Consultations de tabacologie en microstructures médicales à Strasbourg

L’association ITHAQUE a mis en place dans plusieurs structures de soins primaires à Strasbourg, toutes membres du réseau des microstructures Alsace, des consultations de tabacologie proposées gratuitement par deux médecins (addictologue et tabacologue) salariés d’ITHAQUE. Ces consultations permettent de donner accès à un accompagnement au sevrage tabagique ou de réduction des risques (dont accès à la vape) à un public plutôt défavorisé, qu’il s’agisse des résidents des quartiers dans lesquels sont implantés ces structures (quartiers QPV - politique de la ville) ou de patients suivis pour différentes conduites addictives dans le cadre des microstructures.

La mise en place de ces consultations s’est appuyée sur un dispositif préexistant et innovant de consultations avancées, à savoir le réseau des microstructures médicales, qui permet de proposer une prise en charge pluriprofessionnelle et de proximité en addictologie.

Ces dispositifs, des consultations de tabacologie et des microstructures, permettent de compléter l’offre de soins en addictologie, de lever certains des freins d’accès à un suivi spécialisé et d’aller-vers des populations défavorisées mais également des publics spécifiques éloignés des dispositifs classiques d’addictologie comme les femmes.

Présentation de l’intervention

Présentation des principales structures

L’association ITHAQUE organise des actions de prévention et de réduction des risques et a pour objectifs d’accueillir et de soigner les personnes ayant des addictions[1]. Ses activités en direction des usagers de drogue ont été initiées dès 1993 par Médecins du Monde. Elles se déclinent aujourd’hui autour de 4 pôles :  

  • le Pôle réduction des risques, qui inclut un CAARUD, ARGOS (salle de consommation à moindre risque), des activités de réduction des risques (RDR) comme les interventions milieu festif, etc.,
  • le Pôle Accueil et soins, qui inclue plusieurs structures dont 2 Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), 1 Consultation Jeunes Consommateurs (CJC), etc.,
  • le Pôle recherche et formation,
  • le Pôle médecine de ville, qui est constitué du Réseau des Microstructures médicales d’Alsace.

Le Réseau des Microstructures médicales d’Alsace (RMS Alsace) regroupe début 2023 18 microstructures, réparties sur tout le territoire alsacien. Intégré depuis 2010 à ITHAQUE[2], les microstructures sont un dispositif de proximité prenant corps directement au sein de cabinets de médecine générale. Il permet à une personne présentant une ou plusieurs addictions, en situation de grande précarité ou présentant des troubles de santé mentale, d’être prise en charge par une équipe pluridisciplinaire composée d’un médecin généraliste de la structure et d’un travailleur social et d’un psychologue salariés de l’association ITHAQUE, présents régulièrement sur place (voir présentation détaillée encadré page suivante).

Le réseau est notamment implanté à Strasbourg, dans différents types de structures de médecine générale : 1 microstructure est portée par une maison urbaine de santé[3], 2 par des maisons de santé situées en Quartier Prioritaire de la politique de la Ville (QPV), et 3 microstructures par des cabinets de médecine générale.

Contexte

La forte prévalence du tabagisme au sein de la patientèle des microstructures, et plus largement de la patientèle dans les quartiers défavorisés de Strasbourg, et l’identification de difficultés de ce public pour accéder à une prise en charge spécialisée en tabacologie étaient 2 enjeux mobilisateurs pour l’association ITHAQUE comme pour les médecins généralistes des microstructures. C’est dans le cadre du RMS Alsace qu’ont été expérimentées puis déployées les consultations de tabacologie, qui sont proposées dans les 6 microstructures à Strasbourg à ce jour (2022).

Calendrier

FOCUS – Les microstructures médicales (RMS Alsace)

Créés en 1999 en Alsace, il s’agit d’un « dispositif spécialisé dans le soin aux personnes présentant une addiction, en situation de précarité, ou présentant des troubles de santé mentale », porté par une équipe pluridisciplinaire installée dans un cabinet de médecine générale [4]. Cette équipe est composée a minima d’un médecin généraliste, d’un psychologue et d’un travailleur social. Ainsi des « équipe[s] de proximité à même de délivrer des soins à moindre coût personnes nécessitant un suivi sanitaire polyvalent et régulier » étaient créées (1). Elles devaient permettre de renforcer l’accès aux soins d’usagers, en leur permettant d’être suivis au plus près de leur domicile, dans un cadre connu et en toute confidentialité, c’est-à-dire dans un cadre non stigmatisant. Elles permettent de « compléter l’organisation des soins en matière d’addiction » et renforcent le maillage du territoire « afin d’assurer un accès de qualité à la prévention, au dépistage et aux soins des usagers de drogues » (1).

