Dépistage du cancer du col de l’utérus en unité mobile (2016-2019)

Face au constat d’écarts de participation au dépistage importants en défaveur des populations les plus précaires dans le département du Val-de-Marne, l’expérimentation d’un dépistage du cancer du col de l’utérus en unité mobile (camion) dans plusieurs communes a permis de tester différentes modalités de préparation et d’intervention possibles pour permettre à des femmes vulnérables de réaliser un dépistage.

Le projet était co-porté par l’ADOC 94, devenue Centre Régional de Coordination des Dépistages des Cancers, site du Val-de-Marne (CRCDC 94), et l’Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF), qui avait l’expérience d’interventions d’aller-vers un public vulnérable.

Ainsi, 13 interventions ont eu lieu, dans 9 sites répartis sur 3 communes : 1 forum d’insertion, 2 résidences ou hôtels sociaux, 4 centres sociaux ou socio-culturels et 2 distributions alimentaires. Il est apparu que ce dispositif permettait effectivement de toucher la cible de femmes dites « vulnérables », que l’intervention pouvait se déployer dans différents types de sites et de mettre en évidence trois leviers efficaces de mobilisation des femmes pour ce type d’intervention.

Présentation de l’intervention

Présentation des structures

L’Association de Dépistage Organisé des Cancers dans le Val-de-Marne (ADOC  94) était la structure départementale en charge la gestion du dépistage organisé des cancers dans le Val-de-Marne, jusqu’à la création en 2019 du Centre Régional de Coordination des Dépistages des Cancers Île-de-France (CRCDC). Le projet a été porté par le Dr Catherine Azoulay, responsable du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus à l’ADOC 94, sous la direction du Dr Zahida Brixi, médecin directeur, et en collaboration avec le Dr Bernard Guillon, fondateur de l’ADSF. Les chargés de prévention de l’ADOC 94 ont mené les interventions. L’ADOC 94 est devenue aujourd’hui CRCDC Ile-de-France, site du Val-de-Marne (CRCDC 94)[1].

L’Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF) a pour projet « d’améliorer la prise en charge et l’état de santé globale des femmes les plus précaires (les femmes sans-abri, sans domicile fixe, isolées, victimes de violences ou victimes de traite d’êtres humains), qui sont les plus éloignées du système de santé de droit commun »[2] Suivant un principe d’« aller-vers » les femmes en situation de vulnérabilité et/ou précarité, elle intervient notamment sur le terrain grâce à des équipes mobiles salariées et bénévoles pluriprofessionnelles (sages-femmes, médecins, psychologues clinicien·ne·s, etc.).

Contexte

De fortes inégalités sont observées, comme ailleurs en France, dans le département du Val-de-Marne en ce qui concerne les taux de couverture du dépistage du cancer du col de l’utérus, c’est-à-dire la part des femmes entre 25 et 65 ans qui ont réalisé un examen de dépistage avec prélèvement cervico-utérin (PCU)[3] dans les 3 ans. Dès avant le lancement du projet, les équipes du CRCDC 94 avaient repéré l’existence de freins liés à des problèmes financiers et d’accès à des professionnels de santé pour réaliser le PCU.

Le CRCDC 94 a conçu, en partenariat avec l’ADSF, un projet expérimental afin de tester plusieurs modalités d’intervention pour toucher un public vulnérable, qui ne participe pas ou peu aux dépistages. Les deux acteurs étaient liés par une convention de coopération.

Objectifs

Un projet expérimental de dépistage gratuit, immédiat et sur place a ainsi été mis en place grâce à la mise à disposition par l’ADSF d’une camionnette équipée d’une table gynécologique. Le projet visait à :

  • expérimenter une intervention avec réalisation immédiate de PCU en unité mobile,
  • expérimenter et évaluer la conduite de cette intervention mobile dans différents types de lieux, choisis pour permettre de toucher des femmes « les plus en retrait des circuits de soins », situés dans 3 communes défavorisées du 94,
  • expérimenter et évaluer différentes modalités de communication et/ou de mobilisation du public cible en amont des interventions : relais par les professionnels associatifs et de santé, séances d’information collectives, séances d’information individuelles, communication en amont par une personne connue du public cible, envoi postal de courriers d’invitation.

