Présentation de l’intervention
Accueil Réduction de RIsques Nord Alsace
ARRIANA se présente comme la première structure de consommation d’alcool à moindre risque en France. Elle est située à Haguenau, portée par deux Centres de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), celui de Haguenau et de Wissembourg, rattachés respectivement au Centre hospitalier de Haguenau et Centre Hospitalier Intercommunal de la Lauter (Wissembourg). Elle s’inscrit dans un dispositif plus large de réduction des risques (RDR) toutes substances dans le Nord Alsace, auquel contribue également le CSAPA Ithaque avec une équipe mobile pour le volet réduction des risques liés aux usages de drogues.
Le lieu est ouvert du lundi au vendredi, de 14h à 17h sauf le mercredi de 11h à 16h. On y accueille des personnes qui consomment principalement de l’alcool et qui ne sont pas inscrites durablement dans une démarche de soin. Le local permet d’accueillir au maximum 12 personnes simultanément. Trois professionnelles interviennent aux horaires d’ouverture d’ARRIANA, le plus souvent en binômes. L’équipe d’ARRIANA est aujourd’hui composée d’une infirmière, une éducatrice spécialisée et une accueillante (aide-soignante de formation). Elles sont encadrées par une médecin responsable et un infirmier cadre du CSAPA de Haguenau, et un infirmier cadre du CSAPA de Wissembourg. Initialement, l’équipe accueillante était composée de seulement 2 intervenantes (binôme infirmier-travailleur social). Le médecin ainsi que les infirmiers cadres interviennent ponctuellement au local.
En moyenne, 40 à 50 usagers fréquentent ARRIANA chaque année. Cet effectif est composé à moitié de nouveaux arrivants. Les usagers sont majoritairement des hommes seuls et sans emploi. Environ la moitié est sans domicile fixe ou dans un parcours d’hébergement, c’est-à-dire sans hébergement stable.
Contexte
En 2013, l’ARS Grand Est a sollicité des professionnels de santé d’Alsace et engagé une réflexion sur la réduction des risques liés à l’alcool. Cette réflexion a débouché sur la rédaction du Guide de réduction des risques et des dommages chez les consommateurs d’alcool en Alsace[1]. Il est apparu qu’il y avait peu de structures de réduction des risques sur le territoire du Nord de l’Alsace, notamment aucun CAARUD ou de structure équivalente. De plus, le Plan Régional de Santé 2013-2015 et le Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017 incitaient les acteurs des territoires à prendre en compte la réduction des risques.
Cet état des lieux a également montré des difficultés d’accès aux CSAPA des consommateurs d’alcool en situation de vulnérabilité ne souhaitaient pas se rendre aux CSAPA, évoquant la contrainte d’une forte obligation à réduire ou arrêter de consommer de l’alcool pour intégrer un parcours de soin. Dans ce contexte, l’ARS Grand Est et les responsables des CSAPA de Haguenau, Wissembourg et Ithaque ont souhaité développer une structure de RDR pour les personnes éloignées des structures de soin, en situation de vulnérabilité et de précarité sociale comprenant 2 volets : L’Accueil Réduction de RIsques Nord Alsace – ARRIANA et une équipe mobilepour le volet de RDR pour les usagers de drogues qui dépendait de l’association Ithaque de Strasbourg.
Depuis 2017, l’équipe mobile d’Ithaque sillonne la campagne du Nord Alsace. Elle est un partenaire important du lieu ARRIANA et permet de toucher des personnes isolées des structures de soins grâce à leur camping-car. Elle assure la délivrance de matériel de RDRD (outils de réduction des risques et des dommages, par exemple, matériel d’injection etc.) et la pratique de fibroscanners.
Calendrier
| Février 2017 | Ouverture d’ARRIANA.
| Décembre 2018 | Extension des horaires d’ouverture d’ARIANNA du lundi au vendredi.