Leur fonctionnement repose sur 5 principes :

  1. la pluriprofessionnalité de l’équipe,
  2. la mise en équivalence des compétences au sein de ces équipes,
  3. l’unité de lieu (au cabinet du médecin généraliste, qui peut être une structure d’exercice collectif comme une MSP, une maison de santé, etc.)
  4. la régularité des suivis
  5. la délibération collective afin d’élaborer la stratégie thérapeutique propre à chaque patient lors de réunions de synthèse régulières.

Le Réseau des Microstructures médicales d’Alsace (RMS Alsace) regroupe en 2023 18 microstructures, réparties sur tout le territoire alsacien, et compte une file active d’environ 1200 usagers, en moyenne depuis 2015.

Ce public se caractérise par :

  • une très forte proportion de femmes, « plus de 50% des patients qu’on suit ».
  • l’âge moyen est d’environ 45 ans.
  • le principal motif d’inclusion, c’est-à-dire le motif d’entrée dans le dispositif, est en premier l’usage d’héroïne et d’opiacés (48,8% en 2020), puis d’alcool et en 3e place, de tabac (17,9%). Toutefois, les polyconsommations sont fréquentes et le tabagisme est une conduite addictive qui concerne 54,9% des patients inclus. Cela en fait le premier produit consommé. Le plus souvent ce sont de gros fumeurs (18 cigarettes par jour en moyenne) et des fumeurs de longue date (24 ans d’ancienneté en moyenne).
  • une partie de ce public est précaire : 23,5% des patients sont au RSA, 11% bénéficient d’une Allocation Adulte Handicapé (AAH), 28,5% ne bénéficient pas d’un logement stable.
  • une autre problématique importante est celle de l’isolement : presque 60 % des usagers de microstructures, vivent seuls.

Objectifs

Le projet initial poursuivait deux objectifs principaux : la réduction des inégalités sociales de santé et la diminution de la prévalence du tabagisme dans les QPV auprès des publics précaires.

Le déploiement de ces consultations dans un nombre plus grand de microstructures, potentiellement en milieu urbain comme rural, en QPV ou non, s’inscrit dans la même logique de réduction des inégalités sociales de santé. Le projet vise à renforcer le parcours de soins pluriprofessionnel concernant le repérage et le suivi des patients fumeurs, en proposant une consultation en tabacologie au sein des maisons de santé porteuses de microstructures, gratuite pour les patients, à plusieurs publics défavorisés : habitants de quartiers QPV, usagers de drogues suivis en microstructures, mais aussi malades chroniques, etc.

Il consiste à mettre à disposition dans ces cabinets, 2 fois par mois, un médecin d’ITHAQUE (addictologue ou tabacologue) pour assurer, sur rendez-vous, des consultations dédiées de tabacologie. Cette intervention permet de compléter l’offre d’addictologie dans la structure de médecine générale qui accueille ces consultations.

Principaux acteurs et partenaires

Deux médecins salariés d’ITHAQUE exercent dans 6 structures de médecine générale, toutes par ailleurs porteuses de microstructures. Ces médecins collaborent avec les équipes de ces structures, qui elles-mêmes s’appuient sur un réseau partenarial élargi.

Le RMS Alsace a de nombreux partenaires, au sein d’ITHAQUE et en dehors, dans le champ des addictions en Alsace : les différents CSAPA du Haut et Bas-Rhin, dont ceux d’ITHAQUE, le CAARUD et la SMCR, les unités d’addictologie de la région Alsace, le SELHVA -Service Expert de Lutte contre les Hépatites Alsace,  les services de soins, etc. Le RMS Alsace participe également à la coordination des Microstructures Grand Est, à la coordination Nationale des Réseaux de Microstructures et est partenaire de différentes institutions (MILDECA – Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives, Direction Générale de la Santé, SOS Hépatite, etc.).  

L’ARS Grand Est finance le RMS Alsace dans le cadre d’une convention annuelle. Elle finance également le dispositif des consultations de tabacologie pour une période de 3 ans.

