Accompagnement des consommations d’alcool au Centre Thérapeutique Résidentiel Le Thianty

Le Centre Thérapeutique Résidentiel (CTR) Le Thianty accueille pour des séjours de 3,5 mois des groupes de résidents présentant des comportements addictifs pour un accompagnement pluriprofessionnel, sécurisant, dans un cadre campagnard, permettant de définir ensemble et de travailler un projet de soins selon les souhaits de chacun. Afin de répondre à diverses difficultés rencontrées par les résidents concernant leur lien avec l’alcool à la sortie du CTR, l’équipe a mis en place un protocole de réduction des risques structuré autour d’espaces de consommation permettant de se confronter au produit comme dans la vie de tous les jours, mais en bénéficiant d’un cadre sécurisant et d’un accompagnement. Ce protocole a fait l’objet de diverses expérimentations et a été mis en place avec la contribution de l’ensemble de l’équipe et des premiers groupes de résidents concernés. Il est maintenant intégré dans les activités de chaque séjour, cette alternative à la seule abstinence ayant montré des effets sur les parcours des résidents.

10/03/2023

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Roland Vanessa
Cheffe de Service CTR le Thianty

Fauchet Camille
Chef de service CAARUD / Prévention

Vidallon Jean-Michel
Éducateur spécialisé

Plusieurs résidents du CTR

Présentation de l’intervention

Le Centre Thérapeutique Résidentiel le Thianty

L’association Oppelia[1], principalement impliquée dans le champ de l’addictologie, est composée de 17 structures médico-sociales, dont Oppelia Thylac[2], née de la fusion du Centre de soins du Lac d’argent et de l’association  du Thianty. Oppelia Thylac regroupe aujourd’hui 7 services dont un Centre Thérapeutique Résidentiel (CTR), basé dans la commune d’Alex en Haute-Savoie à proximité d’Annecy, dans une bâtisse de 1816 située dans un petit village, au milieu de la nature et des montagnes) 

Les centres thérapeutiques résidentiels (CTR) sont des Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) qui accueillent des personnes sevrées ou sous traitement de substitution durant plusieurs mois. Il s’agit de centre de soins avec hébergement collectif : anciennement appelé « post cure ».

Selon le guide Pratique(s Soins résidentiels collectifs de la Fédération Addiction : « Les CTR proposent une prise en charge globale individualisée, dans une dynamique collective, au sein d’une petite unité contenante et sécurisante.[…] Les usagers peuvent y faire l’expérience de la vie sans produit addictif problématique et réapprendre les gestes et les rythmes de la vie quotidienne. Le projet de soin vise l’acquisition et la valorisation des compétences de chacun. La référence éducative et psychothérapeutique est le moteur du soin résidentiel en CTR. »

Le CTR Le Thianty[3] accueille pour des séjours de 3 mois et demi des groupes de 9 résidants, hommes et femmes majeur·e·s présentant un comportement addictif avec ou sans substances, adressés par leur médecin généraliste, un CSAPA, l’hôpital, dans une démarche  de  libre adhésion. La moyenne d’âge des résidants est de 38 ans. Le livret d’accueil du CTR précise que ses missions portent sur « l’accompagnement des personnes souffrant d’un comportement addictif dans une démarche de soins bienveillante et apprenante, au sein d’un collectif, en vue de les rendre acteurs de leur propre parcours de vie. »

« Le maitre mot c’est l’équilibre. Le centre propose un accompagnement psychique et physique autour d’ateliers thérapeutiques pour travailler sur les comportements addictifs dans l’idée d’un mieux-être ».

Vanessa Roland, Cheffe de service du CTR

Le projet de soins au CTR s’articule notamment autour :

  • De l’accompagnement d’une expérience de vie sans consommation de substances psychoactives, licites et/ou illicites, en fonction des objectifs de chacun,
  • De différents types d’ateliers collectifs : expression, communication, bien être, création, etc.,
  • Du vivre ensemble, du respect et de l’entretien du cadre de vie: chacun contribue aux tâches quotidiennes. (cuisine, ménage)
  • De la gestion de l’ennui, du quotidien, des temps libres : comment les remplir quand la consommation de produits n’est pas possible.
  • D’activités sportives, randonnée, badminton
  • D’un suivi individualisé, médicalisé, social et psychologique,
  • De la possibilité de sorties thérapeutiques en autonomies, activité inscrite dans le processus de soin,
  • De la réduction des risques et des dommages. (Alcool, santé sexuelle, tabac, cbd, médicamenteux, stupéfiant).