Calendrier

Initialement, le projet prévoyait la réalisation d’une dizaine d’interventions entre 2016 et 2018. La convention liant le CRCDC 94 et l’ADSF a été prolongée en 2019 pour permettre la réalisation de 3 actions supplémentaires, sur les financements restants du projet.

Principaux acteurs et partenaires

Schéma 1. Principaux acteurs du projet et leurs rôles et missions respectifs

Principaux éléments saillants

Émergence du projet

Ce projet a été initié dans le cadre de l’expérimentation du programme de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus menée sur quelques sites pilotes (dont le Val-de-Marne depuis 2010) précédant la mise en place du programme national (déploiement en 2020).

Le CRCDC 94 souhaitait à cette époque mener une expérimentation d’une campagne de dépistage à destination de femmes dans une situation économique et/ou sociale dite « défavorable » : bénéficiaires CMU-C, de l’aide alimentaire, résidentes des quartiers pauvres (quartiers prioritaires de la politique de la ville) ou en hébergement social, migrantes ou d’origine immigrée, ou encore en situation irrégulière. Elle a reçu pour ce projet un financement de l’ARS.

Le projet a vu le jour au croisement de plusieurs interrogations : 

  • à un moment charnière où des réflexions étaient en cours sur la façon de mettre en place un dépistage organisé du cancer du col au niveau national.
  • face au constat d’un sous-dépistage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) particulièrement marqué dans le département du Val-de-Marne, problématique commune aux 3 dépistages (sein, colon, col de l’utérus).
  • sur les freins à l’accès au dépistage sur lesquels des réflexions étaient en cours au sein du CRCDC 94 à cette même période. Observant que l’accès à l’information ne suffisait pas à déclencher des dépistages en pratique, les équipes du CRCDC 94 s’interrogeaient sur les leviers possibles pour améliorer le recours effectif au dépistage, en tenant notamment compte des difficultés matérielles dans la vie des femmes défavorisées.

Parmi les principaux freins identifiés par le CRCDC 94 figurait notamment le fait que « le dépistage, ce n’est pas une priorité » face à d’autres urgences (logement, alimentation) ou d’autres impératifs au quotidien laissant peu de disponibilité (conditions d’emploi, charge du foyer, etc.). Une hypothèse forte pour expliquer la différence de participation des populations précaires portait sur l’existence de freins liés à des problèmes financiers (coût de la consultation gynécologique) et d’accès à des professionnels de santé pour réaliser le PCU, acte au cœur du dépistage du cancer du col de l’utérus. D’autres freins touchant à la méconnaissance du système de santé, l’isolement de certaines femmes, les appréhensions qui peuvent être liées à cet examen et/ou au thème du cancer, etc. étaient également identifiés.

C’est pourquoi l’expérimentation a visé comme objectif de faciliter l’accessibilité du dépistage en le rapprochant des lieux de vie des femmes (proximité) et en proposant une intervention in situ avec consultation et examen (immédiateté), entièrement pris en charge (gratuité). Proposer directement aux femmes rencontrées de faire leur dépistage lors d’une intervention constitue l’innovation principale pour le CRCDC 94, ce qui est rendu possible grâce au partenariat avec l’ADSF.  Cette dernière a mis à disposition leur unité mobile, c’est-à-dire un camion équipé permettant la réalisation d’examens, et notamment des PCU, ainsi que les professionnels bénévoles qualifiés de l’association qui pouvaient mener les consultations de dépistages en 2 temps (entretien individuel, puis PCU).

Les communes de Bonneuil-sur-Marne, Valenton et Villeneuve-Saint-Georges ont été ciblées en raison du cumul d’indicateurs défavorables sur leur territoire : IDH-2[4] faible, taux de couverture par frottis faible et offre gynécologique insuffisante. Un diagnostic territorial a permis de mettre en évidence des taux de couverture[5] inférieurs à 47% dans certains quartiers de ces communes, ainsi que des écarts importants entre quartiers[6] comme à Bonneuil-sur-Marne où un écart de 10 points de pourcentage pouvait être observé quant au taux de couverture par frottis. Les 10 premières interventions se sont déroulées sur ces 3 communes, puis dans d’autres communes où un besoin particulier de dépistage avait été remonté par des partenaires pour les 3 interventions supplémentaires.