Principaux éléments saillants

Point de départ

La première expérimentation d’une consultation de tabacologie en 2019 est née d’une double impulsion :

  • ITHAQUE s’intéressait de plus en plus à la problématique du tabagisme, observant le maintien d’une forte prévalence de la consommation de tabac au sein de son public et constatant que son public vieillissant, grâce à une meilleure prise en charge du volet addictions (opiacés notamment), se retrouvait confronté de façon croissante à des pathologies liées au tabac avec l’âge. Cette prévalence pouvait monter à plus de 90% parmi les patients suivis dans le cadre de leur consommation d’opiacés. De plus, la consommation de tabac pouvait être moins prise en compte, car « pour les équipes, elle était moins « péjorante » par rapport aux autres problématiques ». L’association souhaitait ainsi aussi rompre avec une certaine banalisation du tabac dans le champ de l’addictologie, teintée de fatalisme ou , et renforcer son action de prévention tabac, notamment en direction des usagers poly consommateurs.
  • d’autre part, plusieurs difficultés concernant l’offre de prise en charge spécialisée étaient observées. L’offre en tabacologie est principalement portée par le service de pneumologie du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Strasbourg (consultation de tabacologie) ainsi que les 3 CSAPA de la ville (sans consultation dédiée tabac) : on observait une importante saturation de cette offre avec des délais d’attente longs pour des rendez-vous. De fait, les patients des quartiers défavorisés de Strasbourg, et plus particulièrement encore les usagers de drogue suivis en microstructures, ne fréquentaient pas ou peu le CHU ou un des CSAPA, y étant tout d’abord peu orientés et rencontrant différents freins d’autre part : difficultés à se déplacer dans les lieux de prise en charge (quartiers excentrés), crainte de stigmatisation au CHU, problématique du coût des traitements de substitution (avant 2018), etc.

De plus, les médecins généralistes qui exerçaient en maisons de santé rapportaient quant à eux un manque de formation et de temps disponible pour assurer des suivis en tabacologie dans le cadre de leur exercice. Ils exprimaient un intérêt pour la venue d’un médecin extérieur à la structure en renfort, à la condition que se mette en place un travail en équipe pour suivre ces patients.

Élaboration du dispositif des consultations de tabacologie

La première phase de cette intervention a pris place à titre expérimental au sein de 2 microstructures portées par une Maison Urbaine de Santé (MUS) et maison de santé (MS) situées dans des QPV de Strasbourg. Puis, elle a été maintenue et étendue à 4 nouvelles microstructures, avec le financement par l’ARS dans le cadre du « Fonds Tabac 2019» (voir tableau 1. ci-dessous).

2018Expérimentation dans 2 structures à Strasbourg– MUS du quartier de l’Ill
– MS du Neuhof
2019

2021
Ouverture de 4 consultations supplémentaires dans 4 nouvelles structures, dont 3 hors MS/MUS, à Strasbourg– MS de Hautepierre
– Cabinet des Dr Giacomini et Dr Grislin
– Cabinet du Dr Rolland-Jacquemin
– Cabinet des Dr Feltz et Dr Muller
Tableau 1. Liste des structures porteuses

L’année d’expérimentation a permis de vérifier que les patients se saisissaient bien du dispositif : « en addictologie, il y a toujours un peu de « no-show », mais globalement, dès la première année on était à un niveau équivalent des statistiques nationales de consultation de tabacologie, alors même qu’il s’agit d’un public en situation de précarité » rapporte le Dr. Camille Brand.

Le dispositif a été présenté dans le cadre des journées annuelles du RMS Alsace en 2018, ce qui permis de susciter de l’intérêt pour ces nouvelles consultations et de faire émerger une demande chez les professionnels du RMS Alsace. La motivation des médecins généralistes des MS, MSU et cabinets était un critère indispensable pour mettre en place le dispositif, qui n’était implanté qu’à la condition que la demande émane de ces professionnels.

Le partenariat de longue date entre ITHAQUE et ces médecins généralistes dans le cadre du RMS Alsace a été un facteur facilitant : une connaissance réciproque des structures et d’ITHAQUE, ainsi qu’une appétence au travail collectif préexistaient. Le principal obstacle au déploiement a été l’enjeu du recrutement d’un nouveau professionnel pour répondre à la hausse d’activité et assurer ces consultations. Il a pu être réalisé en 2020, ce qui a permis l’ouverture des nouvelles permanences à l’automne 2020.