Objectifs
L’objectif principal d’ARRIANA est l’amélioration des conditions de vie des consommateurs d’alcool en situation de vulnérabilité du territoire. Pour ce faire, ce lieu offre un espace dans lequel les usagers peuvent échanger, s’informer, retisser des liens sociaux, et redevenir acteur de leur santé et de leur parcours de vie. Ils pourront également s’inscrire progressivement dans un processus de gestion de consommation d’alcool et de réduction des risques et des dommages.
Ainsi la structure vise à :
- Accueillir des usagers d’alcool éloignés des dispositifs de soins et de la réduction des risques, en portant une attention particulière aux personnes isolées et/ou en situation de vulnérabilité, sanitaire et sociale,
- Réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux liés à l’usage d’alcool
- Mettre en œuvre un accompagnement social pour aider les usagers à sortir tant de la précarité que d’un isolement social,
- Favoriser l’émergence d’une demande de soins et en faciliter l’accès.
Principaux acteurs et partenaires
Principaux éléments saillants
Élaboration du projet
Afin d’élaborer le projet, les responsables se sont appuyés d’une part sur le guide rédigé en 2013 en lien avec l’ARS Grand Est et, d’autre part, sur l’expérience de 2 autres lieux de de réduction des risques. Ce type de lieu n’existant pas en France en 2015, les responsables du projet ont visité des structures en Suisse : Le Tremplin[2] à Fribourg, et La Terrasse[3] à Lausanne, et se sont inspirés de structures établies en Allemagne.
C’est l’expérience de la Terrasse qui a fait modèle pour ARRIANA. L’équipe a également retenu de ses visites l’importance d’impliquer les usagers dès l’élaboration du lieu afin qu’ils s’approprient le lieu et qu’il soit plus adapté à leurs besoins et demandes et souhaité développer le projet d’ARRIANA dans une logique de « co-construction ». A la suite de ces visites, il a été décidé de créer, avec les usagers, un espace de convivialité, de bien-être et de resocialisation. Autoriser les consommations sur site est apparu comme particulièrement intéressant, car cela permet de « rencontrer les personnes dans leur usage » pour le Dr. Pfeiffer.
ARRIANA a été conçu pour s’adresser un public d’usagers d’alcool, éloignés de toute démarche de soin. Les professionnels du Centre d’Hébergement et de Réinsertion (CHRS) de Haguenau et du CSAPA avaient identifié en échangeant un public qui pourrait bénéficier d’un accompagnement en addictologie mais qui ne le faisait pas, pour plusieurs raisons. L’implantation intra-hospitalière du CSAPA de Haguenau pouvait renforcer certains des blocages, en lien avec des représentations sur l’hôpital (qui fait peur) ou la consommation d’alcool (qui n’est pas « une maladie », donc ne se soigne pas à l’hôpital), et freiner l’amorçage d’un accompagnement addictologique. Par ailleurs, l’accueil en hôpital de jour au CSAPA n’était pas une solution adaptée pour des consommateurs d’alcool qui n’étaient pas dans un projet de sevrage.
ARRIANA en quelques mots
ARRIANA propose un accueil « bistrotier », bas seuil, et des accompagnements sanitaires et sociaux, visant prioritairement à rompre l’isolement des usagers qui fréquentent le lieu et à résoudre des problématiques de logement, de justice, d’emploi, d’isolement. L’idée est de proposer un lieu où les usagers peuvent se reposer, se rencontrer, et discuter librement, et où la consommation d’alcool est autorisée. S’ils le souhaitent, les usagers peuvent par la suite s’engager dans une démarche de soins et/ou être orientés vers un accompagnement addictologique.