Synthèse des interventions menées dans le cadre du projet

Treize interventions ont été menées en tout. Chacune de ces interventions se déroulait suivant 3 étapes : 1/ préparation, principalement portée par le CRCDC 94 (identification et mobilisation du partenaire, communication préalable) ; 2/ intervention sur site avec présence du CRCDC 94 et consultations individuelles réalisées par l’ADSF (entretien individuel mené dans une salle de la structure et réalisation de PCU dans le camion de l’unité mobile) ; 3/ suivi des résultats (voir schéma 1).

Chaque intervention durait environ 3h. Le planning pouvait inclure jusqu’à 12 consultations individuelles. La convention prévoyait que l’ADSF prenne en charge l’analyse et l’interprétation des PCU ainsi que la communication aux femmes des résultats de leur dépistage. Il était également prévu que l’ADSF se charge en cas de résultat de dépistage positif de l’orientation et du suivi de leur prise en charge par les services de soins du département. Le CRCDC 94 s’assurait également du suivi des examens positifs.

Différents modèles d’intervention ont été testés, portant sur les publics cibles (différents lieux d’intervention et types de femmes rencontrées), les leviers de mobilisation (modes de communication) et les modalités de planification de l’action. Le tableau 1, ci-après, liste par ordre chronologique les interventions menées et récapitule les principales caractéristiques de chacune des interventions (modalités pratiques spécifiques, modes de communication ou de mobilisation, difficultés rencontrées).

Structure partenaireRésultatCaractéristiques principales de l’intervention
Forum de l’insertion Villeneuve-Saint-Georges8 PCU– Tenue d’un stand d’information sur les 3 dépistages, à laquelle se greffe l’intervention camion mobile. – Aucune communication auprès de femmes sur la possibilité de faire un dépistage en amont de l’intervention.
Résidence sociale ADEF Bonneuil-sur-Marne5 PCU– Action en soirée : horaire choisi pour s’adapter à la disponibilité des femmes – Partenaire connu du CRCDC 94, mobilisation locale du réseau et sollicitation d’autres associations pour inviter des femmes à l’action – Difficulté rencontrée : conflit d’emploi du temps avec une autre réunion organisée simultanément.
Hôtel Balladins
Valenton  
9 PCUPremière intervention – Partenariat moteur : le gérant du lieu, qui a déjà accueilli d’autres intervenants sur des thématiques « santé », était très motivé par l’intervention.   – Démarche de porte-à-porte le jour de l’intervention. – Très forte participation (9 femmes dépistées sur un public de 47 familles logées).
Hôtel Balladins  6 PCUDeuxième intervention dans ce même hôtel social en raison d’une forte demande lors de la première intervention.
Centre social Asphalte Villeneuve-Saint-Georges3 PCU– Action en journée dans un lieu dans lequel un important travail d’information préalable avait eu lieu, avec la tenue de plusieurs séances d’information collectives  – Contre-temps : départ de la médiatrice sociale, contact privilégié du CRCDC 94, avant l’intervention. – Autres obstacles rencontrés : problèmes d’organisation (mauvaise information sur l’horaire, conflit d’horaire avec le marché), la réalisation de l’examen gynécologique par un bénévole gynécologue homme a suscité des refus d’examen chez plusieurs femmes.
Distribution alimentaire du secours populaire Bonneuil-sur-Marne  13 PCU      – Action en journée, après-midi. – Mise en contact du CRCDC 94 et du Secours Populaire par l’intermédiaire de l’Atelier Santé Ville de Bonneuil-sur-Marne – Préparation importante (évaluée à 2 jours de travail) : combinaison de plusieurs leviers avec information préalable, liste d’inscription à l’avance, envoi d’un courrier en plus aux femmes du quartier (7 femmes se sont présentées avec le courrier).
Distribution alimentaire du secours populaire11 PCUEn raison de la demande forte, une seconde intervention est organisée.
Centre socioculturel La Lutèce
Valenton
10 PCU– Sensibilisation des femmes à travers des présentations en groupe un mois auparavant – Prises de rendez-vous à l’accueil du centre socioculturel à partir de la date d’information collective et mobilisation par le personnel du centre.
Centre social Asphalte  12 PCUOrganisation d’une nouvelle intervention suite à l’« échec » de la précédente. – Partenariat : recrutement d’une nouvelle médiatrice, motrice pour l’action. – Mobilisation en amont : envoi de courriers à des femmes de la commune sur un périmètre plus large.
Centre social Asphalte  5 PCUTroisième action au centre social : intervention organisée pour recevoir des femmes qui avaient laissé leurs coordonnées lors de la 2e intervention, faute de place ce jour-là.
Maison de la Prévention au sein de la Maison du Citoyen
Fontenay-sous-Bois
5 PCU– Partenaire connu du CRCDC 94. – Séances d’information collective en amont de l’intervention – Originalité : partenariat avec les centres municipaux de santé de la commune, vers lesquels ont été orientées 2 des femmes rencontrées lors de l’action de dépistage pour la réalisation de leur PCU (pour les réintégrer dans un parcours de soins classique).
Centre social AVARA Fresnes10 PCU– Partenariat : contact privilégié entre le CRCDC 94 et la médiatrice santé nouvellement recrutée. – Séances d’information collective en amont de l’action – Prise de rendez-vous pour le PCU avant l’action afin de remplir tous les créneaux
Distribution alimentaire des Restos du Cœur Valenton5 PCU– Actions de mobilisation en amont : information préalable, prise de rendez-vous avec relance téléphonique de femmes intéressées et inscrites. – Difficulté rencontrée : le jour de l’intervention est aussi jour de grève et de fermeture de l’école, plusieurs femmes annulent à la dernière minute. 