Une équipe pluridisciplinaire

L’accompagnement des personnes est assuré par une équipe pluridisciplinaire présentant diverses compétences : cheffe de service, éducateurs spécialisés,  conseillers en économie sociale et familiale, surveillants de nuit (présence de l’équipe 24h/24), infirmiere, pharmacienne, médecin et psychologue à temps partiel.

La réduction des risques au CTR le Thianty

Le Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007[4] relatif aux missions des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) indique qu’une de leurs missions concerne «La réduction des risques associés à la consommation de substances psychoactives ».

« Cette mission permet d’offrir un cadre sécurisant aux résidants et d’ouvrir un dialogue autour des différents produits consommés. Elle permet de laisser la personne faire ses propres choix tout en soutenant sa demande d’aide. La réduction des risques et des dommages liés aux consommations de drogues fait partie de nos missions de CSAPA ».

Jean-Michel Vidallon, éducateur spécialisé

La réduction de risques est présente au sein du CTR depuis sa création et s’inscrit dans les pratiques professionnelles de son équipe.

L’équipe du CTR est formée, à la réduction des risques. Des ateliers collectifs autour de la réduction des risques sont organisés :

  • Tabac : un partenariat existe avec La Vape du Cœur[5], le CTR met à disposition différents traitements de substitution au tabac (patch, Nicorette ®, gommes, CO testeur, cigarette électronique…)
  • CBD:  Le CTR autorise la consommation de CBD sous forme d’e-liquid
  • Stupéfiants : mise à disposition de matériels (plaquette d’information, roule ta paille, pipe à crack, aluminium, kit d’injection, matériel de récupération de seringue, Naloxon®)
  • Santé sexuelle (préservatifs masculin et féminin, gel lubrifiant, plaquettes d’information).

Objectif de la démarche de réduction des risques alcool au CTR le Thianty

Concernant l’alcool, le développement de la réduction des risques a fait l’objet d’une élaboration collective qui s’est poursuivie pendant plusieurs séjours à partir de 2017. Aujourd’hui cette pratique est institutionnalisée et inscrite dans le projet de l’établissement.

La Rdrd Alcool vient ainsi s’intégrer dans les activités du CTR et s’articule avec le projet de soins de chaque résidant, qui fixe avec l’équipe ses objectifs. Les ateliers Rdrd Alcool offrent autant d’occasions pour échanger sur le lien à l’alcool et les stratégies individuelles pour atteindre les objectifs.

Principaux éléments saillants

Divers constats ont amené l’équipe à s’intéresser à la Rdrd alcool

Globalement, l’alcool est le deuxième produit qui amène les personnes à effectuer un séjour au CTR, après la cocaïne. 41% des résidents souhaitent s’engager dans une démarche concernant l’alcool pendant leur séjour, en première ou seconde intention.

Dans le cadre de cette capitalisation, l’équipe du CTR et les résidants interrogés partagent le constat de l’omniprésence de l’alcool dans la vie de tous les jours (aspect culturel et social) et des difficultés à y être confronté au moment de la sortie.

Selon l’équipe du CTR, trois profils de résidants peuvent être identifiés quant à leur relation avec l’alcool, pour lesquels différentes difficultés liées au séjour et/ou la sortie apparaissent en lien avec leur projet de soin:

Résidants visant l’abstinence par rapport à l’alcool
– Lors des sorties du CTR, la reprise des consommations d’alcool était fréquente.




Résidants souhaitant tester leur capacité de consommer de façon maitrisée de l’alcool
– Un séjour de plusieurs mois sans aucune consommation d’alcool ne correspondait pas à leur projet. Ne pouvant pas s’essayer à la gestion de ses consommations d’alcool

Résidants sans objectif spécifique par rapport à l’alcool
– Il a été constaté des surconsommations d’alcool lors des sorties thérapeutiques en autonomie

– Certains résidants ont pu recourir à l’alcool comme nouveau produit d’addiction.