Organisation et espace d’ARRIANA
Le local d’ARRIANA est situé dans centre-ville d’Haguenau, à proximité immédiate du CHRS le Toit Haguenovien. La localisation et configuration du lieu sont très bien adaptées à ARRIANA : central et pratique pour les usagers, en retrait de la rue avec un espace jardin qui permet une certaine tranquillité et en fait un lieu « visible et invisible », et composé de plusieurs espaces (salle principale, salle attenante faisant office d’infirmerie, espace extérieur). Un ordinateur est disponible, pour permettre aux usagers de faire leurs démarches administratives. La cour-jardin comporte également un jardin potager et permet d’accueillir les chiens des usagers. Ce qui est d’ailleurs un des rares enjeux de cohabitation avec les autres occupants de cette cour (gestion des animaux, déjections, etc.). Le local est situé à proximité d’une église et appartient à une association paroissiale. L’intégration d’ARRIANA dans ce voisinage s’est bien passée dans ce cadre à priori particulier, bénéficiant d’un accueil très bienveillant par le curé et sacristain en place, attachés aux valeurs d’hospice de la paroisse (Saint Nicolas, Barberousse). La bonne cohabitation se poursuit, malgré des épisodes de tensions liées à l’usage partagé de la cour, grâce à un travail de connaissance mutuelle et aux relations tissées avec les paroissiens.
Dès l’acquisition du local, il a été proposé aux usagers de prendre part à sa rénovation. Volontaires, ils ont participé au nettoyage, à la peinture, au choix du mobilier (tables, canapés, fléchettes, baby-foot) et à la décoration des murs. La rénovation et la décoration du local par, à la fois les professionnels et les usagers, a produit un sentiment d’appartenance commun au lieu et a fondé des liens de confiance.
Fonctionnement d’ARRIANA
C’est à la demande d’usagers que l’ouverture de la structure est passée de 3 à 5 après-midi par semaine (lundi au vendredi), rendu possible grâce au recrutement d’une accueillante supplémentaire. Le local est ouvert le mercredi de 11h à 16h pour proposer un temps de repas collectif.
Il n’est pas organisé d’ateliers spécifiquement dédiés à la RDR. Mais des activités sont ponctuellement organisées (bowling, médiathèque, marché de Noël, cinéma). Ces évènements permettent aux usagers de se rendre dans des lieux où ils ne vont pas ou plus, accompagnés par les intervenantes d’ARRIANA ce qui permet de les rassurer. D’autres professionnels, en plus des intervenantes et l’équipe encadrante, sont présents ponctuellement à ARRIANA pour proposer des activités aux usagers : une art-thérapeute intervient une fois par mois, par exemple.
La RDRA au sein d’ARRIANA
La seule tolérance de consommation au sein de la structure est l’alcool. La consommation d’alcool est interdite dans la cour. Le tabac est interdit, sauf si consommé à l’extérieur dans la cour, et les autres drogues sont interdites. L’accueil est encadré par un règlement intérieur, qui précise les principes de fonctionnement du lieu (respect de la dignité de l’autre et de l’intégrité, confidentialité des échanges, etc.), les règles d’usage du local et les règles qui concernent l’autorisation de consommer de l’alcool. Il stipule que les intervenants ne boivent pas d’alcool pendant le temps de présence à ARRIANA.
La gestion de la consommation d’alcool au sein d’ARRIANA
Lorsque l’usager souhaite consommer de l’alcool au local, il amène sa consommation, quelle qu’en soit la nature ou la quantité. Il dépose son produit au comptoir en signalant à l’accueillante la quantité apportée, qui le stocke et lui remet un papier signé précisant la quantité confiée ainsi qu’un gobelet. Le local n’est pas habilité à stocker de l’alcool, les produits sont rendus aux usagers à la fermeture.