La mise en place des consultations implique une coordination avec la structure médicale, au sujet des horaires et des locaux disponibles pour la permanence et au sujet des modalités de transmission des informations patient, afin de bien articuler le suivi tabacologique spécialisé au suivi régulier. Il s’agit d’un enjeu pratique important, qui demande au professionnel d’ITHAQUE de s’adapter au fonctionnement et aux attentes des professionnels de la structure (partage du dossier, accès ou non au logiciel du cabinet, etc.).

Fonctionnement des consultations de tabacologie

Les permanences sont assurées par 2 médecins de l’association Ithaque : le Dr Camille Brand (contributrice de cette capitalisation) et le Dr Georgette Hess, remplacée depuis 2022 par le Dr Marie Siebert.

Salariées d’ITHAQUE, elles assurent dans chaque microstructure une permanence tous les 15 jours environ de 3 heures ou 4 heures, selon le lieu, les mercredis matin et après-midi et les vendredis après-midi. Le choix de ces plages horaires correspond à la fois aux créneaux de disponibilité d’un espace de consultation dans la structure, mais également de la volonté de proposer ces consultations à des horaires facilitants pour les usagers (plages débutant à 13h, ou finissant après 18h). C’est le secrétariat des différentes structures qui gère directement le planning des médecins pour ces consultations, pas celui d’ITHAQUE. Une plage de consultation permet de proposer en moyenne 3 créneaux de suivi et 2 créneaux pour de nouveaux patients.

Le suivi proposé repose sur des outils classiques en tabacologie (voir encadré).

Suivi en tabacologie proposé dans le cadre des consultations

Le suivi par le tabacologue proposé est gratuit, car pris en charge par un financement spécifique à ITHAQUE. Il peut être anonyme (à la demande du patient) ou faire l’objet d’un partage d’informations avec la structure médicale (renseignement du logiciel patient, comptes-rendus ou courriers, etc.)

Il consiste en :

– une première consultation longue, d’une durée de ¾ heure à 1 heure, afin de comprendre les besoins de la personne et lui proposer de tester différents
traitements de substitution nicotinique (TSN) avec prescription dès cette première consultation : pastilles, gommes, spray, inhaleur, etc.
– puis un suivi régulier aussi longtemps que souhaité par le patient, avec une fréquence régulière adaptée aux besoins du patient.

La consultation repose sur une trame inspirée de la CdT (Consultation de Tabacologie), proche d’un entretien en CSAPA : rappel du cadre, anamnèse ou entretien libre, entretien motivationnel lors des consultations de suivi, etc.

Les médecins tabacologues disposent de différents outils : choix d’échantillons de TSN variés, un spiromètre depuis 2020 pour faciliter le dépistage de la Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive (BPCO), matériel de vapotage grâce à un partenariat avec la Vape du cœur, etc.

Les consultations sont menées suivant une approche de réduction des risques (RDR), en partant des besoins de l’usager qui consulte et en le laissant fixer ses objectifs, permettant d’accompagner autant une baisse de consommation qu’une demande de sevrage. Les médecins tabacologues peuvent également proposer des outils de RDR, comme la vape, aux patients qui le demandent.

Un suivi statistique est assuré pour le pôle recherche d’ITHAQUE et pour le suivi d’activité.  

Le premier apport de ces consultations spécialisées a été de permettre aux patients inclus de tester différents traitements substitutifs nicotiniques (TSN). Un fond dédié, depuis le début du projet et jusqu’à leur prise en charge par l’assurance maladie en 2018[5], couvrait le coût des TSN délivrés dans le cadre de cette consultation. Cela constituait un premier levier d’accès aux soins en tabacologie pour les personnes sans droits ouverts ou avec une couverture maladie qui ne les prenait pas en charge. Depuis le remboursement, la possibilité de faire tester lors des consultations différentes formes de substituts est maintenue, car il s’agit d’un levier important pour une meilleure adhésion au traitement.

Focus : l’approche de réduction des risques (RDR) en tabacologie

Les 2 médecins s’appuient, dans le cadre de ces consultations, sur les principes de la RDR en addictologie, s’inscrivant ainsi bien dans la philosophie d’ITHAQUE. Elles accompagnent les personnes en partant de leurs besoins et là où elles veulent aller.