Tableau 1. Liste et résumé des principales caractéristiques des 13 interventions menées

Pour chacune de ces interventions, un temps de préparation de 2 à 5 jours a été nécessaire. Au total, 28 jours et demi de temps de travail ont été nécessaires, incluant le temps de préparation et le temps sur site.

Pour chaque intervention réalisée, la convention prévoyait que l’ADSF perçoive 700 euros prenant en charge les frais liés au camion, aux PCU (consommables et analyse) et les frais administratifs et de coordination.

Des ajustements dynamiques

Les succès et les ratés d’affluence ont rythmé l’expérimentation. L’enjeu principal qui mobilisait l’équipe du CRCDC 94 en amont était de réussir à ce que le planning des consultations soit complétement rempli pour chaque intervention, afin que ne soient pas « gâchées » des opportunités de consultations individuelles de dépistage. Il s’agissait d’un paramètre nouveau pour les équipes du CRCDC 94, intervenant classiquement pour des actions de prévention et/ou d’information collectives.

Les premiers succès ont été moteurs : l’intervention au Forum, sans importante préparation ou communication préalable, a bien fonctionné selon le CRCDC 94 (8 femmes dépistées sur place), ce qui a mis en confiance les équipes.

A contrario, la première intervention au centre Asphalte a été perçue comme un échec par le CRCDC 94 en raison du faible nombre de PCU réalisés durant la plage de présence du camion et des bénévoles de l’ADSF. Plusieurs facteurs se sont conjugués, expliquant le faible nombre de consultations réalisées ce jour-là (voir tableau). Plusieurs stratégies supplémentaires de mobilisation des femmes éligibles ont été mises en œuvre en amont des interventions suivantes, afin de garantir le plus possible la participation des femmes : courriers d’invitation, pré-inscriptions sur le planning du camion de l’ADSF, etc.

« En fait, on a eu les deux problèmes : l’action où il n’y avait pas assez de monde et on se disait : « Bah mince, on fait perdre leur temps à tout le monde et puis personne n’en profite » ; et l’action où il y a eu trop de femmes. »

Rachel Carroll, chargée de prévention au CRCDC 94

Partenariats

Le partenariat entre le CRCDC 94 et l’ADSF est structurant pour l’expérimentation (cf. schéma 1). Le partenariat étroit du CRCDC 94 avec les associations et les acteurs locaux implantés sur le territoire a également été un levier majeur du bon déroulement des interventions de l’unité mobile. Les liens entretenus avec ces acteurs ont permis d’identifier rapidement des structures, sans multiplier les contacts intermédiaires. Ce réseau de liens forts est gage d’implication des professionnels pour faire la promotion de cette opportunité offerte aux femmes éligibles.