L’équipe a défini des objectifs pour mieux accompagner les résidants dans leur consommation ou non d’alcool

La question s’est donc posée pour l’équipe de proposer, en ce qui concerne l’alcool, une autre voie que la seule abstinence durant le séjour, afin de répondre à différents objectifs s’adressant à ces 3 profils[6] :

  • « Préparer les personnes ayant un comportement addictif à l’alcool à gérer leur abstinence en présence du produit ;
  • Permettre aux personnes accueillies, dont l’abstinence à l’alcool n’est pas l’objet du projet de soin, d’expérimenter une consommation d’alcool en accord avec leurs projets de soin ;
  • Limiter les suralcoolisations lors des sorties et les risques qui y sont associés ;
  • Prévenir les risques de transfert de consommations addictives. »

L’équipe s’est alors tournée vers la Réduction des risques liés à l’alcool (Rdrd Alcool) comme possible réponse à ces objectifs.

Une élaboration collective du protocole de Rdrd Alcool

Une vision collective de ce que pouvait être la Rdrd Alcool au sein du CTR a été travaillée avec l’équipe en 2017 et 2018. Cette démarche a été initiée via un accompagnement par Matthieu Fieulaine, du Collectif Modus Bibendi, afin de travailler sur les représentations de chacun et de permettre à l’équipe de s’approprier les concepts de la Rdrd Alcool. A la suite de cet accompagnement, un cycle de réunions a été organisé afin d’entendre le point de vue de chacun et de définir ensemble comment adapter les concepts de la Rdrd Alcool au projet du CTR.

Ces réflexions ont amené l’équipe à élaborer un protocole incluant des temps de sensibilisation et de discussion collective autour de l’alcool.

Un accompagnement individuel ainsi que des Ateliers Rdrd Alcool sont organisés, afin que chaque résidant, en fonction de ses souhaits et de son projet, puisse travailler sa relation au produit.

Un premier protocole non concluant

Dans le cadre du premier séjour incluant les ateliers Rdrd Alcool, le protocole a été testé et beaucoup discuté avec l’équipe et les résidants. Ces discussions avaient abouti à l’organisation de déjeuners le dimanche, d’une durée de 20 à 40 minutes, incluant la possibilité de consommer jusqu’à 4 unités d’alcool, selon les recommandations de l’OMS de l’époque.

L’équipe s’est rapidement rendue compte que cela ne fonctionnait pas :

  • Les résidents étaient focalisés sur les quantités, un contrôle social jouait au sein du groupe quant au respect de ces quantités.
  • Certains résidents consommaient leurs quatre verres très rapidement.
  • Les quatre verres étaient devenus un dû.
  • 4 unités d’alcool en 20 minutes amenaient un changement de comportement notable.

Au fil du temps, les échanges entre équipe et résidants ont fait évoluer ce protocole.

Des Ateliers Rdrd Alcool inscrits dans le séjour des résidants

Tout séjour au CTR commence par une période d’abstinence pour tous les résidants, quel que soit l’objet de leur addiction.

A la suite de cette période et après la signature du projet de soins avec chaque résidant, le protocole de Rdrd Alcool se met en place jusqu’à la fin du séjour. Il concerne tous les résidants, quel que soit leur profil par rapport à l’alcool.