Les professionnelles peuvent proposer de travailler sur la réduction des risques liés au tabac et proposer l’outil de la vape. Cet outil « marche bien avec [leurs] usagers ». Il s’agit d’une première manière de discuter du tabac et d’un outil qui permet également de travailler sur les effets psychologiques du sevrage.

La RDR tabac s’entend aussi avant tout changement dans les consommations : travail sur la fonction de la consommation, réflexion sur les modes de consommation, travail sur les liens entre tabac et environnement, réduction du tabagisme passif, etc.

Des consultations qui bénéficient également aux patients des microstructures

Des ponts entre les consultations de tabacologie et le dispositif des microstructures existent, l’inclusion en microstructure à partir d’une consultation tabacologie étant possible, comme un adressage en sens inverse. Pour le Dr Camille Brand, « la question « tabac » fait souvent émerger plein d’autres questions de consommation derrière, et permet de parler des autres produits, … parce que c’est plus facile de commencer à parler du tabac ». L’alcool et le cannabis sont les produits les plus fréquemment évoqués par les usagers rencontrés lors des consultations en tabacologie.

Parmi les personnes accompagnées dans ces consultations figurent des patients inclus dans les microstructures (usagers ou ex-usagers de drogue). Ces usagers peuvent bénéficier d’un appui spécifique sur la problématique de leur tabagisme, car confrontés à d’importantes difficultés vis-à-vis du tabac, comme le rapporte le Dr Brand : « j’ai eu beaucoup d’usagers qui sont sous TSO et qui me disent que la question du tabac est plus difficile que tout le reste, qui me disent : ‘Franchement, j’ai géré la cocaïne, j’ai géré l’héroïne, et là maintenant, le tabac, c’est hyper dur’. »

Sans parler de clinique spécifique, le Dr Camille Brand observe qu’il est possible de s’appuyer sur l’expérience d’usagers dans l’arrêt ou la recherche de maitrise d’autres consommations pour renforcer leur pouvoir d’agir dans l’arrêt ou la diminution du tabagisme.

« Avec les patients qui sont sous TSO (Traitement de substitution aux opiacés), je me sers beaucoup de la méthadone pour travailler la substitution nicotinique – parce qu’ils connaissent bien leur traitement par méthadone et parce que finalement, c’est assez proche dans la façon de « gérer », à la fois le manque, la surdose ou la sous-dose, la réduction. Donc je travaille vraiment avec l’expérience des usagers, à partir de leur [manière] de se saisir de leur traitement, de leur expérience de sevrage, on va se saisir du craving, de l’envie de consommer… Voilà, de travailler autour de leur expérience par rapport aux autres produits pour la reproduire pour le tabac. »

Camille Brand, Médecin addictologue ITHAQUE

Mobilisation du public

Si le dispositif est implanté dans des lieu d’exercice porteurs de microstructures, il n’est pas limité aux patients de ces microstructures. Tout patient d’une MSU ou d’un cabinet peut en bénéficier. Au sein des MUS et MS, les patients peuvent être adressés par tous les professionnels de la structure : secrétaires, médecins, infirmièr.es, kinésithérapeutes, internes en médecine, médiateurs, etc. Il n’est cependant pas nécessaire d’être adressé par un professionnel pour prendre un rendez-vous et les personnes ayant eu connaissance de cette consultation (bouche à oreille, affiches dans les espaces communs des MUS) peuvent directement y avoir accès.

Les données d’activités ci-dessus portent sur l’année 2020, qui a été marquée par l’interruption des 2 permanences déjà ouvertes au printemps pendant 2 mois en raison du Covid-19[6] et l’ouverture de 4 nouvelles consultations à partir de septembre 2020 (identifiées par *). Parmi les 65 personnes rencontrées, 34 (52.3%) ont été rencontrées plus d’une fois et ont donc initié un suivi. Dans les structures de l’Ill et du Neuhof, le nombre de bénéficiaires rencontrés est plus faible que les années précédentes, mais le nombre de consultations réalisées est lui en hausse, « indiquant une adhésion au suivi et le souhait de poursuivre des suivis même à distance » (2). Ainsi, environ 5 à 6 patients bénéficient à un moment donné d’un suivi tabacologique dans chacune des structures.