Aucun partenariat spécifique n’avait été envisagé au lancement du projet pour l’étape d’aval du suivi, et notamment pour les femmes dépistées dont le résultat serait positif. Or, à l’occasion des difficultés rencontrées par l’ADSF et le CRCDC 94 pour les 2 femmes dont les résultats étaient positifs, qui ont finalement été perdues de vue, les professionnels ont repéré un besoin de davantage travailler le partenariat avec des structures de soins en aval, pour informer et orienter les femmes vers des structures de soins pouvant les réintégrer dans des parcours de soins de droit commun. Cette préoccupation s’est imposée au fil des interventions et a abouti à une première tentative de partenariat avec les centres municipaux de santé CMS pour l’intervention à Fontenay-sous-Bois. Cela s’est traduit concrètement par le fait, ce jour-là, d’orienter des femmes en priorité vers la structure plutôt que vers l’unité mobile et explique en partie le faible nombre de PCU réalisés ce jour (5 PCU, n’incluant pas les orientations vers le CMS).

Choisir les lieux d’intervention

Une fois les communes sélectionnées, le CRCDC 94 a dû identifier des lieux potentiels et les structures partenaires, à partir des paramètres suivants :

1/ privilégier des lieux où les partenaires étaient connus et qualifiés de « solides » par le CRCDC 94. L’expérience du centre Asphalte a conforté l’importance de l’attention à ce paramètre. L’expérience de l’hôtel social a montré qu’un partenaire nouveau mais déjà sensibilisé aux questions sociales et de santé pouvait également être un partenaire efficace.

2/ privilégier des structures permettant de toucher les femmes ciblées par ce projet : structures sociales ou structures d’aide fréquentées par les femmes, le plus souvent à proximité immédiate de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). C’est pourquoi les centres sociaux et sociaux-culturels, situés dans ces quartiers en difficulté, « connus des populations » et « jouant un rôle important dans ces quartiers isolés » ont été recherchés. 

3/ privilégier des structures non-médicales : l’intervention en unité mobile n’avait pas vocation à se substituer à une offre existante et un parcours de soins possible sur place, mais en priorité à offrir des possibilités de dépistage à des femmes éloignées d’une offre de prise en charge.    

4/ répartir équitablement le nombre d’interventions entre les 3 communes sélectionnées au départ.

« Nous n’avions pas fixé à l’avance tous les lieux ; mais, comme on a fait quelques actions où l’on s’est dit qu’il fallait retourner au même endroit parce qu’il y avait des femmes en attente, je pense que ça a réduit le nombre de lieux [d’intervention différents] – et aussi fait que nous n’avons pas seulement testé une seule fois un même lieu. […]

Après, ce n’était pas toujours facile de trouver des lieux, parce qu’il n’y en avait pas tant que ça. »

Rachel Carroll, chargée de prévention au CRCDC 94

Aménager la présence du dispositif d’unité mobile sur site

Le dispositif était le suivant : en règle générale, les femmes étaient reçues par un bénévole de l’ADSF pour une première partie de la consultation consistant en un entretien individuel (anamnèse, ré-explication du PCU, etc.) dans une pièce du bâtiment mise à disposition par la structure partenaire. Ensuite un second bénévole réalisait l’examen et le PCU dans le camion aménagé où se trouvait le matériel nécessaire.

Le CRCDC 94 reconnait s’être appuyé sur l’expertise de l’ADSF pour organiser au mieux la présence du camion sur site, afin de favoriser et la discrétion de l’intervention et le bon déroulé des 2 temps de la consultation individuelle. L’association avait en effet à la fois l’expérience pratique des interventions avec le camion et une expérience plus grande de l’intervention auprès de populations en grande précarité. L’enjeu était que le camion en tant que dispositif ne suscite pas de réticences chez les femmes et ne devienne pas un frein.

« C’était une petite camionnette qui était assez discrète quand même, parce qu’on ne voulait pas non plus que ce soit quelque chose de trop tape-à-l’œil… enfin, si on se garait près des habitations des personnes, elles pouvaient avoir envie de faire leur frottis tranquillement, sans que tout le monde sache ce qu’elles faisaient. »    

Rachel Carroll, chargée de prévention au CRCDC 94

Multiplier les stratégies de communication/mobilisation préalable

L’expérimentation a permis de mettre en pratique différentes modalités de communication préalable. L’objectif étant de garantir en amont une utilisation maximale des créneaux disponibles, ces stratégies ont souvent été combinées. Elles incluaient : affichages, communication orale par les professionnels de la structure partenaire, mobilisation de professionnels associatifs et de santé de la ville, séance(s) d’information collective ou individuelle (lors des distributions alimentaires) et envoi de courriers d’invitation spécifiques.