Plusieurs étapes avant la mise en place des Ateliers Rdrd Alcool

ÉtapeÉléments en lien avec le protocole Rdrd AlcoolRetour d’expérience
AdmissionLes résidents sont informés dès cette étape (admission) de l’existence des ateliers Rdrd AlcoolLes futurs résidents peuvent exprimer des réticences a priori sur la possibilité d’être confronté à l’alcool pendant leur séjour. Ils ont en effet intégré qu’une cure signifie l’abstinence. L’admission permet alors un premier échange concernant leur relation à l’alcool et leur souhait.
Période d’abstinence de quatre semainesCette période permet de s’éloigner du comportement addictif. C’est également une période qui permet aux résidants de se retrouver.A la fin de ces quatre semaines, les résidents se sentent souvent beaucoup mieux : ils ont pu améliorer leur forme physique, ils bénéficient d’un accompagnement très encadrant.
Signature du projet de soins après 3 semainesChaque résidant définit avec l’équipe ce qu’il souhaite accomplir quant à son comportement addictif (alcool ou autre), quels sont ses objectifs sur le plan du développement personnel, santé et social.Les objectifs quant à l’alcool sont ici discutés avec chaque résidant : abstinence, réduction ou maitrise des consommations.
Présentation des Ateliers de Rdrd Alcool lors de la 4ième semaine– L’équipe propose une réunion aux résidents permettant de partager : Les raisons et les objectifs poursuivis par la Rdrd Alcool au CTR,

– Des informations liées aux unités standards d’alcool, mis en perspective avec les repères de consommation promus en France
– Les effets (et leur différence selon les individus)

– Les principes de la Rdrd Alcool

– Le cadre proposé pour les Ateliers Rdrd alcool et leurs règles de fonctionnement Les règles peuvent être amendées collectivement, à la suite de ce premier temps d’échange, concernant les espaces de consommation et leur temporalité (soirée retenue dans la semaine), les produits consommés (vin ou bière), les modalités de consommation.
Temps d’échange jugé très riche par l’équipe. Il permet que chaque résidant s’exprime sur ses doutes et appréhensions. Qu’il comprend le principe et les objectifs de cet atelier, Qu’il adhère à ses règles et que celles-ci soient bien en adéquation avec les souhaits de chacun.  

L’ensemble de ces échanges sont ensuite retravaillés avec chaque résidant, dans le cadre d’entretiens individuels et de manière informelle.
Information sur les interactions médicaments / alcoolIl s’agit d’un atelier animé par l’Infirmière du CTR qui vise à permettre aux résidants de :

– Comprendre les effets de l’alcool sur l’organisme
– Apprendre à connaître les effets secondaires des médicaments que l’on prend
– Avoir conscience des interactions des médicaments et de l’alcool ainsi que d’autre substance psychotrope.
Chaque résidant peut ensuite s’informer et prendre les mesures nécessaires quant aux potentielles contre-indications entre son traitement et l’alcool, en lien avec le médecin et l’infirmière du CTR.
Échanges sur l’alcool via des entretiens individuels de suiviChaque résidant est accompagné individuellement, tout au long de son séjour concernant ses objectifs et ses stratégies concernant l’alcool. Ces derniers sont libres d’évoluer tout au long du séjour.Ce protocole permet ainsi de travailler avec la personne sur son projet par rapport à l’alcool tout au long du séjour.

Les Ateliers Rdrd Alcool – Un espace de confrontation au produit alcool

Des temps réguliers et programmés

Les ateliers Rdrd alcool, au même titre que les autres ateliers organisés par le CTR, sont inscrits au planning de la semaine chaque lundi. Généralement, deux espaces sont proposés chaque semaine :

  • Le dimanche midi : un résidant prépare le repas, l’équipe et les résidants choisissent le vin ou la bière qui sera sur la table ainsi que les boissons non-alcoolisées. Les quantités d’alcool, et donc de bouteilles, sont évaluées par l’équipe en fonction des demandes exprimées lors des entretiens (abstinence ou consommation).
  • Un soir en semaine, en variant le jour et la forme – apéro fléchette par exemple. Ce second temps a été ajouté quelques temps après le premier, afin de mieux adapter la fréquence des ateliers à la réalité de leur quotidien, tout en laissant suffisamment de temps entre deux ateliers pour prendre du recul sur ce qu’il s’y est passé.

Jean Michel Vidallon, éducateur, précise que, concernant le choix de ces temps d’atelier, « on essaye d’être au plus près de leur réalité, c’est important pour certains ».

Si certains résidants arrivent en cours de séjour, une période de 2 à 3 semaines sans Atelier Rdrd Alcool est mise en place, afin de permettre aux nouveaux de bénéficier eux aussi d’un temps d’abstinence.