Si l’usager souhaite consommer de l’alcool, il demande son produit à une des 3 intervenantes. Il se sert alors lui-même dans un gobelet doseur, en présence d’une des intervenantes qui joue le rôle de tierce personne médiatrice, qui invite l’usager à réfléchir sur sa consommation. L’usager peut boire la consommation qu’il souhaite et peut également partager son alcool avec d’autres usagers. La quantité et la nature de la consommation est notée par l’intervenante, pour suivre les consommations. Il arrive ainsi que des usagers interpellent les intervenantes pour connaitre la quantité d’alcool qu’ils ont consommée. Si les intervenantes constatent qu’un usager est en état d’ébriété, elles lui proposent de discuter de sa consommation. Lors de ces moments les professionnelles proposent des alternatives : aller prendre l’air, boire un thé, un café, ou se servir un peu plus tard.
Il n’est pas possible de consommer d’alcool durant les 30 dernières minutes avant la fermeture du local afin d’éviter que des usagers ne s’alcoolisent (trop) durant cette période, notamment s’ils repartent motorisés ou pour éviter qu’ils ne vident leur bouteille avant de partir (aucun alcool n’est stocké sur place) et ainsi se mettent en danger.
Une autorégulation collective des consommations lors des temps d’accueil
A l’ouverture d’ARRIANA, bien qu’informés que l’alcool était autorisé au sein de la structure, les usagers n’ont pas osé en ramener. Habitués à l’interdiction de consommer au CHRS, ou au CSAPA (c’est-à-dire ici à l’hôpital), les usagers avaient projeté ces attentes sur ce lieu et les intervenantes ou craignaient qu’en consommant à ARRIANA, cela puisse entrainer une exclusion du CHRS où l’alcool est interdit parce que les professionnels des 2 structures échangeaient entre eux. Un rappel des règles d’autorisation et de confidentialité a été nécessaire pour mettre en confiance les usagers, qui ont progressivement ramené et consommé de l’alcool au local.
Si les intervenantes craignaient au démarrage que les usagers consomment de fortes doses d’alcool au sein du local, les usagers en règle générale autorégulent leurs consommations. Ils viennent parfois à ARRIANA sans alcool. Les usagers partagent régulièrement aux intervenantes leur attachement au local et à son bon fonctionnement. Ainsi, ils cherchent avant tout à « être bien » à ARRIANA, qui leur offre un espace où ne pas être ni consommer seuls, et veillent entre eux au respect de la dynamique de groupe et à ce qu’aucun usager ne suscite de débordements. Le fait que les usagers se connaissent depuis plusieurs années rend cette autorégulation d’autant plus efficace et limitent l’apparition de tensions et incidents.
Les intervenantes peuvent aborder la question de la consommation d’alcool durant l’accueil et porter un discours sur le produit et ses risques, notamment au moment où les usagers se servent à boire, mais leur rôle n’est pas de superviser ces consommations. Leur positionnement est davantage de « créer du lien » avec des structures de soins, « de créer quelque chose de l’ordre du possible [pour les usagers : qu’ils puissent s’imaginer dans des parcours de soins » sans injonction ou contrainte. la parole, elle est aussi portée par l’usager – pas plus, pas moins, mais différemment que par les intervenants.
Les usagers jouent également un rôle clé à ce sujet : ils partagent leurs expériences entre eux, y compris au sujet de leurs démarches de soin (tentative de sevrage, expérience de cures, réduction de la consommation à ARRIANA et au CSAPA, etc.).
Accompagnements proposés
Au sein d’ARRIANA, différents accompagnements sont proposés pour aider les usagers dans leurs démarches administratives, l’obtention de droits, l’accès aux soins, etc. Des soins peuvent être réalisées à ARRIANA par l’infirmière présente.
