire les temps de formation dans les établissements, s’adapter à leurs contraintes organisationnelles – Être concret : utiliser des visuels, avoir les outils avec soi, la lettre d’invitation, pour augmenter leur niveau d’information – Echanger sur les pistes concrètes : organisation à mettre en place, messages clés à faire passer, réponses aux questions du public. |
Bilan, éléments partageables & transférabilité
Ce projet montre à la fois sa pertinence, dans sa forme (adaptabilité des acteurs en fonction des publics et contextes d’exercice auxquels ils sont soumis) comme sur le fond (attention particulière accordée à la préparation de l’environnement). Mais les contraintes administratives auxquelles les acteurs sont dépendants[10] entrainent une grande variabilité sur les résultats (personnes en milieu carcéral captives au contrainte de celles en ESMS impactant les possibilités de suivi). Durant nos échanges, les acteurs ont souligné l’intérêt de toujours se questionner sur le fait de parler du dépistage organisé à des personnes qui ne peuvent pas y accéder par la suite, soulignant encore une fois la nécessité de faciliter au mieux les processus de prise en charge, de l’intention du dépistage à la prise en charge en soin en cas de diagnostic positif.
Éléments à partager
- Penser l’action dans son environnement et agir de manière croisée : sur les publics (citoyens comme professionnels) mais aussi sur les modalités de prise en charge,
- Plus que confronter ou juxtaposer les complémentarités, les compléter en apprenant à « faire ensemble » et développer du co-apprentissage à travers la mise en œuvre du projet,
- Développer l’action autour de valeurs positives et protectrices de santé tout en veillant à rendre aux yeux des personnes la démarche de dépistage accessible,
- Soutenir des stratégies pour assurer la pérennisation du projet, notamment sous sa forme financière, en rendant visible la démarche, ses résultats et son bénéfice,
- Participer à l’élaboration des politiques publiques de son territoire en les alimentant des problématiques issues des acteurs de terrain.
[1] https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/cancers/cancer-du-sein/articles/taux-de-participation-au-programme-de-depistage-organise-du-cancer-du-sein-2019-2020-et-evolution-depuis-2005
[2] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/2014-02-03_Plan_cancer-2.pdf
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036763189/
[4] Art. R6111-32 et R6111-33: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033363673
[5] Rapport-dactivite-2019.pdf (codes83.org) : pages 81 à 98.
[6] Rapport dép cancer V2 (creai-pacacorse.com)
[7] L’ensemble des actions a été intégré dans le cadre du Contrat Pluriannuel d’Objectifs (CPO) du CODES 83 pour la période 2017-2021, pérennisant les financements pour 4 ans. L’antenne du CRCDC intervient dans le cadre du financement de sa mission.
[8] En matière de résultats, les différents axes s’inscrivent dans un champ d’action plus large https://codes83.org/wp-content/uploads/Rapport-dactivite-2019.pdf
[9] Le CRCDC SUD PACA valorise son travail avec les CODES 83 au sein du comité technique régional des antennes de dépistage ou les référents ARS sont présents. Le CODES 83 diffuse ses outils et ses méthodes dans son propre réseau.
[10] Les personnes faisant l’objet d’une incarcération « bénéficient » d’une ouverture de droit à la sécurité sociale. Il existe au sein des établissements une Unité Sanitaire pouvant assurer leur suivi médical. A la différence, celles en situation de précarité n’ont pas toujours une situation administrative qui leur permet d’accéder au DO (affiliation à la sécurité sociale nécessaire). De plus, les structures type CHRS ne sont pas toutes dotées de professionnels de santé. Les personnes en situation de handicap peuvent bénéficier d’un accompagnement mais conditionné au modèle d’organisation.