Le public accueilli dans les consultations tabac présente des caractéristiques très proches de celui des microstructures : il s’agit le plus souvent de gros fumeurs, plutôt âgés, différents critères de précarité sont surreprésentés, et de façon stable sur plusieurs années, la part des femmes rencontrées est importante.

Une collaboration élargie entre ITHAQUE et les structures

L’objectif d’ITHAQUE est que s’instaure une véritable collaboration entre le médecin spécialiste et les équipes de la structure au service du renforcement de la prévention du tabagisme et de l’accompagnement au sevrage. Le médecin tabacologue n’a pas vocation à exercer un rôle d’expert, qui se substituerait au médecin généraliste pour assurer des suivis complexes, mais a véritablement vocation à travailler en complémentarité et en commun avec les équipes.

Avec la mise en place d’une permanence de consultations de tabacologie, les médecins spécialistes d’ITHAQUE proposent également dans les structures de soins :

  • des temps de formation des professionnels de la structure, afin de leur permettre de monter en compétence sur la question de la prévention et de l’accompagnement. Ces temps de formation dans la structure sont très fortement appréciés des équipes.
  • des temps de liaison avec les équipes, qui permettent de discuter des modalités d’adressage des patients, de cas cliniques complexes, de cas non complexes, etc.  Cela prend la forme de réunions de synthèse clinique au sein de chaque structure en présence des équipes et du médecin d’ITHAQUE. Elles se tiennent à minima une fois par semestre, jusqu’à 1 fois tous les 2 mois si la structure en fait la demande. Ces synthèses permettent de poser un regard pluriprofessionnel sur le suivi des patients. Leur fréquence peut paraitre insuffisante pour aborder l’ensemble des situations cliniques de toutes les personnes rencontrées, mais correspond aussi à la disponibilité des médecins d’ITHAQUE qui interviennent sur plusieurs microstructures (et d’autres dispositifs).
  • l’organisation d’actions de prévention grand public, notamment à l’occasion du Moi(s) sans Tabac.

Principaux enseignements

Résultats observés

Proposer un suivi spécialisé in situ permet de lever un certain nombre des freins qui conduisent à des ruptures dans les parcours de soin lorsque les patients sont orientés vers un spécialiste : difficultés d’accessibilité quand le spécialiste exerce dans un lieu autre que le lieu de soin de premier recours habituellement fréquenté (distance géographique, freins à la mobilité, etc.), confiance à recréer avec un nouveau professionnel, risque de démobilisation du patient quand les délais de prise de rendez-vous sont  longs, etc. De plus, les médecins généralistes peuvent eux-mêmes être réticents à orienter leurs patients vers un accompagnement spécialisé par crainte de perte de contact avec le patient, du manque de partage d’informations sur le suivi de la part du confrère auquel ils ont adressé leur patient, etc. La proposition d’intervenir au cabinet même de ces praticiens permet de lever ces craintes.

Aucun suivi statistique à long terme ne permet encore d’évaluer l’impact du dispositif, encore jeune, sur la réduction du tabagisme au sein du public inclus. Néanmoins, l’adhésion des patients reçus est bonne : 50% des primo-consultant entament une démarche et bénéficient d’un suivi régulier.

Des consultations qui permettent de toucher un public éloigné des soins

Le projet contribue à renforcer l’accès à la prévention et aux soins en tabacologie de populations défavorisées (précaires, usagers de drogue, etc.). Le rapport d’activité établi par ITHAQUE (2) présente de nombreuses données, analysées par le pôle recherche qui permettent d’étayer l’affirmation précédente. Les patients inclus en microstructure comme pour les consultations tabac sont de gros fumeurs (17,9 cigarettes par jour en moyenne) et des fumeurs âgés, pour lesquels le tabagisme est installé depuis de nombreuses années (24 ans en moyenne). Ainsi, bien que l’effectif total de patients suivis restent relativement faible, il s’agit d’interventions importantes, car permettant de toucher une population cible prioritaire prévention tabac.  

Le projet s’inscrit ainsi pleinement dans l’objectif 13 du Plan National de Lutte contre le Tabac[7], permettant une action d’aller-vers des publics spécifiques et développant d’autres modalités de renforcement de l’accompagnement au sevrage tabagique proposés dans les CSAPA. Ce dispositif permet de compléter l’offre en addictologie et de renforcer l’accessibilité de cette offre auprès de populations cibles (3).