Au fil des interventions, ces stratégies ont visé à pré-remplir le planning grâce à des prises de rendez-vous. Toutefois, R. Carroll observe que « même quand [ils] ont essayé de faire ça, en fait, tout le monde n’est pas toujours venu au rendez-vous… Parfois, ça a bien marché, et parfois, moins bien. ». Réussir à mobiliser des femmes pour que l’action bénéficie au plus grand nombre possible demande à systématiquement multiplier les canaux de mobilisation et de communication en amont du jour J. 

Greffer les interventions liées au dépistage à d’autres actions

Il s’agit d’une stratégie qui n’est pas spécifique à l’unité mobile, mais une stratégie de mobilisation régulièrement employée par le CRCDC 94 pour ses actions d’information. Il s’agit de ne pas créer une intervention autonome, « à partir de rien », mais de repérer et s’appuyer sur des groupes ou des espaces collectifs déjà constitués auxquels proposer une intervention sur le thème du dépistage. Il peut s’agir d’ateliers sociolinguistiques, de forums d’insertion, etc. Cette stratégie a été ici particulièrement employée pour les interventions en centre social ou socio-culturel.

Principaux enseignements

Résultats observés

Au total, 13 interventions ont été menées sur 10 sites distincts et ont permis la réalisation de 102 PCU (sur un objectif initial de 100 PCU).

La majorité des femmes dépistées répondaient à un critère de vulnérabilité socio-économique : plus de la moitié étaient résidentes d’un QPV ou en hôtel social, un nombre important de femmes étaient bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat (AME) (environ 15% des femmes dépistées, notamment en raison d’une intervention dans une résidence accueillant des femmes réfugiées), etc.

De plus, le projet a permis de toucher des femmes moins bien suivies médicalement, ce qui a été mis en évidence durant les entretiens individuels réalisés avec les femmes, ainsi que par le suivi de leurs parcours dans les bases de données du CRCDC 94 : pour plus de la moitié des femmes dépistées, aucun frottis n’avait été réalisé durant les 5 années précédentes (ou plus).

Enfin, environ 40% des femmes rencontrées n’étaient pas connues du CRCDC 94, c’est-à-dire qu’elles ne figuraient pas dans les listes nominatives établies par l’Assurance Maladie à partir desquelles sont envoyés les courriers d’invitation aux dépistages. Ce projet a ainsi permis de toucher des femmes qui précédemment n’étaient pas destinataires des informations des programmes de dépistage organisé et qui sont perçues comme « très éloignées du système de soins », puisque sans droits ouverts.

Suivis

Sur les 102 dépistages réalisés, deux se sont révélés positifs. Un seul nécessitait une prise en charge diagnostique puis thérapeutique complémentaire. Le personnel médical de l’ADSF a repris contact pour informer et orienter cette femme, comme le prévoyait le protocole du projet, toutefois le contact a été perdu sans certitude qu’un suivi ait été engagé.

Freins et leviers : enseignements de l’expérimentation

Pour le volet évaluation, le projet était accompagné par J. Bardes, chargée de mission dédiée au sein du CRCDC 94, ce qui a permis de recueillir, sous forme de grille, différentes informations pour chaque intervention (lieu, caractéristiques de l’intervention, méthodologie employée en amont) ainsi que de compiler des informations issues des entretiens avec les femmes. Aucun frein nouveau n’est apparu, ceux exprimés par les femmes étant connus : méconnaissance des lieux de prélèvement, difficulté d’accès, délai du rendez-vous, avance de frais, etc.