Les professionnelles sont rarement directement sollicitées pour résoudre un problème. C’est lors des discussions entre usagers qu’émergent successivement un besoin puis le conseil de solliciter telle ou telle intervenante, dont le champ d’expertise est connu par d’autres usagers pour qui elle est déjà intervenue (mécanisme du bouche-à-oreille). Les intervenantes peuvent aussi se saisir au cours des temps collectifs de « bribes » qui émergent pour engager des échanges plus approfondis lors d’apartés ou d’entretiens (parfois informels, au jardin, en baladant les chiens, etc.). Plus les usagers fréquentent depuis longtemps ARRIANA, plus ils viennent spontanément et facilement solliciter une aide ou un service auprès de l’intervenante adaptée. Ainsi, c’est l’usager qui décide des problématiques qu’ils souhaitent régler prioritairement. Les intervenantes veillent aussi globalement aux bien-être des personnes et à repérer des besoins non-exprimés, ce qu’elles questionnent régulièrement avec les usagers : est-ce qu’ils mangent assez ? Où est-ce qu’ils dorment ?
ARRIANA est en lien direct avec les CSAPA de Haguenau et de Wissembourg, du fait notamment que les intervenantes d’ARRIANA sont rattachées à ces structures et y travaillent également à temps partiel. Ceci facilite l’accès aux soins pour les usagers qui souhaitent s’engager dans une démarche de soin : « le lieu change et ce qu’on peut y proposer change mais leurs référentes ne changent pas ». Un accompagnement au CSAPA peut s’engager tout en continuant la fréquentation d’ARRIANA.
Autres services proposés
Afin de rendre le lieu agréable et pour offrir des alternatives à la consommation d’alcool, des en-cas, des boissons sans alcool (café, thé, sodas) sont proposés. Les intervenantes prennent soin de connaitre les boissons préférées des usagers. Un repas est proposé le mercredi midi. Ce repas répond à la demande d’usagers qui avaient partagé le fait qu’ils ne mangeaient pas à leur faim. Le repas se tient avec les professionnels et les usagers, qui participent aux courses et à la confection du repas.
L’équipe aimerait pouvoir proposer prochainement des douches et des machines à laver au local, pour répondre aux besoins des usagers. C’est aujourd’hui possible pour les usagers en se rendant au CSAPA d’Haguenau à proximité, qui met à disposition cet équipement.
Stratégies mises en œuvre
Outils en appui à la gestion des consommations
Des gobelets dosés sont fournis par ARRIANA. Les responsables de la structure ont souhaité utiliser des gobelets pour matérialiser le fait que les usagers sont dans un autre cadre que celui dans lequel ils boivent habituellement. Le but est également d’inviter les usagers à réfléchir sur leurs consommations. Si les usagers, habitués au goulot, n’étaient pas favorable à l’utilisation de verres lors du lancement d’ARRIANA, les gobelets ne sont plus remis en question. Des éthylotests sont mis à disposition d’usagers pour mesurer leur niveau d’alcoolémie, notamment s’ils sont motorisés. Les intervenantes peuvent le proposer lorsque des usagers considèrent qu’ils ne sont pas en état d’ébriété.
Communiquer largement autour d’ARRIANA
Lors de l’élaboration du projet, les responsables d’ARRIANA ont sollicité différents acteurs du territoire recevant le public cible afin de recueillir leurs retours : CMP, CCAS, UTAMS, les mairies de Wissembourg et Haguenau. Ces rencontres ont notamment permis aux différents acteurs de se rencontrer, de faire connaitre le projet, et de faciliter les orientations réciproques.
Au lancement d’ARRIANA, les responsables sont allés présenter la démarche aux usagers du CHRS le Toit haguenovien, du CCAS et des CSAPA du territoire. Ils se sont également rendus dans les lieux de regroupement de personnes sans domicile fixe de Haguenau (la gare, les rues commerçantes). Désormais, la majorité des usagers se rendent à ARRIANA parce qu’ils en ont entendu parler de la part d’autres usagers. La convivialité, le non-jugement, et la qualité de l’accueil sont les principales raisons qui font que des personnes se rendent à ARRIANA
L’infirmier-cadre et le docteur qui ont initié le projet d’ARRIANA exercent aux CSAPA de Haguenau et Wissembourg, où l’abstinence restait l’offre proposée prioritairement aux usagers qui souhaitent s’inscrire dans un parcours de soin. Ainsi, les responsables d’ARRIANA évoquent le temps nécessaire qu’il leur a été nécessaire pour sortir de la posture « Hors de l’abstinence, point de salut », puis d’une vision de la RDR liée à l’alcool (RDRA) centrée sur de la réduction de la consommation.