Focus : microstructures et consultations avancées, deux dispositifs qui permettent de renforcer l’accès aux soins en addictologie des femmes

La part du public féminin au sein de la patientèle des microstructures est proche de 50%, ce qui est largement supérieur à la proportion moyenne en CSAPA (à savoir les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) qui se situe autour de 20%. Ce constat, fait en Alsace, se vérifie systématiquement dans les autres départements où ont été mises en place des microstructures (Occitanie, Ile-de-France, etc.). C’est la preuve pour l’équipe d’ITHAQUE « qu’une partie de la population, en l’occurrence les femmes, [n’]a pas accès aux dispositifs classiques d’addictologie » et « qu’il manque de lieux pour une partie des personnes qui ont des problématiques addictives ».

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer un moindre recours des femmes aux structures d’addictologie classiques : la peur de la stigmatisation (du fait de  fréquenter des centres de soins spécialisés autour de l’usage des drogues), l’évitement du public masculin qui fréquente majoritairement ces structures, la peur pour ses enfants (confier sa situation à des professionnels du travail social étant perçu comme un risque vis-à-vis de la garde, etc.), un rapport genré à l’image de soi et au corps qui rendent plus difficile à dire et dévoiler une addiction, etc. Auxquelles s’ajoutent d’autres freins limitant l’accessibilité de l’offre de prise en charge en addictologie que renforcent les inégalités sociales de genre (précarité, mobilité, concentration de l’offre dans les centres urbains, etc.). Consulter au sein du cabinet du médecin généraliste faciliterait l’accès des femmes aux professionnels addictologue en offrant proximité, praticité, confort et confiance d’un lieu connu de tous, et discrétion sur les motifs de la consultation.  

Un dispositif qui a pour effet de renforcer le déploiement de la prévention tabac sur le territoire

Le renforcement de la prévention tabac s’observe tout d’abord au niveaux des structures de soins, par plusieurs leviers :

  1. la proposition d’une offre d’accompagnement spécialisé, qui permet notamment l’adressage des patients complexes qui bénéficient d’une prise en charge d’accompagnement au sevrage ou de réduction des risques,
  2. la montée en compétences de l’ensemble des équipes médicales et des équipes paramédicales dans les MS et MSU et
  3. l’amélioration des pratiques de suivi tabacologique des médecins  dans ces structures grâce aux temps d’échanges de pratiques entre médecins d’ITHAQUE et médecins généralistes, pour les accompagner dans le suivi de leurs patients qui ne sont pas adressés pour un accompagnement spécialisé.

Le projet a également conduit à un renforcement des activités en tabacologie de l’association ITHAQUE, qui par exemple, intègre désormais des consultations de ce type dans son antenne mobile réduction des risques qui intervient en milieu rural. ITHAQUE est également de plus en plus sollicitée par d’autres partenaires pour développer des interventions « tabac » hors les murs, notamment des structures dans le champ du handicap.

Freins et leviers

Pour l’équipe d’ITHAQUE, le maitre-mot de la réussite de ce dispositif est l’adaptation des professionnels spécialistes, addictologue ou tabacologue, aux besoins et au fonctionnement des structures de médecine générale. Cela implique aussi d’adopter, en tant que professionnels qui interviennent dans ces structures, une posture particulière : « il faut que la structure d’addictologie vienne sans se positionner en expert, qu’elle vienne écouter les besoins du médecin, les problématiques que lui rencontre dans son cabinet et les patients qu’il a. » La démarche est différente de la mise en place d’une antenne d’un CSAPA, et de plus, les patients et les problématiques rencontrées dans ces structures peuvent être différentes de ceux et celles d’un CSAPA.

Plusieurs facteurs facilitants font que les deux principaux leviers de réussite de ce dispositif, co-construction et adaptation, fonctionnent. L’expérience des microstructures médicales, précédant celle des consultations,  a été un appui pour le déploiement de ces dernières : terreau d’une confiance entre professionnels, réseau déjà construits, expérience pratique de collaboration entre l’association ITHAQUE et les différentes structures, etc.