Un cadre d’atelier défini et validé par l’équipe et les résidants

Les nombreuses discussions entre l’équipe et les résidants des premiers séjours concernés par ces ateliers ont permis de construire un cadre désormais appliqué par tous, dont voici certains éléments :

  • Des boissons sans alcool, différentes de l’eau pure, sont également proposées.
  • Il s’agit de ne pas se focaliser sur l’alcool pendant le repas : de ce fait, les participants ne font pas de l’alcool un objet de discussion principal pendant les ateliers, ils ne trinquent pas et chacun se sert.
  • Personne ne doit être incité ou proposé à boire de l’alcool.
  • Chaque résidant est responsable de sa consommation. Tout comportement inadapté en lien avec la consommation peut être sanctionné par l’établissement, en référence au règlement intérieur.
  • Des verres à pied et des chopes de bière sont mises à disposition. Leur utilisation semble permettre aux participants des ateliers de boire moins vite, selon les observations de l’équipe. Elle s’inscrit également mieux dans les pratiques habituelles en société, ce qui peut être important pour certains résidants.

« Lors des premiers séjours, le cadre était rigide de part la nouveauté de cet atelier. Cela pouvait rendre les ateliers un peu anxiogènes. Aujourd’hui, il est rentré dans nos pratiques : le cadre reste posé mais il y a moins de pression, et de nombreux bénéfices observés. Certain résidant font une demande d’accueil dans notre CTR pour pouvoir participer à cet atelier».

Vanessa Roland, Cheffe de service du CTR

Une attention au comportement des résidants pendant les ateliers

Le regard des autres résidants n’est pas évident à gérer dans le cadre de ces ateliers. Un travail collectif est ainsi mené en amont pour que chacun respecte l’autre dans son objectif par rapport à sa consommation ou non d’alcool. L’équipe apporte une grande vigilance aux interactions au sein du groupe.

Un travail est également réalisé par chaque résidant sur la façon de se positionner à table. Par exemple, certains résidants s’assoient à côté de personnes qui ne boivent pas afin d’être moins tentées. L’équipe a noté que chaque résidant va trouver au fur et à mesure sa stratégie de comportement pendant les ateliers, en lien avec son projet.

La nécessité d’un accompagnement par les professionnels

Les professionnels qui participent à ces ateliers sont garants du cadre, et sont attentifs au comportement de chaque résidant. Cela permet ensuite d’échanger sur les effets de l’atelier pour eux, en lien avec leur projet de soins. Par exemple, si un résidant vit des difficultés pendant cet atelier, il va pouvoir en parler avec l’équipe, mettre des mots sur ce sentiment, faire des liens avec son addiction, et réfléchir à des solutions. Chaque semaine, des entretiens sont menés par les éducateurs avec les résidants pour débriefer des ateliers. Il s‘agit d’échanger sur leur vécu, leurs émotions ressenties, leur comportement, leur positionnement par rapport aux autres.

Principaux enseignements

Résultats observés

Les Ateliers Rdrd Alcool sont organisés au CTR le Thianty depuis 2017. Lors de la réalisation de cette capitalisation, 7 séjours de 3,5 mois s’étaient tenus, soit environ 69 résidents concernés. Pour chaque séjour, des bilans intermédiaires (questionnaires individuels)[7] et finaux (échanges collectifs) sont organisés. Ils vont dans le sens du maintien de ces ateliers.

Il n’est pas évident pour l’équipe de disposer d’une vision précise de tous les parcours des personnes ayant suivi un séjour au CTR à l’issue de celui-ci. Les retours des résidents, pendant et après les séjours (cf. supra) l’ont cependant encouragée à poursuivre les ateliers Rdrd Alcool.

Des impacts constatés sur certaines trajectoires individuelles des résidants

Selon l’équipe, la RDRD alcool telle qu’elle est mise en place au CTR Le Thianty permet de répondre à différents enjeux pour les trois profils de résidants :

Résidants visant l’abstinence par rapport à l’alcool
– Ils sont exposés à l’alcool, mais dans un cadre sécurisant.

– Ils ont ainsi la possibilité de réfléchir aux stratégies qu’ils pourront mettre en place dans la vie de tous les jours pour éviter de reconsommer.