Le cadre expérimental, et le fait d’avoir pu intervenir à plusieurs reprises dans un même lieu mais avec des modalités différentes (communication préalable), ont permis de tirer plusieurs enseignements quant aux facteurs impactant le bon déroulé de ce type d’intervention de dépistage en unité mobile et aux leviers de mobilisation qui favorisent la participation des femmes :

  • L’implication de la structure partenaire locale est identifiée par le CRCDC 94 comme le premier facteur déterminant de la réussite d’une intervention, notamment pour relayer l’information et lever les craintes des femmes. Le niveau d’implication tient en partie aux appétences particulières d’un individu (dimension « personne-dépendante »). Une autre caractéristique récurrente des partenaires impliqués et efficaces est leur sensibilité aux questions de promotion de la santé, qu’il s’agisse de partenaires connus ou nouveaux. Ces acteurs jouent un rôle crucial de médiateur de confiance entre les acteurs de l’intervention et les femmes. Le fort turn-over du personnel associatif fragilise ce levier, alors que des relations stables dans la durée le renforcent.
  • Il a été montré qu’il est possible d’installer l’unité mobile dans différents types de lieux (résidentiels comme non résidentiels, lieux sans connotation « santé » comme une distribution alimentaire, etc.), avec un niveau de succès équivalent en termes de fréquentation.
  • Il est important de tenir compte de freins très concrets liés à la disponibilité des femmes. Les aspects pratiques et organisationnels jouent fortement sur le niveau de participation à une intervention et peuvent devenir des freins s’ils sont mal adaptés : modifications de dernière minute, choix d’horaires en conflit avec d’autres activités (sortie d’école, période de ramadan, etc.), etc. Les interventions restent tributaires d’aléas comme une grève.  

Les conclusions de l’expérimentation mettent enfin l’accent sur les leviers de mobilisation du public comme facteurs favorisant le succès ou inversement l’échec, mesuré en termes de participation à l’intervention (cf. encadré ci-dessous). Pour Rachel Carroll, l’expérimentation n’a pas permis de faire ressortir une stratégie de mobilisation plus efficace qu’une autre, mais a montré l’intérêt de « combiner différentes façons de mobiliser ou d’intervenir ».  

« À l’issue de ce projet expérimental, trois leviers de mobilisation sont apparus particulièrement efficaces pour mobiliser les femmes, avec pour chacun l’avantage de présenter des atouts opérationnels non négligeables :

+ La rencontre préalable avec les publics (en groupe ou individuelle) : permet de délivrer une information personnalisée, susceptible de davantage mobiliser les femmes. Cette première prise de contact a également été l’occasion de mieux préparer l’évènement et de faciliter son déroulé, en organisant des plannings de RDV avec pré-inscriptions (fluidification du flux et optimisation du nombre de frottis faits en 3 heures) et en opérant des rappels téléphoniques auprès des femmes intéressées. A l’inverse, la diffusion de l’information sans contact et/ou médiation personnalisés (tels que flyers, affiches, médias locaux) sont apparus insuffisants à la mobilisation.

+ L’envoi de courriers d’invitation : permet de toucher un public plus large, tout en ciblant les populations se situant à proximité immédiate du lieu de l’intervention et pour lesquelles on présume, de par leur lieu d’habitation, des conditions socio-économiques défavorables. Ces courriers ciblés, rapportés par les femmes au moment de l’intervention, facilitent par ailleurs l’organisation de l’évènement et font gagner du temps en assurant par avance l’éligibilité de ces femmes (courriers envoyés uniquement aux femmes sans frottis connus depuis trois ans). Le cas contraire, le personnel de l’ADOC 94 vérifiait au coup par coup l’éligibilité des femmes par une consultation à distance de la base de données ADOC 94.

+ S’associer à une autre action : permet de bénéficier de l’afflux d’un public venu pour cette autre raison et de capter des publics difficilement atteignables par ailleurs par les agents de prévention. Ces actions greffées ont eu besoin d’un travail préparatoire de moindre importance, en pouvant s’appuyer sur les efforts de mobilisation des porteurs de l’action sociale menée. »  

Extrait du rapport d’évaluation interne, document transmis par le CRCDC 94 (non publié)  

Le cadre expérimental a permis également une grande adaptation, notamment de pouvoir revenir plusieurs fois en cas de succès. Ce cadre souple a été perçu comme un levier. L’expérimentation a été particulièrement motivante pour les professionnels du CRCDC 94 et renforcé leur sentiment d’efficacité. Le projet permettait, avec l’immédiateté du dépistage proposé aux femmes lors des interventions, de voir se concrétiser le travail de prévention, sans crainte que le message transmis n’aboutisse pas à un dépistage. Le projet, innovant pour une structure de prévention, comporte une dimension logistique importante à ne pas négliger dans la gestion du projet (temps important mobilisé pour l’organisation de chaque intervention, par la prise de rendez-vous, la sollicitation des publics, etc.).