La posture d’adaptation aux besoins des structures de médecine générale permet également de désamorcer ce qui peut apparaitre comme de possibles doublons ou concurrences entre prises en charge. Dans certaines des MSU et MS où ont été implantées les consultations spécialisées interviennent également des infirmières Asalée, qui pouvaient déjà assurer un suivi tabacologique. Le dispositif des consultations n’a été mis en place dans ces structures qu’à leur demande, après qu’un temps de réflexion en interne ait mis à jour un besoin. Cette stratégie de mise en œuvre permet ainsi à tous de trouver son rôle et de travailler en complémentarité et in fine, de soutenir dans l’arrêt du tabac certaines personnes qui n’arrivaient pas à s’inscrire dans d’autres démarches qui existaient déjà.

Un frein important subsiste, celui du financement non-pérenne à ce jour du dispositif de consultations de tabacologie.

S’appuyer sur des réseaux partenariaux locaux permettant l’aller-vers en addictologie a été un facteur facilitant important de cette expérience. Déployer ce type de consultations, assurées par des médecins spécialistes (et salariés de structures de prévention) dans des lieux de premier recours, peut être reproductible dans d’autres territoires, sous des modalités proches mais à adapter en fonction des ressources locales : identifier une structure d’addictologie localement, construire un projet dans la rencontre entre cette structure et des professionnels de médecine générale qui en exprime le besoin, rechercher un financement local, etc.

Pour aller plus loin

  1. Melenotte GH, Di Nino F, Doffoël M, Imbs JL. 53. Dispositif des microstructures médicales. In: Traité d’addictologie [Internet]. Cachan: Lavoisier; 2016 [cité 4 août 2022]. p. 423‑4. (Traités; vol. 2e éd.).
  2. Pôle Médecine de Ville RMS Alsace – Pôle Recherche. Rapport d’activité 2020.
  3. Guignard R, Nguyen-Thanh V, Delmer O, Lenormand MC, Blanchoz JM, Arwidson P. Interventions pour l’arrêt du tabac chez les fumeurs de faible niveau socio-économique : synthèse de la littérature. Santé Publique. 2018;30(1):45.
  4. Mervelet M. Consultations de tabacologie assurées en microstructures à Strasbourg depuis 2018 : retour d’expérience de patients/thèse présentée pour le diplôme d’État de docteur en médecine, diplôme d’État, mention médecine générale. 30 juin 2022 [cité 16 mars 2023]

[1] Pour en savoir plus : https://ithaque-asso.fr/

[2] Un réseau expérimental de microstructures médicales est créé en 1999 par Espace Indépendance, pour pouvoir assurer un accompagnement de qualité aux patients suivis en médecine de ville pour leurs addictions. Ce dispositif devient un réseau de santé pérenne en juillet 2003 avec la création d’une association RMS, qui fusionne en 2010 avec ITHAQUE au moment de sa réorganisation.

[3] Le dispositif des maisons urbaines de santé (MUS) est porté par la mairie de Strasbourg dans le cadre de sa politique territoriale de santé. Il s’agit de Maison de santé pluridisciplinaires (MSP) regroupant également une microstructure, un point accueil et écoute jeune (PAEJ), des interprètes et des antennes de consultation de différents services : PMI, secteur psychiatrique, etc. Elles sont systématiquement en QPV. Les maisons de santé de Neuhof et Hautepierre offrent le même ensemble de services même si leur dénomination n’inclut plus le nom de MUS. Pour en savoir plus : https://www.villes-sante.com/actions-des-villes/premier-recours/strasbourg-creation-de-maisons-urbaines-de-sante/

[4] Les éléments présentés dans cet encart sont issus du rapport d’activité d’ITHAQUE, qui contient une présentation plus détaillée de l’ensemble des activités du RMS Alsace : https://ithaque-asso.fr/en-savoir-plus/rapports-d-activite/65-rapport-d-activite-rms-2020/file.html . Pour plus d’informations, contacter Camille Fischbach, coordinatrice du RMS Alsace : cfishbach@ithaque-asso.fr  

[5] Pour en savoir plus : https://www.ameli.fr/assure/remboursements/rembourse/medicaments-vaccins-dispositifs-medicaux/prise-charge-substituts-nicotiniques

[6] Les patients déjà suivis qui le souhaitaient ont pu bénéficier d’une continuité du suivi via des consultations à distance (téléphone), qui ont eu un succès inégal.

[7] Pour en savoir plus : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/180702-pnlt_def.pdf