Résidants souhaitant tester leur capacité de consommer de façon maitrisée de l’alcool
– Ils peuvent travailler sur leur limite de consommation.

– Ils peuvent également anticiper leur comportement quant à la confrontation quotidienne avec l’alcool dans la société (apéritifs, repas conviviaux, courses…).
Résidants sans objectif spécifique par rapport à l’alcool
– Les échanges leur permettent de travailler sur leurs représentations par rapport à l’alcool.

– Ils peuvent identifier une quantité d’alcool qui appellerait à la consommation d’autre produit (déclencheur).


Quelques exemples de trajectoires individuelles ont été décrites par l’équipe du CTR

Certains résidants, ayant une problématique liée à l’alcool s’étaient fixé un objectif de maitrise de leur consommation dans le cadre des Ateliers Rdrd Alcool. Ils ont atteint cet objectif, notamment grâce au groupe, à l’accompagnement de l’équipe et au cadre. Une fois sorti du CTR, ils n’ont malheureusement pas réussi à maintenir cette maitrise de consommations. Mais cela leur a permis de se rendre compte que la solution pour eux réside dans l’abstinence. Ils ont ainsi pu cheminer dans leur réflexion et réévaluer leur projet.
Un résidant se trouvait dans une relation d’addiction très forte à l’alcool, depuis des années. Il avait déjà tenté divers séjours de cure mais c’était trop difficile pour lui d’aller au bout des 3,5 mois d’abstinence. Avec les ateliers Rdrd Alcool, il est parvenu pour la première fois à rester au CTR pour un séjour complet. De plus, il s’agissait d’un résidant qui ne buvait d’habitude que seul. Il a réappris à boire avec un groupe et à mobiliser ses propres ressources pour limiter sa consommation et travailler ainsi en adéquation avec son projet de soins et de vie.

Un retour globalement positif de quatre résidents interrogés sur ce protocole

Quatre des neufs résidants présents au CTR au moment de cette capitalisation ont été interrogés

Ils présentaient des profils différents quant à leur raison d’effectuer un séjour au CTR (addiction à l’alcool, à un autre produit – crack- ou à plusieurs substances addictives dont l’alcool) et à leur expérience de ce type de séjour (première fois ou nombreuses expériences).

Ils ont partagé leur vécu et les enseignements qu’’ils ont retiré de leur participation aux Ateliers Rdrd Alcool :

– Leur réaction initiale est partagée entre curiosité, incrédulité (« ce n’est pas habituel dans les lieux comme les CTR », « quel est l’intérêt ? ») et appréhension (« ça va être très difficile »)
– Une fois la démarche présentée par l’équipe au groupe, les positions des résidants évoluent. La démarche semble bien comprise (« c’est un moment de travail, pas seulement de consommation », « c’est logique car l’alcool est très présent dans la vraie vie », « c’est pertinent car tous les résidants sont d’une façon ou d’une autre confrontés à l’alcool »), la démarche est jugée sécurisante (« les échanges avec les éducateurs chaque semaine sont très importants », « le cadre est bien posé »), elle permet des échanges plus franc sur le rapport à l’alcool (« cela permet de faire ressortir ce qu’on va chercher avec les consommations »).
– Pendant les ateliers, les comportements des résidants sont variés et reflètent autant de stratégies individuelles (« au départ, je refusais la bière car c’est ce que je consomme d’habitude, je ne buvais que du vin et jamais plus d’un verre », « je me suis observé, j’ai regardé ce qu’il se passait en moi »). Les appréhensions initiales ont également pu être levées pour certains résidants (« c’était difficile les trois premières fois, puis, ensuite, quand je voyais de l’alcool, je savais que je n’en voulais pas »). On voit également comment le groupe peut influencer les comportements de chacun (« Au début, je ne buvais pas par respect pour un collègue qui était dans une démarche d’abstinence »).
– Chacun semble avoir retiré des enseignements de sa participation aux ateliers (« ça m’a permis de mieux poser ma consommation d’alcool, ça a cassé le rapport bière = défonce », «j’ai pu travailler avec l’équipe du CTR sur mon craving, mon envie de consommer », « j’ai travaillé lors des entretiens sur les liens avec les autres produits ») et certains ont pu se renforcer grâce aux ateliers et aux échanges liés (« je me suis écouté », « cela a boosté ma confiance au fur et à mesure des ateliers »).
– Les résidants ont pu exprimer quelques limites à cette démarche. Un d’entre eux indique que certains résidants peuvent être mis en difficulté s’ils ne parviennent pas à définir la stratégie qui leur convient. Deux autres ont trouvé qu’on avait un peu trop échangé autour des ateliers pendant le séjour, qu’ils prenaient peut-être trop de place dans les discussions avec l’équipe. Le dernier, dans ce sens, précise qu’il est très important de bien cadrer les choses au départ et qu’ensuite on peut être moins focalisé dessus.
– Enfin, un résidant suggère qu’il pourrait être ajouté au protocole une sortie avec un éducateur, incluant, si cela s’inscrit dans le projet de soins, une consommation d’alcool. 