Leur approche et leurs postures ont fortement évolué avec la mise en œuvre d’ARRIANA. Pour R. Lortz, l’expérience d’ARRIANA les a conduit à apprendre « une posture, une manière d’être… et puis on a aussi appris ce qu’eux, [les usagers], attendaient de ce lieu-là ». Le paradigme de RDR dans lequel ils se reconnaissent aujourd’hui, et qui concerne toute l’équipe, est « de ne pas imposer l’abstinence comme condition à la rencontre et à la démarche de soin, mais de respecter les choix en termes de consommation des personnes accueillies, avec le pari que l’alcool diminuera quand les problématiques sociales, psychologiques et sanitaires se résolvent ». Ils ont adopté une posture d’écoute qui place l’usager au centre de l’amélioration de sa situation.
L’appui d’autres professionnels à l’équipe des intervenantes
Une fois par mois, la médecin référente est présente à ARRIANA. Elle est aussi disponible lorsqu’une question médicale requérant son expertise survient (consultations médicales, ordonnances, urgences). Son intervention permet également de faire du lien dans les parcours de soin, aux CSAPA ou à l’hôpital, les usagers qui le souhaitent.
Un psychologue intervient une fois par mois, auprès des intervenantes pour proposer des temps de supervision. Les discussions ont notamment porté sur le positionnement face à l’usager dans un espace où la consommation d’alcool est autorisée. Ils ont par exemple permis d’établir et de renforcer le choix pour les intervenantes de ne pas servir elles-mêmes de l’alcool, afin de ne pas être perçues comme des serveuses. Cette confusion avait alors nuit aux relations entre professionnelles et usagers, impactant la qualité et l’accomplissement de leurs missions. Par ailleurs, ces discussions ont également montré l’importance d’une construction d’un discours commun, que ce soit auprès des usagers ou au sein des professionnelles. Les professionnelles ne sont alors pas prises en porte à faux et peuvent se rattacher à des directives claires (sur les gestions des horaires, de la posture, du règlement).
Principaux enseignements
Résultats observés
Le lieu a été approprié par des usagers, dont une motivation importante est de rompre leur isolement. Les usagers déclarent majoritairement venir à ARRIANA pour rompre leur isolement et rebâtir des liens sociaux, puis pour d’entreprendre des démarches concernant leurs droits (le RSA, la CAF, logement, AAH) et enfin pour bénéficier de soin. Une autre motivation principale de fréquenter ARRIANA est de pouvoir y réfléchir à ses consommations d’alcool. Cela a un impact aussi sur les pratiques de consommation d’alcool : « au lieu de boire seul chez soi, à la maison, ou sous un pont ou sur un banc, à l’extérieur, [ils] trouve[nt] une pièce chauffée et rencontre[nt] des gens. ». Les intervenantes ont pu constater que la situation d’un certain nombre d’usagers fréquentant la structure s’est améliorée. Des usagers ont obtenu des droits et services qu’ils ne parvenaient pas à obtenir précédemment : un logement, le RSA, l’ouverture de comptes, accès à des droits sociaux (tels que l’Allocation Adulte Handicapée).
La structure est aujourd’hui bien implantée dans le paysage local, ne suscite plus de réactions clivantes et contribue à faire comprendre aux acteurs hors du champ de l’addictologie la posture RDR.