Mise en perspective

L’expérimentation n’a pas été reconduite, mais elle a permis de mettre à jour plusieurs questions et enjeux (repérées par le CRCDC 94) pour le déploiement d’interventions de ce type dans le cadre du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus :  

  • Comment mieux articuler les acteurs du suivi à un projet d’unité mobile ? La mobilisation du réseau du CRCDC 94 auprès des structures spécialistes des publics a été fructueuse, il faudrait associer de la même façon des structures de soins en aval du dépistage.
  • De manière plus générale, comment mieux articuler une intervention ponctuelle et exceptionnelle (unité mobile) aux parcours de soins « normaux » des femmes ? L’expérimentation a permis de dépister des femmes qui n’avaient jamais réalisé de dépistage ou n’en avaient pas réalisé depuis de nombreuses années : la réinscription de ces femmes dans un parcours de santé dans le système de soins de droit commun est un enjeu majeur, sur lequel l’expérimentation n’a pas travaillé spécifiquement. De plus, le projet ne permettait pas de suivre cet enjeu puisqu’aucune information n’était recueillie sur les parcours post-intervention des 102 femmes rencontrées.
  • Comment évaluer économiquement le coût/bénéfice de ce type d’intervention ? Pour chaque consultation avec PCU réalisée avec l’unité mobile, le CRCDC 94 aura reversé environ 70 euros à l’ADSF (subvention globale : 7000 euros). Ce coût par dépistage est en deçà du coût réel, car il n’inclut pas les coûts liés au temps humain, celui des chargés de prévention consacré au projet (séances d’information, communication, mobilisation des différentes équipes partenaires, etc.) et celui des bénévoles de l’ADSF. Il est alors difficile à comparer avec le coût moyen d’un dépistage avec PCU ou avec celui d’une consultation classique chez un professionnel de santé.
  • A quels publics se destinent des interventions en unité mobile ? L’unité mobile a permis de dépister de nombreuses femmes hors suivi gynécologique. De plus, des femmes sans droits ouverts ont pu être dépistées, femmes pour lesquelles les freins d’accès à la santé sont les plus nombreux. Toutefois, l’ouverture des droits ne constitue pas une mission des CRCDC.

Si l’expérimentation, basée sur un financement ponctuel de l’ARS, n’a pas été reconduite, la ville de Bonneuil-sur-Marne a fait revenir plusieurs fois l’ADSF depuis la fin de ce projet sur ses propres financements, pour continuer à proposer des dépistages aux bénéficiaires de la distribution alimentaire du Secours Populaire.

Pour Rachel Carroll, un projet d’unité mobile pourrait avantageusement être reconduit, à condition de clarifier son ciblage (« les femmes vraiment les plus en dehors du système de soins »), le type d’acteurs qui doit le porter et son articulation avec un dépistage organisé universel. Il peut permettre de réduire des inégalités, en finançant des interventions spécifiques dédiées à des populations particulières selon un principe d’universalisme proportionné. Mais pour un coût-bénéfice qui reste à évaluer plus rigoureusement (et à une autre échelle).


[1] Par convention, c’est cet acronyme  CRCDC 94 qui sera employé par la suite pour désigner les équipes de l’ADOC 94/CRCDC 94.

[2] Plus d’informations sur leurs missions sur leur site ADSF – Agir pour la santé des femmes : adsfasso.org

[3] Le prélèvement cervico-utérin désigne le geste effectué par le professionnel de santé pour prélever des cellules du col utérin qui seront analysées pour dépister cancers et états précancéreux. Il peut être suivi soit d’une analyse cytologique (frottis cervico-utérin), soit d’une recherche de la présence de papillomavirus (test HPV).

[4] L’indice de développement humain 2 (IDH2) permet de mesurer les disparités sociales à travers 3 dimensions : santé, éducation et le revenu.

[5] Le taux de couverture par frottis désigne le nombre de femmes ayant réalisé un PCU suivi d’un examen cytologique durant les 3 dernières années rapporté au nombre de femmes âgées de 25 à 65 ans dans la population française. Au niveau national, en 2018, il était de 58,7%. L’objectif du programme national de dépistage organisé est un taux de couverture de 80%, incluant frottis et test HPV.