Certains anciens résidants peuvent venir témoigner pendant les séjours sur leur parcours, avant, pendant et après le CTR. Cela permet des échanges autour des stratégies de chacun, de la confrontation à l’alcool dans la vie de tous les jours et de comment les ateliers RDRD Alcool ont pu jouer dans leurs parcours. Il est important que ces anciens résidants aient suffisamment de recul sur leur expérience au quotidien post-CTR.

 

 

Freins et leviers

Un point d’attention majeur : la continuité des pratiques entre les structures

L’équipe du CTR a insisté sur l’importance des passerelles entre les structures afin de s’assurer de la cohérence des accompagnements tout au long des parcours des personnes.

Un travail est effectué au sein d’Oppelia dans ce sens mais les liens avec les autres structures restent à renforcer. Ceux-ci fonctionnent en tous cas bien avec les partenaires qui ont intégré la Rdrd Alcool dans leurs pratiques. C’est par exemple le cas de certains appartements thérapeutiques sur le territoire.

« Ce qu’on avait vraiment en tête c’était de préparer à l’après CTR. Et une difficulté, c’est la continuité. […] Qu’est-ce qu’il se passe si la personne tombe sur une structure néphaliste, qui ne va pas être dans la même continuité ? […] Je pense qu’il manque encore des passerelles entre le CTR et les structures d’aval.»

Camille Fauchet, Chef de service CAARUD / Prévention

La nécessaire implication des résidants dans la définition et la révision du protocole

L’équipe du CTR veille et s’assure pour chaque nouveau groupe, de la compréhension de l’intérêt du protocole et de son cadre par les résidants. Elle est toujours attentive à la réflexion commune autour des ateliers, de leurs conséquences possibles pour chacun·e et pour le groupe, de l’adaptation du cadre si nécessaire. Selon Mme Roland : « Ce sont les résidants, via leurs retours, qui permettent de faire évoluer la démarche et de l’enrichir. »

Une adhésion indispensable de tous les membres de l’équipe

Au démarrage de la réflexion sur la Rdrd Alcool, et particulièrement pendant le premier séjour, de très nombreux échanges ont été organisés pour l’équipe. Il était en effet très important de mettre en place un protocole cohérent avec les projets de soins, les problématiques des résidants, la loi, le collectif, les questionnements de l’équipe. Il a fallu beaucoup travailler à la définition d’un cadre sécurisant pour tous, l’adhésion de l’ensemble de l’équipe étant indispensable.

« Il est nécessaire de travailler ensemble sur les préjugés et voir ce qu’’il est possible de mettre en place. Il est ensuite intéressant de s’appuyer sur l’expérience. Enfin, il faut se lancer et adapter le protocole : il faut du concret. »

Jean-Michel Vidallon, éducateur spécialisé


[1] https://www.oppelia.fr/

[2] https://www.oppelia.fr/structure/thylac/

[3] https://www.oppelia.fr/le-ctr-le-thianty/

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000461683/

[5] https://lavapeducoeur.fr/

[6] Objectifs présentés par l’équipe lors des journées portes ouvertes organisées en octobre 2019 par le CTR Le Thianty

[7] Cf. annexe 2 [à retrouver dans la version PDF de cette fiche de capitalisation]