Les porteurs du projet visent de nombreux résultats qui concernent globalement l’amélioration de la situation de la personne et son empowerment, la diminution des situations de risque, l’amélioration de son état de santé et l’amélioration des consommations, qu’il est difficile pour eux d’évaluer dans le détail, chaque item pris individuellement. A ce jour, ils suivent et mesurent pour chaque usager le niveau de ses consommations (oui, non, diminution) et son accès à différentes structures ou droits. Ils souhaiteraient bénéficier d’un accompagnement spécifique pour mettre en place des outils et des indicateurs d’évaluation plus précis.
Freins et leviers
- La complémentarité des ancrages sanitaire et social des intervenantes à ARRIANA est un levier de réussite très important. Cela permet d’apporter des compétences spécifiques distinctes aux usagers.
- Les qualités, l’appétence et les compétences pour tenir l’accueil des trois intervenantes recrutées est un ingrédient indispensable pour une structure comme ARRIANA. Leur aptitude à entrer en lien et en convivialité avec les usagers est au moins aussi importante que leurs compétences professionnelles plus techniques, comme réaliser un soin ou une ouverture de droits.
- Le projet est porté par des responsables de structures travaillant ensemble depuis plus de 20 ans, ce qui a facilité l’élaboration d’ARRIANA et la construction d’une direction commune.
- L’implication d’un médecin dans l’encadrement a permis de rassurer les différents partenaires du projet.
- L’implication des usagers dès le début du projet, et le souhait de les impliquer dans l’évolution de la structure, ont permis de les mobiliser et de favoriser les relations de confiance et de travail entre usagers et professionnels.
- La mise en place d’une supervision pour l’équipe a permis de répondre à un besoin de l’équipe.
- Le financement du projet reste fragile. Pour partie (1 des 3 postes), le financement est non-pérenne. De plus, le temps d’encadrement du médecin et de l’infirmier-cadre ne sont pas pris en compte dans le budget actuel d’ARRIANA (temps bénévole / CSAPA).
L’ARS Grand Est a missionné en 2021 un cabinet de conseil[4] pour conduire une évaluation d’ARRIANA. Elle conclue à la pertinence du dispositif : ARRIANA est un lieu qui permet de faire de la réduction des risques auprès des usagers. Le rapport conclue également à plusieurs ingrédients indispensables au fonctionnement du dispositif, dont son équipe pluridisciplinaire. Il approfondit également les aspects financiers du projet et souligne que, dans la perspective de l’ouverture d’autres similaires, il est important d’intégrer dès la phase de montage de projet certains coûts et besoins : formation des intervenants, temps d’encadrement à valoriser, etc.
Un levier pour diffuser la RDRA dans le Nord Alsace
Le projet a permis de diffuser les postures et pratiques de la RDRA au-delà d’ARRIANA. C’est notamment le cas dans les CSAPA auxquels sont rattachés les professionnels impliqués à ARRIANA (intervenantes et encadrants), au sein desquels les pratiques des soignants intègrent désormais mieux des approches RDR. Selon le Dr Pfeiffer, « ce n’est plus une spécialité de 2-3 personnes à ARRIANA mais c’est devenu un peu notre ADN aussi ». Il s’agit d’une évolution notable, alors qu’il y a quelques années encore, ces approches n’étaient « pas entendables » pour les professionnels et que des usagers qui reprenaient des consommations pouvaient être exclus des suivis au CSAPA. La réduction de consommation est désormais un objectif de soin possible pour ces soignants. Avoir cette posture de RDR permet aux professionnels au CSAPA, selon le Dr Pfeiffer « de mieux incarner un éventail d’accompagnements adaptés au public ». Il y a désormais moins de pression mise sur les usagers et les professionnels pour atteindre l’objectif de l’abstinence, favorisant la qualité et le nombre d’accompagnements.
[1] À retrouver ici : http://www.cirddalsace.fr/methodologie/guide_alcool.pdf
[3] https://www.fondationabs.ch/la-terrasse.html
[4] L’évaluation a été menée par le cabinet KPMG. Le rapport peut être consulté sur demande auprès d’ARRIANA.